Mother's Nature Son ...
« Princesse Mononoke » c’est le film au retentissement mondial qui révèlera et Miyazaki et les productions de sa (co-)création, les studios Ghibli. Et plein de cinéphiles ou au moins d’amateurs de films d’animation s’aperçurent qu’il existait autre chose dans ce domaine que les studios Disney et ses productions. Tiens, suffit de comparer « Princesse Mononoke » avec le winner toutes catégories (et surtout financière) du genre, « Le Roi Lion » sorti trois ans plus tôt. « Le Roi Lion » c’est pour les enfants ou pour ceux qui font l’effort de rétropédaler dans le temps et retrouver des émotions de gosse, les personnages sont peu nombreux et les « saines » valeurs sont développées, le malheur, la souffrance, la résilience, avant le triomphe final. « Princesse Mononoke » a de quoi faire flipper les chères têtes blondes.
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Hayao Miyazaki |
L’intrigue
est complexe et protéiforme, les personnages secondaires nombreux et surtout,
c’est un film violent (voir l’affiche du film, plutôt soft par rapport à de
nombreuses scènes). Le sang gicle de partout, l’amour et le « camp du
bien » ne triomphent pas forcément. Et comme dans la plupart des films de
Miyazaki, les héros se trouvent confrontés à des forces maléfiques et des
mondes parallèles.
Point de départ, en des temps immémoriaux, le jeune prince Ashitaka, affronte la charge d’un monstre géant qui menace son village. Il tue le bestiau mais est blessé. Une vieille chamane du village lui révèle que sa blessure se révèlera mortelle (car le monstre est un sanglier « contaminé » et mutant), sauf à gagner les bonnes grâces d’une entité, l’Esprit de la forêt, qui seule a théoriquement le pouvoir de guérir la blessure. Voici donc notre héros chevauchant sa monture (un élan rouge) en route pour des contrées lointaines. Où il rencontrera un moine trop malin pour être honnête, une reine de la sidérurgie locale, des samouraïs belliqueux, forcément belliqueux, une jeune princesse (Mononoke) qui vit en compagnie de loups géants, une immense harde de sangliers géants, une foule de petites entités mignonnes et gentilles (les Sylvains, un peu le pendant des Ewoks de la saga Star Wars), et finalement l’Esprit de la forêt (un Dieu-Cerf qui marche sur l’eau le jour, et qui la nuit se transforme en créature immense semi gazeuse).
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Mononoke & Ashikata |
Le monde (ou
plutôt les mondes) décrits par Miyazaki font référence à d’obscures légendes
nippones, le Bien et le Mal s’affrontent perpétuellement et les personnages
sont complexes, ambivalents (les amitiés et alliances sont de circonstance et
ne durent pas toujours). Et puis des intrigues vont bien au-delà de l’histoire
elle-même. On finit par comprendre que l’équilibre séculaire entre les humains
et les forces naturelles (symbolisées par les bestioles géantes) a été rompu et
que les animaux doivent tuer les hommes « mauvais » pour rétablir cet
équilibre. Le principal point d’achoppement est représenté par Dame Eboshi qui
règne sur une sorte de phalanstère de parias (lépreux, anciennes prostituées),
fournit des métaux transformés (acier et ferrailles diverses) à l’Empereur, et
pour entretenir ses hauts fourneaux, déforeste à tout-va, ce qui entraîne la
révolte des entités animales. Ce qui fait de « Princesse Mononoke »
un film écolo militant avant que l’écologie militante devienne à la mode.
L’activité de Dame Eboshi étant cruciale, elle doit la défendre en mettant au
point des armes innovantes (des arquebuses hyper puissantes) et faire face à la
convoitise de ses clients (l’Empereur qui envoie ses samouraïs conquérir le
village-usine).
Mononoke représente elle les humains qui ont choisi de prendre fait et cause pour les animaux et l’équilibre ancestral qu’ils défendent. Pas vraiment dans l’esprit babacool, elle mène des raids violents à la tête de ses loups géants contre tous les agresseurs de la nature. Ces trois personnages principaux (Ashitaka, Eboshi, Mononoke) vont passer le film à s’observer, se jauger, s’allier, se combattre, tout en n’étant jamais ensemble dans le même « camp ». Et quand la cupidité des hommes (l’Empereur qui veut la tête du Dieu-Cerf censée lui conférer pouvoir suprême et immortalité) ira crescendo, la riposte de la Nature sera proportionnelle (l’espèce de lave qui s’écoule de la divinité décapitée va tout emporter sur son passage) … on meurt beaucoup dans « Princesse Mononoke » et pas seulement les méchants …
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Dame Eboshi |
Par rapport
aux précédents succès des studios Ghibli, notamment la triplette inaugurale de
ses productions, « Le château dans le ciel », « Mon voisin
Totoro » (dont le gentil monstre sert de logo aux studios), « Le
tombeau des lucioles », « Princesse Mononoke » est beaucoup plus
sombre, plus « engagé », plus « militant ». La fin est
positive a minima, on ne peut pas parler de happy end. Et de tous ceux que je
connais de l’immense Miyazaki, « Princesse Mononoke » est de loin le
plus sanglant, le plus violent.
Esthétiquement,
on est dans la ligne du parti des studios Ghibli. Tons pastel à la limite de la
transparence, décors de fond invariables quand l’action se passe au premier
plan. Ce qui n’empêche pas les prouesses graphiques des armées d’animateurs.
Les bases scénaristiques sont aussi intangibles, de jeunes héros évoluent dans
des mondes parfois parallèles peuplés de créatures aux pouvoirs surnaturels
face auxquelles ils doivent se surpasser, sortir de leurs zones de confort …
« Princesse
Mononoke » n’est pas la porte d’entrée la plus facile de l’œuvre (qui
accumule quand même une flopée de grands films) de Miyazaki. Mais c’est
certainement son film le plus adulte, le plus dense (plus de deux heures sans
temps mort), en un mot le plus magistral. Cauchemars garantis pour petites
têtes blondes non averties …
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