Une journée particulière ...
… dans la vie d’Isak Borg,
riche médecin qui doit aller fêter son jubilée (50 ans de diplôme) à la fac de
médecine où il a étudié. Et dans cette journée, c’est toute la vie d’Isak Borg
qui va défiler …
« Les fraises sauvages »
est un tour de force scénaristique (Bergman sera d’ailleurs nommé pour l’Oscar
du scénario en 1960, soit deux ans et demi après la sortie du film en Suède),
et aussi un grand numéro d’acteurs.
Bon, soyons clair. Bergman, c’est
déjà alors que les années cinquante tirent à leur fin (et ça l’est toujours
encore, personne ne l’a supplanté ou remplacé) la superstar du cinéma « nordique »
(plus que l’austère et « difficile » Dreyer, seul concurrent
valable), qui vient d’enchaîner deux merveilles, la comédie « Sourires d’une
nuit d’été » et « Le septième sceau », un des plus grands films
de tous les temps.Bergman, Andersson & Sjöström aux fraises ...
« Les fraises sauvages »
n’atteint même pas l’heure et demie, et sous son apparente simplicité, c’est un
film qui en plus de sa propre histoire, développe toutes les thématiques
récurrentes de l’œuvre de Bergman (les études de caractère fouillées, les
relations familiales, l’amour et la mort). Avec toujours de sublimes actrices
blondes, ici Ingrid Thulin et Bibi Andersson (employées de façon moins perverse
que chez Hitchcock). Et un hommage de Bergman à une de ses références, Victor
Sjöström. Mais qui est Sjöström, se demande le fan de Gad Elmaleh ? Ben,
Sjöström, c’est le premier à avoir placé la Suède sur la carte du cinéma
international avec une des masterpieces du cinéma d’épouvante, « La charrette
fantôme », il y a pile cent ans.
En choisissant ce metteur en
scène retiré du circuit comme acteur principal, Bergman inaugure (peut-être, il
me vient pas d’autres exemples antérieurs) une idée qui sera maintes fois reprises
par d’autres cadors de la caméra. Au hasard, Spielberg avec Truffaut pour « Rencontres
du troisième type », Godard avec « Fritz Lang pour « Le mépris »,
Polanski avec John Huston pour « Chinatown » …
Isak Borg /Sjöström est le cœur
du film. Il est assis à son bureau et se présente en voix off avant le
générique. Il a 78 ans, est médecin, veuf, très riche, égoïste et misanthrope
et doit se rendre dans la journée à Lund (assez loin de là où il habite,
peut-être Stockholm, mais c’est pas précisé) pour être honoré dans son ancienne
fac. Après le générique, Borg nous fait revivre un rêve qu’il a fait dans la
nuit, où il arpente une ville déserte, rencontre un homme sans visage, regarde
l’heure à une horloge sans aiguilles, voit passer un corbillard qui perd une
roue, le cercueil tombe et s’ouvre, une main en sort saisit celle de Borg, et
le force à se pencher vers l’intérieur où le cadavre, ben c’est lui. La scène
du corbillard est très certainement un hommage à « La charrette fantôme »
de Sjöström, les autres éléments trouveront leur signification plus loin dans
le film.
On s’aperçoit que la seule
personne qui relie Borg à la société, voire à l’humanité, c’est sa vieille
gouvernante à laquelle il annonce au réveil que son voyage à Lund, il va
finalement le faire en voiture, ce qui n’était pas prévu. Sa belle-fille Marianne
(Ingrid Thulin) qui vit chez lui depuis quelque temps (on saura là aussi
pourquoi vers la fin) se décide à l’accompagner.Thulin & Sjöström
Dès lors, l’essentiel du film
va se passer en voiture, et dans les lieux où ils vont s’arrêter durant leur voyage.
