BILL DERAIME - BILL DERAIME (1979)

 

Pionnier ?

C’est avec ce genre de disques qu’on apprécie encore mieux (enfin, façon de parler) l’ironique sentence de Lennon : « le rock français, c’est comme le vin anglais ». A peu près tristement exact, et encore il parlait d’un genre (le rock) qui vaille que vaille était joué et apprécié en France. Même si je suis pas très fan de Lennon, force est de reconnaître qu’il avait le sens de la punchline, comme on dit aujourd’hui dans les salles de réunion des chaînes info … Par contre, j’aimerais bien savoir à quoi il aurait comparé le blues français …


Réponse, il aurait eu du mal à le comparer à quoi que soit, parce que le blues français, avant que le binoclard du Dakota Building se fasse dégommer (1980), ça n’existait pas, ou si peu … Pourtant le genre, né dans les années 20, avait largement ses trimestres pour une bonne retraite, réformée par Micron ou pas … Musicalement, la France a toujours été … franchouillarde. Et rétrograde. Les seules vieilles traces de blues en français c’étaient les sinistres pastiches signés du couple de tocards prétentieux venus du jazz le plus intégriste, Vian et Salvador (genre « La blouse du dentiste »). Par souci d’économie et sur recommandation de mon docteur, je vais pas me fâcher sur ces deux pantins (surtout Salvador, Vian a écrit quelques jolis textes), mais y’en aurait des choses à dire …

Bon, le blues est pas le genre musical le plus flashy du monde, on est d’accord … les frenchies ils avaient suivi (à la sauce française) tous les genres musicaux anglo-saxons, des adaptations de Dylan par Aufray au rock stonien pour ados de Téléphone, en passant par l’inamovible Johnny, mais sans jamais se frotter vraiment à l’idiome rustique du Mississippi … et que les docteurs es musiques tristes viennent pas me bassiner avec Alan Jack (Civilization ou pas), il vendait quatre disques et jouait devant quinze types dans les MJC dans les seventies …

Il faudra attendre la toute fin des années septante pour voir arriver un tas de types étiquetés blues. Ils s’appellent Benoît Blue Boy, Patrick Verbeke, Paul Personne (le meilleur de tous, début 80’s) et … Bill Deraime, on y arrive …


Alain Deraime (son vrai nom) sort ce disque éponyme, son premier, en 1979. Avec le fort soutien de la figure tutélaire du blues français, l’harmoniciste-arrangeur-producteur Jean-Jacques Milteau. Le tout sur un minuscule label indépendant, Argile, distribué sans conviction par RCA. Et preuve que le blues tout le monde s’en tape dans ce pays, les trois premiers disques du Bill n’ont jamais été réédités en Cd. Tout juste compilés en une dizaine de titres sur galette argentée (« Mister Blues »), et pourtant ses deux plus gros succès (si, si, ils passaient souvent à la radio, je les ai de mes oreilles entendus) sont sur les disques suivant ce « Bill Deraime » (« Faut que j’me tire ailleurs » et « Babylone tu déconnes »). N’allez pas croire que je vous cause là d’un collector, un objet mirifique qu’il faudrait acquérir à tout prix (ça se trouve facilement sur les sites spécialisés à moins de vingt balles port compris en état quasi mint). Parce que le Bill, il a d’entrée réussi à imprimer, comme on dit dans les cadres de Renaissance. Look total baba, béret ou bonnet rouge à la Commandant Cousteau, barbe ou barbichette, inamovibles pendant son demi-siècle de carrière (il a paraît-il pendu définitivement sa gratte au râtelier en 2016). Et donc il a vendu un peu de disque, et on continue d’en trouver dans les greniers …

Mais je digresse, je digresse … c’est juste pour meubler, pour me faire croire que je suis payé à la ligne. Parce qu’en fait, sur cette rondelle, j’ai pas grand-chose à dire. Bill Deraime, c’est pas Bob Johnson, Muddy Waters ou John Lee Hooker, autant le préciser d’entrée. C’est sympathique, sans plus … avec un goût suranné et vieillot … Pour résumer (et tout dire ?) ce « Bill Deraime » me fait souvent penser à ce que sortait Eddy Mitchell à peu près à la même époque (« Sur la route de Memphis », « La dernière séance », ce genre …). Et on peut pas dire que le sieur Moine transpire le blues par tous ses pores…


