Aujourd’hui, Santana (le Carlos) est aussi chiant
que les disques qu’il fait. Vous me direz , c’est pas le seul de sa génération
et qu’on peut pas être et avoir été, ce genre de choses … N’empêche, voir ce
pépé après des années de mutisme méprisant revenir tout sourire devant des
journalistes pour faire vendre sa dernière daube jazz-rock-zen-cool-bouddhiste
et les concerts qui vont avec où se rendent tous les hipsters En Marche (les
mêmes qui vont voir les « performances » de Souchon et de la Dion et
vont nous niquer profond pendant cinq ans avec leur autre façon de faire de la
politique participative et diverses couillonnades du même genre), montre que
vieillesse et dignité ne sont pas deux mots qu’on peut accoler facilement dès
qu’il s’agit de rock ou de quelque chose qui est censé y ressembler.
Vérification faite, le dernier disque en date de
Santana sur mes étagères, c’est le très mauvais « Amigos », plus de
quarante piges au compteur. Et pourtant, ça avait plus que bien commencé …
Flashback …
Santana, le groupe |
Quartiers « populaires » de San Francisco,
fin des années 60. Deux jeunes passionnés de musique traînent toujours ensemble.
L’Américain pur jus Greg Rolie et le Mexicain de naissance Carlos Santana. Ils
passent leur temps à écouter les Beatles, les Doors, Hendrix, et toute la scène
psyché qui explose en Californie. Rolie a une formation de pianiste et se
régale de maltraiter son orgue Hammond. Santana est guitariste. Des groupes
sans lendemain sont montés sous l’égide des deux potes. A moment donné, parmi
ces orchestres à géométrie variable, une tendance se dessine. Il y a beaucoup
de batteurs ou de percussionnistes, beaucoup de métèques pour en jouer, le plus
souvent comme Santana ayant leurs racines de l’autre côté du Rio Grande, et les
rythmes latinos se mêlent aux rythmes rock.
Sentant qu’ils tiennent un truc, Rolie, Santana et
leurs potes réussissent à faire venir à une répète une « star » chicano
comme eux, un certain Gianquinto, dont le titre de gloire est d’accompagner
parfois l’harmoniciste James Cotton. Le verdict du pro est sans appel :
les titres sont trop longs, chacun y allant de son solo égomaniaque. Première
baffe (ils ne lui en voudront pas, il sera recruté comme arrangeur lorsqu’ils
iront pour de bon en studio). Les basanés ne se découragent pas, tournent
inlassablement là où on veut bien d’eux à Frisco. Apothéose, leur réputation
scénique finit par parvenir aux oreilles de Bill Graham (le patron du Fillmore
et le Parrain de toute la scène musicale psyché, celui qui peut faire ou
défaire les stars) qui lui aussi vient écouter les bestiaux. « C’est quoi
votre bordel, vous faites que des instrumentaux, mettez des paroles si vous
voulez que quelqu’un vous écoute un jour ». Deuxième baffe dans les rêves
de gloire.
Santana, le Carlos |
Mais les gars s’obstinent, suivent ces deux
conseils, raccourcissent leurs compos et chantent (enfin, si on veut, voir plus
loin) par-dessus (Rolie avec Santana aux backing vocaux). Fin 68, le groupe
baptisé définitivement Santana rentre en studio pour un single qui sort début
69. « Evil ways » va scotcher tous les hippies. Et définir le Santana
sound. Un rythme très chaloupé, des percus de partout, le B3 de Rolie et la
Gibson SG du Carlos étant obligés de faire des prodiges pour se faire une place
dans tout ce bordel tambouriné. Petit succès dans les charts, et le groupe
entre-temps signé par la Columbia part en studio enregistrer son premier 33T. Bon,
à cette époque-là, il sortait des singles fabuleux tous les jours et des albums
de légende toutes les semaines ou quasiment. « Evil ways » et ses auteurs
sont plus ou moins oubliés quand début Août paraît « Santana » le
disque.