Le premier arrêt à lieu dans l’ancienne maison de campagne familiale, inhabitée
depuis longtemps. Il faut pour y accéder traverser des sous-bois, où Borg
adolescent venait cueillir des fraises sauvages. Et ces fraisiers sauvages vont
agir sur lui telle la madeleine de Proust. Ressurgissent alors les repas de
famille (nombreuse, Borg était l’aîné de dix enfants, lui seul est encore en
vie), et la cour qu’il faisait à Sara (Bibi Anderson), qui lui préfèrera un de
ses frères. Et dès lors s’enclenche tout le process du film. Chaque lieu,
chaque rencontre, lui remémore un ou des épisodes de sa vie. S’il s’agit d’évocations,
un jeune acteur joue son rôle. Lorsqu’il voudrait « réécrire » des
événements, agir différemment avec le recul du temps, c’est Sjöström qui joue
face à de jeunes acteurs.
Vont se succéder la rencontre
de trois jeunes auto-stoppeurs, une fille (elle aussi prénommée Sara, elle
aussi jouée par Bibi Anderson) et ses deux soupirants, un couple qui vient d’avoir
un accident de voiture et qui passe son temps à s’engueuler, la (très) vieille
mère de Borg, encore plus revêche que lui, chaque rencontre appelant des
souvenirs passés de la vie de Borg. Le voyage sera aussi l’occasion de faire le
point pendant le trajet avec sa belle-fille, et arrivés à Lund et après la
cérémonie de son jubilée, de retrouver son fils, l’époux de Marianne, et sa
vieille gouvernante qui a fait le déplacement (en train ?). En une journée,
Borg aura fait face à son passé, les fantômes qui le hantent et sera prêt à affronter
l’avenir, autrement dit vu son âge, la mort …Sjöström & Andersson, jeux de miroirs et reflets d'existence
Même si une bonne moitié du
film se passe en voiture, on est assez loin d’un road movie à la « Thelma
et Louise ». Il n’en reste pas moins que raconter les éléments marquants
de la vie d’un type en une heure et demie, avec un procédé narratif assez
unique constitue une prouesse cinématographique. Sans que ça sonne comme un exercice
de style plombant (ce que Bergman fera parfois dans sa carrière). Et sans que
ça sonne sinistre. Il y a des scènes plutôt drôles (les deux sœurs jumelles qui
pensent et parlent en parfaite stéréo), la mère de Borg qui en quelques minutes
à l’écran définit un portrait de mégère insupportable comme on en a rarement vu
(une Tatie Danielle puissance dix pour situer), ce couple d’échoués de la route
qui finit par se donner des baffes (c’est la femme qui cogne), le trio de
jeunes auto-stoppeurs, leur triangle amoureux et leurs disputes futiles … et là
aussi, c’est la fille qui mène le jeu. Et on se retrouve donc, alors que le
personnage central est un vieux con misogyne, avec un film qui tourne le plus
souvent au manifeste féministe.
Bon, comme il s’agit de
Bergman, inutile de s’étendre sur le fait que les images, les cadrages et le
jeu des acteurs sont d’une précision diabolique.
Allez, un reproche pour finir. « Les
fraises sauvages » est un film tellement dense, tellement original dans sa
forme, qu’un seul visionnage ne suffit pas à en saisir toutes les subtilités.
Un des très bons du Maître suédois
cependant.
Pas vu, mais je dois l'avoir en DVD, j'en ai 4 ou 5 qui m'attendent, mais je ne sais pas pourquoi, ça ne me vient pas naturellement !
RépondreSupprimerDe Victor Sjöström, j'avais vu "Le vent" il y a très longtemps, et (si je puis dire) je me souviens de ce souvenir. J'avais été littéralement bluffé par la force du film, c'était ma période Murnau, Von Stroheim, où je découvrais que le cinéma muet ne se limitait pas à Buster Keaton ou Chaplin...
Film merveilleux, je confirme. Bon, maintenant, faut que je respire un bon coup avant de lire ta chronique ! (cinq minutes plus tard). Voilà, c'est fait... Mais quel blog, dis donc ! Tu l'as 'achement amélioré depuis la dernière fois que je m'y suis rendu. Cool. Me demande si je ne ferai pas mieux de reprendre le mien. Pour revenir à Les fraises sauvages, j'ignorais ce détail concernant l'acteur principal (à savoir qu'il avait été réalisateur). Sinon, oui, au niveau visuel, c'est parfait. Un film qu'a dû aimer un certain Bunuel... ;)
RépondreSupprimerfreddie