Pionnier ?
C’est avec ce genre de disques qu’on apprécie encore mieux (enfin, façon de parler) l’ironique sentence de Lennon : « le rock français, c’est comme le vin anglais ». A peu près tristement exact, et encore il parlait d’un genre (le rock) qui vaille que vaille était joué et apprécié en France. Même si je suis pas très fan de Lennon, force est de reconnaître qu’il avait le sens de la punchline, comme on dit aujourd’hui dans les salles de réunion des chaînes info … Par contre, j’aimerais bien savoir à quoi il aurait comparé le blues français …
Réponse, il aurait eu du mal à le comparer à quoi
que soit, parce que le blues français, avant que le binoclard du Dakota
Building se fasse dégommer (1980), ça n’existait pas, ou si peu … Pourtant le
genre, né dans les années 20, avait largement ses trimestres pour une bonne
retraite, réformée par Micron ou pas … Musicalement, la France a toujours été …
franchouillarde. Et rétrograde. Les seules vieilles traces de blues en français
c’étaient les sinistres pastiches signés du couple de tocards prétentieux venus
du jazz le plus intégriste, Vian et Salvador (genre « La blouse du
dentiste »). Par souci d’économie et sur recommandation de mon docteur, je
vais pas me fâcher sur ces deux pantins (surtout Salvador, Vian a écrit
quelques jolis textes), mais y’en aurait des choses à dire …
Bon, le blues est pas le genre musical le plus
flashy du monde, on est d’accord … les frenchies ils avaient suivi (à la sauce
française) tous les genres musicaux anglo-saxons, des adaptations de Dylan par
Aufray au rock stonien pour ados de Téléphone, en passant par l’inamovible
Johnny, mais sans jamais se frotter vraiment à l’idiome rustique du Mississippi
… et que les docteurs es musiques tristes viennent pas me bassiner avec Alan
Jack (Civilization ou pas), il vendait quatre disques et jouait devant quinze
types dans les MJC dans les seventies …
Il faudra attendre la toute fin des années septante pour voir arriver un tas de types étiquetés blues. Ils s’appellent Benoît Blue Boy, Patrick Verbeke, Paul Personne (le meilleur de tous, début 80’s) et … Bill Deraime, on y arrive …
Alain Deraime (son vrai nom) sort ce disque éponyme,
son premier, en 1979. Avec le fort soutien de la figure tutélaire du blues
français, l’harmoniciste-arrangeur-producteur Jean-Jacques Milteau. Le tout sur
un minuscule label indépendant, Argile, distribué sans conviction par RCA. Et
preuve que le blues tout le monde s’en tape dans ce pays, les trois premiers
disques du Bill n’ont jamais été réédités en Cd. Tout juste compilés en une
dizaine de titres sur galette argentée (« Mister Blues »), et
pourtant ses deux plus gros succès (si, si, ils passaient souvent à la radio,
je les ai de mes oreilles entendus) sont sur les disques suivant ce « Bill
Deraime » (« Faut que j’me tire ailleurs » et « Babylone tu
déconnes »). N’allez pas croire que je vous cause là d’un collector, un
objet mirifique qu’il faudrait acquérir à tout prix (ça se trouve facilement sur
les sites spécialisés à moins de vingt balles port compris en état quasi mint).
Parce que le Bill, il a d’entrée réussi à imprimer, comme on dit dans les
cadres de Renaissance. Look total baba, béret ou bonnet rouge à la Commandant
Cousteau, barbe ou barbichette, inamovibles pendant son demi-siècle de carrière
(il a paraît-il pendu définitivement sa gratte au râtelier en 2016). Et donc il
a vendu un peu de disque, et on continue d’en trouver dans les greniers …
Mais je digresse, je digresse … c’est juste pour meubler, pour me faire croire que je suis payé à la ligne. Parce qu’en fait, sur cette rondelle, j’ai pas grand-chose à dire. Bill Deraime, c’est pas Bob Johnson, Muddy Waters ou John Lee Hooker, autant le préciser d’entrée. C’est sympathique, sans plus … avec un goût suranné et vieillot … Pour résumer (et tout dire ?) ce « Bill Deraime » me fait souvent penser à ce que sortait Eddy Mitchell à peu près à la même époque (« Sur la route de Memphis », « La dernière séance », ce genre …). Et on peut pas dire que le sieur Moine transpire le blues par tous ses pores…
« Bill Deraime », ça ressemble beaucoup plus à du boogie (woogie ou pas) (« Mean old blues », « Baba boogie », du rhythm’n’blues (« Rumeurs »), parfois des touches de rockabilly (« Le train roule ») ou de psychédélisme (« Sur ma chaîne bon marché »). On essaye de se raccrocher à la locomotive Higelin qui vient de virer rock (« Lundi soir », limite plagiat), on tente un risible titre funky (« Musique de fête », le plus mauvais de la galette, on croirait entendre Fugain et son fuckin’ Big Bazar). Il n’y a qu’une paire de titres acoustiques (« C’est dur » et « Impasse du Crépuscule » avec son joli texte hommage à Wilder et au cinéma noir américain) pour le côté roots de l’affaire. Toutes les compos sont originales, les textes sont tous en français, certes travaillés mais ne vaudront pas à Deraime un strapontin à l’Académie Française (c’était cependant pas le but), ça cause fumette, crise d’identité, conflits générationnels, affirmation de la personnalité, ça fait quand même un peu ado attardé (Deraime a trente balais).
Musicalement, ça casse pas des briques, même si beaucoup
aimeraient avoir pour un premier enregistrement autant de monde en studio. En
plus du Milteau déjà cité, on note la présence des guitaristes reconnus des 70’s
Pierre Fanen (ex Zoo et Triangle, genres de Blood Sweat & Tears français) et
Christian Lancry, Paganotti à la basse ... Une section de cuivres américaine
(les requins de studio Muscle Shoals Horns) participent à quelques titres. Et
même si ça confère à l’ensemble une sympathique patine « vite fait bien
fait », on sent dans la prod et le mixage un budget qui est loin d’être no
limit …
Rajoutez à tout ça la voix quelconque et limitée de
Deraime, et on comprend que personne se soit hasardé à une formule du genre « j’ai
vu le futur du blues, il s’appelle Bill Deraime ».
La démarche et le bonhomme sont plutôt sympas, son
disque est sincère (sortir ce genre de rondelles ne risque pas de voir accoler
à son nom l’épithète d’opportuniste), mais bon, pas de quoi se relever la nuit …