Coup de bol, Santana a été retenu pour ouvrir une
journée à Woodstock. Le 16 Août en début d’après-midi, sous un soleil de plomb,
les Santana prennent la scène d’assaut. Avec son guitariste qui a envie d’en
découdre devant cette foule de festivaliers en train de se réveiller. Faut dire
qu’on l’a vu avant le gig discuter avec Jerry Garcia, pape-gourou des hippies,
et descendre une quille de Mezcal. Le groupe à l’unisson suit son leader, et le
Santana band va livrer un des cinq morceaux de légende du festival, une version
cataclysmique de leur pièce de bravoure « Soul sacrifice ». (Pour
info, les quatre autres titres historiques de Woodstock sont le « No rain,
no rain » du public, « I’m goin’ home » d’Alvin Lee et de ses
Ten Years After, « I want to take you higher » de Sly et sa Famille
Stone et le « Star spangled banner » concassé par Hendrix à l’aube
blême du quatrième jour devant des rescapés hébétés). En tout cas, sur la foi
de cette seule prestation enragée, l’histoire de Santana (le groupe et son
leader) va prodigieusement s’accélérer.
« Santana » le disque est excellent, voire
plus. Aurait-il permis à ses auteurs la gloire qui fut la leur sans leur
prestation explosive à Woodstock, the answer my friend is blowin’ in the wind …
Assez intelligemment, la réédition de 1998 a la bonne idée de rajouter au 33T
studio trois titres joués à Woodstock dont évidemment « Soul
sacrifice ». A noter que live, les titres durent le double que leur
version studio, chassez le naturel et il revient au galop …
Aujourd’hui ce « Santana » premier du nom
reste une des pierres angulaires du groupe (et de son leader), et avec son
successeur « Abraxas » un des trucs à avoir absolument sur ses
étagères. On y trouve, quarante siècles avant Fishbone, les Red Hot Machin et
tous les autres balourds en pantacourt ce que doit être une fusion de genres
musicaux réussie. A tel point que le débat fait encore rage (voir les notes de
livret de la réédition) : Santana a-t-il inclus des rythmes latinos au
rock ou le contraire ? Vous avez deux heures avant que je ramasse les
copies, c’est coefficient 6 je vous rappelle…
Santana, Woodstock,16/08/1969 |
Parce que jusqu’à présent, les sonorités chicanos
dans le rock, ça se limitait à « La bamba » de Ritchie Valens et au Farfisa
hispanique de Sam « Wooly Bully » the Sham (qui était Texan) ou de
Question Mark « 96 Tears » & the Mysterians (qui eux étaient du
Michigan). « Santana » n’est pas un disque communautariste (comme en
feront plus tard Los Lobos), il participe juste à faire avancer le schmilblick,
à ouvrir d’autres portes, d’autres espaces au rock, pour reprendre la
terminologie doorsienne de l’époque.
« Santana » est d’une redoutable
cohérence. Neuf titres qui explorent ce mix entre culture latino-américaine et
rock, les deux qui s’en écartent un peu (« Shades of time » plutôt
soul et « Persuasion » heavy rock psyché à la Cream) semblant bien
fades et convenus à côté du reste, alors qu’ils ne sont loin d’être indignes.
Le reste, c’est emmené par des percussions qui sortent de partout (trois types,
Carabello, « Chepito » Areas et Shrieve aux diverses batteries,
percus, congas, timbales). Fidèles à leur idée de départ, les Santana couchent
sur vinyle quatre instrumentaux (et les textes du restant seront très concis et
d’une valeur littéraire proche du zéro absolu, mais on s’en cogne)
« Waiting » en intro, le court « Savor »,
« Treat » comme un avant-goût du Carlos roi du sustain, et évidemment
« Soul sacrifice ». On pourrait même y rajouter le single
« Jingo » qui se contente de quelques onomatopées, un titre repris au
percussionniste nigérian Olatunji (déjà plagié par Gainsbourg avec « Marabout »),
voire la jam bordélique soul de « You just don’t care », tant les
deux titres se composent du minimum syndical niveau paroles.
La mythique pochette avec sa tête de lion stylisée
est signée Lee Conklin, un des illustrateurs (affiches, pochettes de disque)
les plus connus du mouvement psychédéliques.
Conclusion : comme pas mal de choses, Santana,
c’était vraiment mieux avant …
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Amigos
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