Peurs et fantasmes ...
« Planète interdite », lorsqu’il est sorti en salles au printemps 1956 aux Etats-Unis a connu un joli succès populaire. C’est un film « à part », à la croisée de multiples genres.
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Fred Wilcox |
C’est résolument une série B
(voire pire) plus ou moins assumée, mêlant parfois en dépit du bon sens
science-fiction, romance, humour et horreur (tous ces genres devant aujourd’hui
être appréhendés à l’aune de ce qu’ils signifiaient au milieu des années 50).
C’est une série B qui se donne les moyens d’avoir du succès. La MGM produit, le
film est tourné en Scope et en couleurs (Eastmancolor), les effets spéciaux
sont en pointe et ambitieux. Et c’est apparemment le premier film
d’anticipation qui envoie l’Homme vers les planètes lointaines (jusqu’alors,
c’étaient des Aliens plus ou moins sympathiques qui venaient sur Terre). C’est
aussi un film qui exploite les rêves, peurs et angoisses du moment pour les
projeter dans le scénario.
Un scénario qui est une extrapolation de « La tempête » de Shakespeare (aucun avis, j’ai pas lu cette pièce). Derrière la caméra, Fred (McLeod) Wilcox, réalisateur maison de la MGM, dont le seul titre de gloire était d’avoir tourné la première série de films sur le colley Lassie la décennie précédente. Sur « Planète interdite », Wilcox fait le job, et utilise au maximum les effets spéciaux novateurs mis à disposition par la MGM.
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Robby & Morbius |
La star du générique est Walter
Pidgeon, acteur canadien à la grosse voix grave qui eut son heure de gloire la
décennie précédente avec des premiers rôles dans « Qu’elle était verte ma
vallée » et « Mrs Miniver », avant de voir son nom écrit de plus
en plus petit au générique de séries B. En haut de l’affiche avec lui, deux
quasi débutants, Leslie Nielsen (oui, celui qui obtiendra dans les années 80 la
célébrité internationale avec son personnage d’inspecteur Debrin dans la série
de film « Y a-t-il un flic … ») et Anne Francis, exemple type de ces
starlettes des 50’s qui partageront leur emploi du temps entre seconds rôles
sexy dans des nanars et shootings pour pages centrales des premiers magazines
pour adultes.
Et bizarrement, la star du film se révèlera être un tas de ferraille et de plastoc (avec un type à l’intérieur), Robby le Robot. Certainement « l’acteur » le plus cher du générique, sa conception et sa réalisation ayant coûté la somme non négligeable à l’époque de cent mille dollars. D’ailleurs Robby vivra sa vie après le film, en devenant le personnage principal d’une série B « The invisible boy » et d’un épisode d’un autre nanar télévisé (« The thin man »), un robot sans aucun rapport avec le « personnage » de « Planète interdite ».
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Leslie Nielsen |
« Planète interdite »
est un film d’anticipation se déroulant à la fin du XXIIème siècle (un siècle
après que l’homme ait marché sur la Lune, nous apprend-on en voix off au début
du film). L’évolution technologique a permis les voyages intersidéraux à x fois
la vitesse de la lumière et un équipage est en route vers la lointaine étoile
Altaïr, où un vaisseau d’exploration ne donne plus de signe de vie depuis une
vingtaine d’années. La mission de secours est menée par le capitaine Adams
(Leslie Nielsen). Lorsque leur vaisseau s’approche de la planète, ils reçoivent
un message peu amène du scientifique de l’équipe supposée disparue (le
professeur Morbius / Walter Pidgeon) leur stipulant qu’il n’a besoin de rien et
surtout de personne et l’enjoignant de faire demi-tour. Le vaisseau de
sauvetage se pose malgré tout, est accueilli par un Morbius soupe-au-lait et sa
fille Altaïra (Anne Francis) beaucoup plus accorte et avenante, assistés par
leur robot multifonction Robby.
Très vite, on voit que Morbius
maîtrise des technologies bien plus avancées que ses visiteurs, on apprend
qu’avec sa fille ils sont les seuls survivants de leur équipage, décimé par une
force mystérieuse et maléfique. Et à mesure qu’Adams et sa troupe percent les
secrets de la planète Altaïr, ils se trouvent confrontés de plus en plus
violemment à un ennemi aussi invisible que dangereux.
