Born on the bayou ...
Selon la légende, le brave Ahmet Ertegun, pourtant
un type qui faisait plus que bien son boulot de big boss de la major Atlantic,
après avoir écouté le premier disque de ce Dr John qu’il venait de signer
aurait dit : « How can we market this boogaloo crap? ». Il avait
pas tout à fait tort, au moins sur un point. De ce « Gris-gris », il
en a vendu que dalle. Par contre, ce disque, c’est pas de la merdouille
boogaloo, c’est quand même un sacré truc …
Malcolm John Rebennack alias Dr John est en 1968 un
musicien professionnel depuis 14 ans (il en a 28), un multi-instrumentiste,
avec une prédilection pour le piano, et qui touche à tous les genres musicaux
(on le trouve en studio avec plein de gens, de Sonny & Cher à Canned Heat).
Il vient de la Nouvelle-Orléans, mais bosse surtout à Los Angeles.
Amulettes, colifichets, gris-gris et autres pendentifs : Dr John |
C’est là qu’il enregistre « Gris-gris »,
jouant surtout de la guitare à cause d’une blessure à la main qui l’empêche de
se servir du piano. Et comme si sa lointaine Louisiane lui manquait, il va la
mettre partout sur son disque. Mais pas une Louisiane de carte postale. La
musique de Dr John empeste l’odeur fétide des marais, leur moiteur étouffante,
et toutes ces vieilles légendes colportées par des générations d’esclaves, le
vaudou en particulier. Dr John est accro à toutes ces histoires de sorcières,
d’amulettes, de poudres, de filtres, et le doctorat que suggère son pseudo
tient plus des rebouteux, charlatans et autres guérisseurs que d’une quelconque
faculté de médecine. Il est aussi accro à toutes sortes de poudres blanches,
venant plus de Colombie que de pratiques plus ou moins magiques.
Il s’en explique d’ailleurs dès le 1er
titre « Gris-gris gumbo ya ya » dans lequel il se présente comme
« Dr John, the Night Tripper », et les autres sont farcis d’allusions
à des messes noires ou des pratiques religieuses « déviantes », des
zombies, des vieilles sorcières (« Mama Roux »), des croquemitaines
(Coco Robicheaux dans « I walked on guilded splinters »). Voilà pour
les réjouissantes visions cauchemardesques du Dr.
Quant à la musique, on comprend qu’elle ait pu
déstabiliser Ertegun qui n’avait pourtant pas les oreilles dans sa poche. Parce
qu’à une époque, LSD et autres substances aidant, la musique partait dans tous
les sens, celle de Dr John semblait venir d’un autre monde, où personne ne
s’était encore aventuré. Une synthèse de tout ce que l’on pouvait entendre à La
Nouvelle-Orléans, le jazz bien sûr (avec l’ombre tutélaire de Professor
Longhair, mentor de Dr John), le blues, les fanfares dixies et de Mardi-Gras,
le swing ou le rhythm’n’blues si particuliers de Fats Domino ou Lee Dorsey,
tout ça passé à la moulinette Rebennack, avec ces rythmes chaloupés et feignasses,
et ce chant grommelé, quelque part entre Captain Beefheart et Tom Waits. Un
Tom Waits dont les 40 ans de carrière sont déjà en filigrane d’un titre comme
« Dance Kalinda Ba Doom » et ses incantations barrées.
Les pièces essentielles du disque sont
« Gris-gris gumbo ya ya » comme un mix de « Sympathy for the
Devil » et « Midnight Rambler » des Stones, l’espèce de calypso
chaloupé « Mama Roux » sur la sorcière du bayou, et le définitif
morceau hanté « I walked on guilded splinters », qui nous entraîne
direct au milieu des alligators du bayou, peuplé de bruits étranges,
de croquemitaines, de goules perfides et de zombies errants. Tous les
gimmicks d’un Screamin’ Jay Hawkins à la puissance mille.
Ce « Gris-gris » est sans doute le disque
le plus jusqu’auboutiste de Dr John. Par la suite, il affinera son style tout
en le rendant moins aventureux, plus « accessible », et s’il ne sera jamais un gros vendeur de disques, il deviendra une des références les plus citées par
les autres musiciens … Encore en activité aujourd’hui, et d’une façon beaucoup
plus intéressante et digne que la plupart de ses contemporains encore en vie …
Du même dans ce blog :
In The Right Place
The Very Best Of Dr John
Locked Down
Du même dans ce blog :
In The Right Place
The Very Best Of Dr John
Locked Down
"Born on the bayou"... A ne pas confondre avec "Born on the Bayrou"...
RépondreSupprimerCa rentre dans les "bizarros", ça ? Si on compare à Hélène Ségara, d'accord. Mais face à un Merzbow, un Ground Zero ou un quelconque disque Tzadik...
RépondreSupprimerOuais, c'est du BON MATOS ça ! (c'est ma phrase récurrente de l'été)
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