ANG LEE - ICE STORM (1996)

De tristes lendemains ...
Ang Lee est un réalisateur d’origine taïwanaise très vite repéré par les studios hollywoodiens. Un réalisateur qui touchera à tous les genres cinématographiques (de « Hulk » au « Secret de Brokeback Mountain » en passant par « Tigre et dragon » pour finir avec la 3D synthétique de « L’odyssée de Pi »). Difficile de trouver un thème conducteur dans sa filmographie, si ce n’est peut-être celui des relations humaines.
Ang Lee & Sigourney Weaver
« Ice storm » est un de ses premiers films « hollywoodiens ». C’est une fresque quasi entomologiste sur un petit échantillon d’américains. L’intrigue du film se déroule en quelques jours, et suit les pérégrinations, surtout amoureuses, de deux familles bourgeoises de la banlieue new-yorkaise (New Canaan dans le Connecticut). Plus que leur passé, Ang Lee prend beaucoup de soin à nous présenter les lieux, les gens, l’époque : le début de l’hiver 73, en plein scandale du Watergate. Le parallèle avec la politique n’est pas un hasard, en même temps que les citoyens se découvrent dirigés par des incompétents et des ripoux, toute une certaine american way of life est en train de s’effondrer. Toutes ces familles aisées, « cool », libérales et se croyant libérées, rattrapées par les idéaux hippies (la picole, les médocs-drogues légaux, la baise tendance échangisme), vont à l’occasion d’un événement climatique peu commun (une grosse pluie très givrante), prendre la réalité de la vie et de ses aléas en pleine poire …
Kevin Kline, Joan Allen & Christina Ricci
Là où beaucoup se seraient laissés aller à grossir le trait, Ang Lee fait dans la précision et le détail. Traite avec une finesse et une sensibilité que l’on retrouve toujours chez lui dans ces cas-là des situations « difficiles », ici les premiers émois amoureux d’enfants-adolescents … Mais ce sont aussi les détails qui servent à situer les personnages.
Le mari (Kevin Cline) ne parle pas de son travail, mais on le voit fugacement lire le Wall Street Journal, ça le situe. Sa femme au foyer (Joan Allen), on la sent fragile (elle a des pulsions kleptomanes, a suivi des thérapies de groupe). Ils n’ont plus de vie « physique » de couple. Leur fils aîné Paul est farci de complexes, se construit un monde en lisant ses BD de super-héros (le cocasse évidemment involontaire de la situation, c’est que le rôle est tenu par Tobey Maguire, futur Spiderman chez Sam Raimi). Leur fille (Wendy / Christina Ricci), en plein « âge bête » ne sait trop comment gérer sa sexualité qui bourgeonne et se la joue rebelle-contestataire.
Dans la famille voisine, le père est souvent absent et de toutes façons « ailleurs », sa femme (excellente Sigourney Weaver) joue les mantes religieuses avec les hommes qui passent à sa portée. L’aîné des enfants Mikey (Elijah Wood, on peut pas dire qu’il sente pas les carrières futures dans ses choix, Ang Lee, réunir dans trois rôles d’ados Maguire, Ricci et Wood, fallait le faire …), apparemment très doué, est livré à lui-même et se conduit souvent étrangement. Rien cependant à côté de son cadet, Sandy, gosse lunaire et très immature, qui souffre manifestement de l’absence morale de ses parents …
Tobey Maguire
Dans cette communauté (les deux familles n’entretiennent pas que des rapports d’amitié, il y a des liaisons en forme de chassé-croisé entre leurs composants) d’adultes infantiles et d’enfants laissés trop souvent seuls avec leurs problèmes, les masques vont tomber brutalement lors d’une soirée où s'abat une pluie givrante. Les parents sont réunis dans une soirée bourgeoise avinée décadente, une « soirée porte-clés » (les clés de voiture sont mises dans un saladier, les femmes en prennent une au hasard et partent passer la nuit avec le propriétaire de la voiture) qu’ils recréent dans leur petit bled, parce que les gens de la haute font ça à New York. Les enfants comme d’hab, sont livrés à eux-mêmes, et pour eux comme pour la plupart de leurs parents, la soirée va mal, voire tragiquement se passer …
Elijah Wood
Tout le talent de Lee, c’est de ne pas verser dans la soupe psychologique, les huis-clos bien plombants et les cris hystériques. Il y a toujours une situation, une attitude qui prêtent à sourire, entre ces parents qui ont tendance à s’infantiliser, leurs gosses à la ramasse et tous leurs petits secrets de pacotille. Il y a aussi des sujets graves ou dérangeants traités avec une finesse et une pudeur remarquables.

Il y a de nombreux points communs entre « Ice storm » et « De beaux lendemains » (« The sweet hereafter » en VO) de Atom Egoyan. Beaucoup de situations, de thèmes, les rôles primordiaux accordés aux enfants, et la météo glaciale sont communs aux deux films. Par pur hasard, ces deux excellentes réalisations étant sorties à deux semaines d’intervalle. Les grands esprits se rencontrent …


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