« Superfly », c’est un film de l’âge d’or
du cinéma dit de blaxploitation, mis en scène par un certain Gordon Parks Jr.
avec comme acteur principal le dénommé Ron O’Neal. Artistiquement, entre série
B et nanar.
« Superfly », c’est la bande-son dudit
film, écrite et produite par Curtis Mayfield. Et là, on n’est pas dans la série
B, c’est peut-être bien la meilleure B.O. originale (avant que les B.O.
deviennent des compilations de hits) jamais publiée.
Et pourtant, un bon paquet de stars de la black
music s’y sont collées, à la B.O. des films de blaxploitation. Une façon pour
eux de valider cette négritude artistique revendiquée par des cinéastes au
tournant des années 70. Précurseur, Melvin Van Peebles, acteur, réalisateur et
responsable de la bande-son de « Sweet Sweetback’s Baadasssss Song ».
Dans la foulée, Marvin Gaye, James Brown (pas leurs disques les plus
marquants), et deux sérieux clients pour qui l’exercice de la B.O. va
constituer le tremplin majeur de leur carrière : Isaac Hayes pour
« Shaft » et donc Curtis Mayfield pour « Superfly ».
Curtis Mayfield n’est pas vraiment un débutant en
1972. Une carrière à succès avec le trio vocal The Impressions, des débuts en
solo remarqués (notamment « Curtis »), et surtout la co-fondation du
label Curtom qui lui donnera une liberté artistique quasi totale. Il faut bien
ça pour que paraisse un disque comme « Superfly », qui est un constat
sans langue de bois de la situation des Afro-américains, écartelés entre
racisme au quotidien et ghettoïsation (avec toute la spirale qui peut aller
avec, la délinquance, la dope, …). Et sur le disque « Superfly »,
Curtis Mayfield va beaucoup plus loin que le film « Superfly », qui
se contente à peu près d’avoir un héros Noir.
Bon, le discours politique et social au sens noble
du terme (et encore faut-il être bilingue pour l’apprécier) n’aurait pas suffi
pour que le disque traverse les décennies en restant une référence. C’est aussi
du strict point de vue musical que ça se passe. Et là, il a fait très fort le
Isaac Hayes. Tout écrit, tout arrangé, tout produit. « Superfly » est
une prouesse assez unique. L’ADN du Isaac Hayes sound, c’est la voix de fausset
et la guitare wah-wah. Et puis, viennent s’ajouter aux instruments basiques du
rock (ou de la soul, ou du funk, …) des cordes, des cuivres, un grand
orchestre, et d’une façon générale tout ce qui peut produire de la musique.
N’importe qui empilant tout ça produit
un loukoum insupportable. Isaac Hayes arrive à faire sonner
« minimaliste » une multitude d’instruments, alors que selon le
modèle déposé par Spector (le Wall of sound), plus il y a d’instruments, plus
le son doit être énorme. Généralement Hayes joue sur le mixage, mettant en
avant tantôt une ligne de basse, tantôt sa voix, tantôt la guitare, ou les
claviers, ou un petit gimmick aguicheur, et reléguant quasiment en sourdine
tout le reste.
Curtis Mayfield live dans "Superfly" |
Et puis, nerf de la guerre, y’a les titres. Les
trois premiers sont fabuleux. « Little child runnin’ wild », avec
tous les ingrédients sonores qui s’ajoutent les uns aux autres (les percus, la
wah-wah, les riffs de cuivres, la voix de fausset de Mayfield, les phrases de
sax, …) montrent où Prince est allé piocher (le nain par la taille de Minneapolis
a toujours revendiqué cette influence), « Pusherman » est menée par
une énorme ligne de basse magique, « Freddie’s dead » et son
minimalisme exubérant (si, si, c’est possible), permet de voir dans une scène
du film Isaac Hayes jouer le titre live dans une boîte. Trois titres qui avec
le court instrumental jazz-funk « Junkie’s chase » faisaient de la
première face vinyle de « Superfly » une des plus cruciales de la
black music.
Côté verso, c’était pas mal aussi. « Gimme your
love » servait (what else ?) de bande-son à des ébats dans une
baignoire entre Ron O’Neal et une beauté black, « No think on
me (Cocaine song) » est une ballade soul belle à en faire une overdose,
« Think » est un instrumental introduit par une guitare acoustique et
une ligne de synthé, avant de partir dans un crescendo ébouriffé, quant au
funk-rock de « Superfly » le morceau, c’est le titre qui était sorti
le premier en single, c’est dire qu’il a quand même un certain potentiel.
« Superfly » dépasse bien évidemment par
l’influence qu’il aura sur la musique noire des 70’s (sans même parler de tous
ceux du rap qui le sampleront par la suite) le strict cadre de la simple B.O.
Il est curieux de voir qu’après sa mort (en 1999, après une dizaine d’années
d’hémiplégie suite à la chute d’une rampe d’éclairage sur scène qui lui a brisé
les reins), si tout ce que le music-business compte de grands noms centristes
(Franklin, Springsteen, Stewart, Clapton, Marsalis, …), s’est réuni autour de
ses chansons pour un album tribute, personne dans la liste n’a osé s’attaquer à
un titre de « Superfly » …
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"...si tout ce que me (LE) music-business compte de grands noms centristes (Springsteen,... Clapton,...)"
RépondreSupprimerC'est gentil aussi de s'inquiéter pour Luc...