Jackie Wilson said ...
J’ai des disques dont je ne sais pas ou je ne sais plus
pourquoi je les ai achetés. Celui-là, j’ai la traçabilité totale …
Ça a commencé en 82 avec une chanson sur
« Too-Rye-Ay » des Dexys Midnight Runners qui s’appelait
« Jackie Wilson said », festive et entraînante, que j’écoutais
souvent. Et comme y’avait pas Google, je me demandais si ce Jackie Wilson était
quelqu’un de réel. J’ai tout juste réussi à atterrir sur Van Morrison qui avait
écrit ce titre, et à claquer des billets de cent balles pour acheter ses
disques, parce que Van the Man quand on prend ça en pleine poire sans être
averti, c’est quand même quelque chose … Puis j’ai appris que Jackie Wilson,
c’était un truc phénoménal, mais pas moyen de foutre la main sur un de ses
disques dans ma cambrousse …
Et puis, le Jackie Wilson, il a claqué, un de ses titres
avec un clip tout en pâte à modeler passait partout, et il sortait des compiles
vite faites et mal foutues, tout juste assez bonnes pour se faire une idée du
bonhomme. Et je me suis promis, tant les listes de disques à acquérir en
priorité devenaient exponentielles, qu’une fois fortune faite, j’achèterais des
trucs qui tiennent la route de lui …
Et donc, une fois fortune faite (rire grinçant), j’ai un
jour craqué sur un coffret de trois Cds du Jackie Wilson. Et euh, comment dire
… j’aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de faire chauffer la
carte bleue … Pour des raisons communes à tous, d’abord. Un coffret qui se veut
rétrospectif et exhaustif, ça laisse forcément passer des choses plus ou moins
anodines. Et pour une raison particulière à Jackie Wilson, c’est que plus qu’un
autre, il a fait n’importe quoi plus souvent qu’à son tour.
Pas forcément sa faute. Dans la grande tradition des
artistes noirs truandés par des managers et un show-biz véreux, il peut viser
le podium. A tel point que quand il sera fusillé sur scène par un AVC ou un
truc de ce genre en 1975, qui le laissera pendant dix ans dans un état
végétatif, sa famille n’aura pas les moyens de payer les soins, alors que sans
être quelqu’un qui avait monopolisé les sommets des charts, il avait eu des
hits significatifs aux States. Ses soins, c’est Elvis (et ensuite Priscilla,
parce que Elvis va mourir avant Wilson) qui les payera. Et pourquoi le King,
qui n’est pas vraiment considéré comme un des philanthropes du rock a
raqué ? Ben, parce que le King, que certains considèrent un peu trop
facilement comme le plus grand chanteur de rock de tous les temps, il avait un
jour vu Jackie Wilson sur scène, et comment dire, ne s’en était jamais remis …
Jackie Wilson et un fan de Graceland, Memphis, Tennessee |
Parce que techniquement parlant, Jackie Wilson, ce doit
être la voix la plus impressionnante à s’être aventurée dans le monde, au sens
large, du rock. A tel point qu’il a envisagé à plusieurs reprises durant sa
carrière de se réorienter vers le chant lyrique ou l’opéra (figurent sur cette
compile quelques titres, airs de classique revisités soul, sur lesquels la
démonstration en est faite, mais ce sont loin d’être les plus intéressants). Et
quand on sait qu’au début des années 60, James Brown a été poussé sur scène
dans ses derniers retranchements et a vu sa suprématie menacée par un Jackie
Wilson explosif, grand adepte aussi d’agenouillements, génuflexions et
déchiquetant devant des fans transis sa veste trempée de sueur, il faut
reconnaître, qu’en plus de la meilleure voix, Jackie Wilson, c’est aussi le
meilleur gâchis de carrière jamais vu …
Une carrière entamée adolescent comme lead singer du band
jazzy et doo-wop des Dominos de Billy Ward, puis une carrière solo débutée sur
les chapeaux de roue avec « Reet petite » (1957), petit hit
franchement orienté vers le rock’n’roll, sur lequel il rivalise, juste avec sa
technique pure avec l’hystérie d’un Little Richard. Wilson gravite alors dans
le sillage de Berry Gordy, co-auteur du titre, un Gordy dont Wilson s’éloignera
alors que celui-ci commence à monter Motown, inaugurant par là une série de
mauvais choix qui s’avèreront chroniques tout du long de sa carrière.
Wilson cherchera le hit, il en obtiendra bien un sans
suite (« Lonely teardrop »), avant de se laisser trimballer, au gré
de managers roublards et incompétents, vers du doo-wop lourdement orchestré,
des ballades lacrymales pré-soul, du rhythm’n’blues aux orchestrations
pharaoniques, tentant de se raccrocher à toutes les tendances, tous les sons à
la mode, faisant des duos avec d’éphémères chartbusters ou des gloires sur le
retour (Linda Hopkins, LaVern Baker, …), incendiant le temps de quelques titres
avec un orchestre de Count Basie sur la
pente descendante des classiques soul (« Chain gang » mais la version
de Wilson ne vaut pas l’originale de Sam Cooke), se contentant de prestations
vocales irréprochables servies par un cadre musical ultra-prévisible et sans
originalité.
Alors que dans le même temps (les années 60) un James
Brown radicalisait à chaque disque un peu plus son propos musical, Jackie
Wilson se laissait imposer un cadre sonore centriste.
Donc forcément, sur les 72 titres de cette compilation,
y’a à boire et à manger, et aussi beaucoup de choses à pousser sur le côté de
l’assiette. Ne surnage que la voix de Wilson, comme on n’en trouve qu’une
petite poignée par siècle, capable de chanter n’importe quoi. Ce qu’il ne s’est
malheureusement pas privé de faire …
Red va encore râler.
RépondreSupprimerOuais, je dis pas, la voix est là c'est sûr. Reet petite c'est le genre de truc qu'on connait sans savoir ni le nom de la chanson, ni de l'interprète. Ben voilà maintenant je saurai, je pourrai briller en société.
Mais 72 titres ? C'est beau d'y aller à fond, sans précaution aucune. vivement que tu te tapes l'intégrale de Painkiller.
Non, pourquoi ? C'est comme quand on voit quatre hirsutes en jean's et zonblou noir, on a l'impression d'écouter rien qu'en lisant le com et en regardant les photos... :)
SupprimerMais je préfère Sam Cooke, tu m'en voudras pas.
RépondreSupprimerOn peut raisonnablement préférer beaucoup de choses à Jackie Wilson ...
SupprimerDans le désordre, Sam Cooke, oui, mais aussi Otis, James B, M Gaye, W Pickett, ...
Et aussi le son du cor le soir au fond des bois ...
Sans oublier l'entrecôte grillée et le Saint-Julien ...