Ang Lee est
un réalisateur d’origine taïwanaise très vite repéré par les studios
hollywoodiens. Un réalisateur qui touchera à tous les genres cinématographiques
(de « Hulk » au « Secret de Brokeback Mountain » en passant
par « Tigre et dragon » pour finir avec la 3D synthétique de
« L’odyssée de Pi »). Difficile de trouver un thème conducteur dans
sa filmographie, si ce n’est peut-être celui des relations humaines.
Ang Lee & Sigourney Weaver |
« Ice
storm » est un de ses premiers films « hollywoodiens ». C’est
une fresque quasi entomologiste sur un petit échantillon d’américains.
L’intrigue du film se déroule en quelques jours, et suit les pérégrinations,
surtout amoureuses, de deux familles bourgeoises de la banlieue new-yorkaise
(New Canaan dans le Connecticut). Plus que leur passé, Ang Lee prend beaucoup
de soin à nous présenter les lieux, les gens, l’époque : le début de
l’hiver 73, en plein scandale du Watergate. Le parallèle avec la politique
n’est pas un hasard, en même temps que les citoyens se découvrent dirigés par
des incompétents et des ripoux, toute une certaine american way of life est en
train de s’effondrer. Toutes ces familles aisées, « cool », libérales
et se croyant libérées, rattrapées par les idéaux hippies (la picole, les
médocs-drogues légaux, la baise tendance échangisme), vont à l’occasion d’un
événement climatique peu commun (une grosse pluie très givrante), prendre la
réalité de la vie et de ses aléas en pleine poire …
Kevin Kline, Joan Allen & Christina Ricci |
Là où
beaucoup se seraient laissés aller à grossir le trait, Ang Lee fait dans la
précision et le détail. Traite avec une finesse et une sensibilité que l’on
retrouve toujours chez lui dans ces cas-là des situations
« difficiles », ici les premiers émois amoureux d’enfants-adolescents
… Mais ce sont aussi les détails qui servent à situer les personnages.
Le mari
(Kevin Cline) ne parle pas de son travail, mais on le voit fugacement lire le
Wall Street Journal, ça le situe. Sa femme au foyer (Joan Allen), on la sent
fragile (elle a des pulsions kleptomanes, a suivi des thérapies de groupe). Ils
n’ont plus de vie « physique » de couple. Leur fils aîné Paul est
farci de complexes, se construit un monde en lisant ses BD de super-héros (le
cocasse évidemment involontaire de la situation, c’est que le rôle est tenu par
Tobey Maguire, futur Spiderman chez Sam Raimi). Leur fille (Wendy / Christina
Ricci), en plein « âge bête » ne sait trop comment gérer sa sexualité
qui bourgeonne et se la joue rebelle-contestataire.
Dans la
famille voisine, le père est souvent absent et de toutes façons
« ailleurs », sa femme (excellente Sigourney Weaver) joue les mantes
religieuses avec les hommes qui passent à sa portée. L’aîné des enfants Mikey
(Elijah Wood, on peut pas dire qu’il sente pas les carrières futures dans ses
choix, Ang Lee, réunir dans trois rôles d’ados Maguire, Ricci et Wood, fallait
le faire …), apparemment très doué, est livré à lui-même et se conduit souvent
étrangement. Rien cependant à côté de son cadet, Sandy, gosse lunaire et très
immature, qui souffre manifestement de l’absence morale de ses parents …
Tobey Maguire |
Dans cette
communauté (les deux familles n’entretiennent pas que des rapports d’amitié, il
y a des liaisons en forme de chassé-croisé entre leurs composants) d’adultes
infantiles et d’enfants laissés trop souvent seuls avec leurs problèmes, les
masques vont tomber brutalement lors d’une soirée où s'abat une pluie givrante.
Les parents sont réunis dans une soirée bourgeoise avinée décadente, une
« soirée porte-clés » (les clés de voiture sont mises dans un
saladier, les femmes en prennent une au hasard et partent passer la nuit avec
le propriétaire de la voiture) qu’ils recréent dans leur petit bled, parce que
les gens de la haute font ça à New York. Les enfants comme d’hab, sont livrés à
eux-mêmes, et pour eux comme pour la plupart de leurs parents, la soirée va
mal, voire tragiquement se passer …
Elijah Wood |
Tout le
talent de Lee, c’est de ne pas verser dans la soupe psychologique, les
huis-clos bien plombants et les cris hystériques. Il y a toujours une
situation, une attitude qui prêtent à sourire, entre ces parents qui ont
tendance à s’infantiliser, leurs gosses à la ramasse et tous leurs petits
secrets de pacotille. Il y a aussi des sujets graves ou dérangeants traités
avec une finesse et une pudeur remarquables.
Il y a de
nombreux points communs entre « Ice storm » et « De beaux
lendemains » (« The sweet hereafter » en VO) de Atom Egoyan.
Beaucoup de situations, de thèmes, les rôles primordiaux accordés aux enfants,
et la météo glaciale sont communs aux deux films. Par pur hasard, ces deux
excellentes réalisations étant sorties à deux semaines d’intervalle. Les grands
esprits se rencontrent …