« Amours chiennes » (« Amores perros » dans la
langue des hispanos) est le premier long métrage de Alejandro Gonzalez Iñarritu.
On peut commencer plus mal derrière la caméra … d’autant plus que maintenant
Iñarritu collectionne les Oscars, deux à la suite en tant que réalisateur, une première,
pour « Birdman » et « The Revenant ». Je vais pas jouer les esprits chagrins, sortir le sempiternel
couplet « c’était mieux avant », parce que « Birdman » et « The
Revenant » se laissent regarder, et plutôt deux fois qu’une.
Même si le chef d’œuvre d’Iñarritu c’est pour moi « 21
grammes », son second film. Dont « Amours chiennes » se trouve
être le brouillon de génie, et « Babel » son follow up hollywoodien.
Point commun de ce tiercé, l’enchevêtrement des histoires, trois pour les deux
premiers, quatre pour « Babel ». Et un montage à chaque fois peu
orthodoxe, mélangeant espaces et temps au mépris de la chronologie. Le montage
qui est l’élément clé des films du début de carrière d’Iñarritu, ce dont il s’est
souvent expliqué, et notamment dans les maigres bonus du Dvd de « Amours chiennes ».
Iñarritu & Bernal |
Iñarritu aime bien aussi secouer, traumatiser, voire
littéralement agresser le spectateur. « Amours chiennes » est un film
violent. Il se passe pour l’essentiel dans les quartiers pauvres voire très
pauvres (le squat du Chivo) de Mexico, une des villes (sinon la ville) la plus
violente au monde, battant systématiquement d’année en année ses records d’homicide
par arme à feu. Iñarritu ne se focalise pas sur la violence, ne la place pas
systématiquement plein cadre, mais cette violence des hommes, des animaux est toujours
là, parce que nécessaire à l’histoire.
Pardon, aux histoires. « Amours chiennes »
nous montre les destins croisés de trois couples (il y a trois intertitres annonçant
le couple concerné pendant le film, lorsque l’une de ces trois histoires va être
plus particulièrement développée). Déjà, ces trois couples sont des couples qui
n’en sont pas vraiment, il s’agit de deux personnes qui se cherchent, se
fréquentent, se côtoient dans une sorte de parade amoureuse, mais sans se
trouver vraiment. Plutôt que des couples, ce sont des antagonismes, des mondes parallèles qui sont montrés.
Octavio et son toutou |
Premier « couple », Octavio et Suzana.
Elle est sa belle-sœur (le frangin est caissier le jour, braqueur de pharmacies
à temps perdu, son rêve est de braquer une banque, ce qui ne sera pas une bonne
idée…), elle a un enfant. Tous, plus la mère des deux garçons, vivent dans la
promiscuité d’un petit appartement misérable. Le rottweiler des frères va, par
hasard, se révéler être une terrible bête de combat. Et pendant que son frère
bosse dans son supermarché, Octavio va engager le clebs dans des combats à mort
de chiens, gagner beaucoup d’argent grâce à lui, et proposer à Suzana (ils
couchent un peu ensemble à temps perdu) de partir loin de Mexico…
Deuxième « couple », Valeria et Daniel.
Elle est top model, lui cadre sup marié et père de famille. Il laisse tomber femme
et enfants, met toutes ses économies pour installer sa maîtresse Valeria dans
un appartement chic. Même s’il apparaît très vite que Valeria n’est réellement
attachée qu’à son chien Ritchie dont elle ne se sépare jamais…
Troisième « couple », El Chivo et Maru.
Lui est un ancien universitaire devenu guérillero qui a quitté sa femme et sa
fille Maru toute enfant pour mener ses combats, en faisant promettre à sa femme
qu’elle le donnerait pour mort à leur fille. Après avoir fait vingt ans de prison,
il mène une vie de clochard, et accessoirement de tueur à gages, se déplaçant
en haillons toujours entouré d’une meute de chiens bâtards qu’il entretient,
toujours hanté, maintenant que sa femme est morte, par l’idée de renouer avec
sa fille qui ignore son existence…
Ces trois couples (et leurs chiens) vont voir leurs
destins se croiser lors d’un accident (séquence choc, neuf caméras mobilisées)
de voiture. Responsable, Octavio, qui tente de semer dans Mexico des types qui
veulent le flinguer, à cause d’un combat de chiens qui a mal fini, avec
revolvers et couteux de sortis. Il grille un feu rouge, et vient taper très très
fort la voiture de Valeria. Résultat de la course : un mort (un copain d’Octavio),
Octavio et la Valeria salement amochés. Témoin de l’accident, El Chivo qui
passait par là, en « repérage » pour un contrat. Il va récupérer le
pognon d’Octavio et son rottweiler, bien amoché lui aussi …
Cet accident de voiture, point crucial du film
(comme dans « 21 grammes »), va faire évoluer les trois histoires de
couple dans des chemins imprévus. Déjà que les points de départ étaient pas foncièrement
réjouissants, rien ne va vraiment s’arranger pour qui que ce soit …
Dès ce premier film, Iñarritu démontre qu’il est un
maître du film noir. Pas le film noir des années quarante hollywoodiennes avec
Bogart et Baccall. Plutôt le noir tendance sordide de la vraie vie, quand déjà
rien ne va et que tout s’emmanche encore plus mal, du genre à faire passer Zola
pour la Comtesse de Ségur. « Amours chiennes » est un film choc,
voire même choquant si on est membre de la fondation Brigitte Bardot (on voit
beaucoup de chiens morts dans le film, et même si c’est pour de faux, y’a
beaucoup de sang et de langues pendantes …). « Amours chiennes » est
une allégorie, genre les chiens les plus sauvages n’arrivent pas à la cheville
de la sauvagerie des hommes.
El Chivo et sa meute |
Il y a juste un problème pendant ces deux heures et
demie d’images. C’est que « Amours chiennes » n’est pas un film. C’est
une succession de trois histoires, dont les protagonistes ne se croisent (et
sans se voir, vu l’état dans lequel sont la plupart) qu’au moment de l’accident
de bagnole. D’ailleurs, au départ, il était question de trois courts métrages
(avec les chiens comme thématique majeure), Iñarritu n’étant pas sûr du tout de
trouver de financement pour un long métrage. C’est seulement une fois le pognon
obtenu qu’il a imbriqué les trois histoires, faisant du Chivo le personnage le
plus central. Même si c’est Gael Garcia Bernal (Octavio) qui s’est fait le plus
remarquer par la profession et qui a lancé sa carrière grâce à « Amours
chiennes ». Il faut reconnaître aussi que l’histoire de la top model, de
son clébard disparu sous le plancher et du cadre sup est quelques tons en
dessous des deux autres… Ce qui fait toute la différence avec « 21 grammes »,
dans lequel les trois histoires séparées se rejoignent pour n’en faire qu’une
au moment de l’accident de voiture.
Il n’empêche que ceux qui ont frémi avec le survival
de DiCaprio (« The Revenant ») ont intérêt à s’accrocher à leur
fauteuil. « Amours chiennes » déménage beaucoup plus au niveau
montées d’adrénaline. Grand film …
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