Bon, ce genre de thriller spatial, on en a vu des milliards. « Planète interdite » est novateur dans le sens où son scénario jette les bases de plusieurs thématiques qui seront reprises dans les films de science-fiction à suivre. Par exemple, la série télévisée « Star Trek » est totalement décalquée sur Adams, son vaisseau et son équipe (le plus frappant ces décors d’intérieur, avec ces immenses tableaux représentant les futurs ordinateurs où trônent juste une poignée d’énormes boutons). La planète « habitée » par un créature maléfique (« Alien » of course et tant d’autres), les civilisations à l’intelligence supérieure (les Krells disparus d’Altaïr ont eu bien des « descendants » sur grand écran), tout ça est déjà dans « Planète interdite ». Par contre, ce qu’on verra pas trop par la suite ce sont des filles aussi girondes qu’Anne Francis dont les ultra mini-jupes (des années avant Mary Quant et Paco Rabanne) ont marqué les spectateurs de l’époque (oui, elle est plus sexy que Sigourney Weaver en marcel et petite culotte à la fin de « Alien »).
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Anne Francis |
« Planète interdite »
est un film qui joue sur les peurs. Celles visuelles (l’apparition du monstre),
mais aussi celles diffuses dans la société de l’époque liées au développement
du nucléaire et à son corollaire, celui des bombes atomiques. Le vaisseau
d’Adams est propulsé par l’énergie nucléaire, les Krells d’Altaïr ont exploité
au maximum cette énergie, l’ont utilisée pour leur bien, avant d’en devenir les
victimes et de laisser ses vestiges comme une malédiction pour quiconque
foulerait leur planète. On n’ira pas jusqu’à dire que « Planète
interdite » ouvre un débat de société, mais il traduit bien les réactions
de l’époque face à une technologie qui s’accélère, suscitant espoirs réels et
craintes diffuses mais tout autant réelles.
« Planète interdite »
rajoute des situations comiques (les scènes avec le cuistot de l’équipage,
l’apprentissage de la vie en société et amoureuse d’Altaira, certaines
apparitions de Robby, …), de la psychologie à deux balles (l’inconscient générateur
de monstruosités ou de monstres tout court). Le tout construisant une espèce de
macédoine scénaristique où tout part dans tous le sens, oubliant parfois le bon
(sens). Autre élément défavorable, le jeu des acteurs ne rentrera pas dans les
grands moments du 7ème Art.
Par contre, ce film rappelons-le de 1956 surprend par son aspect visuel. Les couleurs pétaradantes d’abord (on se contentait du noir et blanc pour la science-fiction, les défauts des trucages se voyaient moins), « Planète interdite » est du grand spectacle (les vaisseaux spatiaux se déplaçant à proximité des planètes, les décors « lunaires » d’Altaïr (pompés, et même carrément pillés par Roger Dean pour les pochettes de disque des sinistres Yes). Mais surtout, deux choses ont marqué les esprits : la visite de la cité souterraine des Krells qui juxtapose toutes les techniques d’effets spéciaux (images renversées, mate painting, décors gigantesques, …), et la création du monstre (c’est l’antique chefs des effets spéciaux du « Fantasia » de Disney qui a été recruté pour créer la bestiole, ainsi que les rayons laser des armes, et l’atterrissage du vaisseau).
D’ailleurs dans les bonus du
Blu-ray (des heures, pas toujours captivantes), on a droit à un défilé de
réalisateurs stars de films de sci-fi (Spielberg, Lucas, Scott, Cameron,
Landis, Carpenter, Dante, …) qui ne tarissent pas d’éloges sur « Planète interdite »,
nombreux étant ceux qui avouent y avoir pioché des sources d’inspiration pour
leurs œuvres majeures à eux. Tous sont à peu près unanimes pour dire qu’il
faudra attendre « 2001 » de Kubrick pour trouver un aussi gros choc
visuel. Et le plus enthousiaste du lot est Spielberg, alors que d’autres
(Ridley Scott et James Cameron pour pas les nommer) frisent parfois la
condescendance …