« Shannon in Nashville » agite tellement de mouchoirs
rouges qu’on n’a pas envie d’être dupe de tous ces appels du pied un peu trop
voyants. Frontwoman, une sorte de Beth Ditto blonde au tour de taille imposant.
Coiffée d’une improbable choucroute qui ne semble attendre que le moindre
zéphyr pour se déliter, version platine de l’excroissance capillaire qui
surmontait le front de l’Amy Winehouse. Au générique, ordonnateur suprême de la
chose (écriture, guitares et autres instruments bruyants, production), Dan
Auerbach des famous Black Keys. Et un titre de disque qui renvoie à deux
classiques absolus de la préhistoire qui rocke et rolle, « Dusty in
Memphis » et « Elvis in Memphis », Tennessee connexion oblige.
Et vous savez quoi ? Eh bien, toutes ces plus ou
moins subtiles allusions, pour une fois, elles sont justifiées… Evacuons le
look bibendum, la Shannon n’a hormis un confortable embonpoint, rien à voir
avec la leadeuse des feu Gossip. Par contre, que ceux qui portent encore le
deuil de la Winehouse et qui ont oublié de se faire couillonner par les ersatz
à voix rauque soul blues genre Adele reprennent goût à la vie, en voici une gueuleuse
de bastringue qui a du coffre. Shannon Shaw est de la race des grandes, de
celles qui te fileraient envie de chialer rien qu’en lisant le bottin. Même si
les similitudes les plus évidentes sont à rechercher du côté d’une autre
enrobée, la hurleuse soul en chef Aretha Franklin (R.I.P). Un style vocal qui a ses légions
de fans, mais dont le côté braillard trop mis en avant peut susciter à la
longue un certain embarras. Shannon Shaw a parfois tendance à se mettre en
surrégime, on dira que c’est parce qu’elle a tout à prouver et à démontrer.
Shannon Shaw version Breakfast in America ? |
Même si c’est pas une inconnue totale … quoi que … Son
groupe précédent qui l’avait révélée ( ? ) et dont elle était la bassiste-chanteuse,
Shannon & the Clams, trio voire quatuor de tâcherons se revendiquant pêle-mêle
du punk, de la soul, du doo-wop et autres vieilleries vintage, ne remplissait
pas les arenas, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais ce groupe avait su
attirer l’oreille de Dan Auerbach, qui a produit son dernier disque et proposé
l’affaire en solo à la Shannon (disque et contrat de distribution via son label
Easy Eye Sound). Avec évidemment en point de mire le « Dusty in Memphis »,
rondelle qui avait vu l’Anglaise se réinventer passant de grande chanteuse de
variété pop un peu neuneue et engoncée à shouteuse soul, blues et rhythm’n’blues
sous la houlette du nabab d’Atlantic Ahmet Ertegun… Auerbach n’est pas Ertegun,
même les supporters du PSG le savent. Mais bon, il essaie … et plutôt bien. Bizarrement,
et même si Winehouse et Springfield sont des comparaisons justifiées, c’est du
côté de l’Elvis himself que je trouve le plus de similitudes. L’Elvis qui avait
rué dans les brancards du colonel Parker et s’en était allé enregistrer les
choses dont il rêvait à Memphis sous la houlette de Chips Moman, accompagné par
les sessionmen hantant l’American Sound Studio. Deux de ces maintenant vénérables
ancêtres se retrouvent sur tous les titres de ce « Shannon in Nashville »,
l’organiste Bobby Wood et le batteur Gene Chrisman.
Bon, Auerbach et la Shannon qui cosignent tous les titres
ne sont pas au niveau de Jerry Butler, Hank Snow ou Burt Bacharach qui avaient
fourni les titres au King. Il n’y a rien dans « Shannon in Nashville »
qui égale ou s’approche de merveilles comme « Only the strong survive »,
« Any day now » ou « In the ghetto ». Et là où le bât
blesse le plus, c’est au niveau de la production. Auerbach en fait des tonnes,
empilant les pistes de claviers, de cuivres, de vocaux, mixant tout exagérément
en avant, façon démonstration de force technique, alors qu’un peu plus de feeling
et de retenue auraient été mieux appropriés. Bon, ce type fait partie des Black
Keys, pas le groupe le plus finaud de la Terre, faut pas lui demander l’impossible.
Shannon Shaw, Bobby Wood, Dan Auerbach & Gene Chrisman |
Ceci étant, il n’en reste pas moins que « Shannon in
Nashville » est un putain de bon disque et qu’il m’étonnerait qu’il en
sorte beaucoup de ce niveau dans les prochains jours. Les compositions sont
bonnes, y’a de super mélodies, on n’a pas un titre photocopié treize fois pour
arriver aux quarante syndicales minutes, et la Shannon est impressionnante
derrière le micro. Il y a de l’émotion, de la retenue, des démonstrations de
puissance vocale qui lorsqu’elle ne donnent pas dans le systématisme forcé
laissent entrevoir l’immense chanteuse qui se révèle devant nos oreilles pas
habituées à pareil festin sonore par les mornes temps qui courent. La bougresse
s’exhibe sans retenue, mettant dans ses paroles ses joies et ses peines et tout
ça ça devient son blues. Elle a pas peur de montrer son cœur en mille morceaux
(« Cryin’ my eyes out »), mais compte pas passer sa vie à chialer sur
le tocard qui l’a larguée (« Freddies ‘n’ Teddies »), à des lieues
des pleurnicheries de circonstance qu’on entend partout. On a les lents crescendos soul (« Golden
frames »), des ballades millésimées (« Goodbye summer », « I
might consider », « Coal on the fire »), des mélodies pop (« Leather,
metal, steel », « Lord of Alaska »). Le fantôme de la Winehouse hante «
Bring her the mirror », celui d’Elvis « Love can’t explain » ou « Cold pillows ».
En fait, tous les titres mériteraient la citation … rien de faible, rien
qui sonne comme du remplissage …
Disque de l’été qui devrait même passer l’hiver … Peut-être disque de
l’année donc …
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