« Bill Deraime », ça ressemble beaucoup plus à du boogie (woogie ou pas) (« Mean old blues », « Baba boogie », du rhythm’n’blues (« Rumeurs »), parfois des touches de rockabilly (« Le train roule ») ou de psychédélisme (« Sur ma chaîne bon marché »). On essaye de se raccrocher à la locomotive Higelin qui vient de virer rock (« Lundi soir », limite plagiat), on tente un risible titre funky (« Musique de fête », le plus mauvais de la galette, on croirait entendre Fugain et son fuckin’ Big Bazar). Il n’y a qu’une paire de titres acoustiques (« C’est dur » et « Impasse du Crépuscule » avec son joli texte hommage à Wilder et au cinéma noir américain) pour le côté roots de l’affaire. Toutes les compos sont originales, les textes sont tous en français, certes travaillés mais ne vaudront pas à Deraime un strapontin à l’Académie Française (c’était cependant pas le but), ça cause fumette, crise d’identité, conflits générationnels, affirmation de la personnalité, ça fait quand même un peu ado attardé (Deraime a trente balais).

Musicalement, ça casse pas des briques, même si beaucoup aimeraient avoir pour un premier enregistrement autant de monde en studio. En plus du Milteau déjà cité, on note la présence des guitaristes reconnus des 70’s Pierre Fanen (ex Zoo et Triangle, genres de Blood Sweat & Tears français) et Christian Lancry, Paganotti à la basse ... Une section de cuivres américaine (les requins de studio Muscle Shoals Horns) participent à quelques titres. Et même si ça confère à l’ensemble une sympathique patine « vite fait bien fait », on sent dans la prod et le mixage un budget qui est loin d’être no limit …

Rajoutez à tout ça la voix quelconque et limitée de Deraime, et on comprend que personne se soit hasardé à une formule du genre « j’ai vu le futur du blues, il s’appelle Bill Deraime ».

La démarche et le bonhomme sont plutôt sympas, son disque est sincère (sortir ce genre de rondelles ne risque pas de voir accoler à son nom l’épithète d’opportuniste), mais bon, pas de quoi se relever la nuit …


5 commentaires:

  1. J'ai vu ce mec en concert dans mon bled en 79 (ou 80...ou 81). Un ovni à cette époque où on avait en live chez moi les orchestres de bal de la fête de village qui balançaient Dave, Sheila, C François, Les Rubettes...On attendaient les fins de soirées pour se lâcher sur Jumpin Jack Flash et Satisfaction...Du coup Deraime dans ce contexte c'était Nirvana...

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    1. On avait les mêmes orchestres de fêtes de village chez nous (quand c'était pas du bal musette !).
      La seule différence, c'est qu'à la fin de la soirée, on était tellement bourrés qu'on attendait juste de décuver un peu pour renter au bled en 103 peugeot. et à ce stade-l, les rubettes ou les stones, on s'en foutait, du moment que la pompe à bière marchait ...

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  2. Beaucoup plus accro à Paul Personne au début 80's, mais le Bill j'aimais bien, surtout un double live à l'Olympia (1983) avec des titres rallongés, ça faisait du bien d'entendre des solos de guitares ou de claviers, et ça swinguait pas mal, bref, l'inverse de la variétoche new wave qui sévissait à l'époque. Un mec qui écrit une chanson sur Wilder, devrait avoir tout notre respect. Ses textes sont souvent rigolos, petite poésie urbaine comme on dit, altermondialiste avant l'heure avec son béret rouge à la Che Guevara (plus que Cousteau !!). Et puis le gars est sympa, le baba cool dans toute sa splendeur, j'avais racheté un album plus récent pour voir, moins blues, mais pas déshonorant.

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  3. A propos de Wilder, j'avais causé d'un de ses films y'a quelques jours ...
    Monsieur B. n'a pas vu, Monsieur B. était en vacances, Monsieur B lisait des polars sur la plage ... oui, je sais, nobody's perfect ...

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  4. Non seulement j'avais vu, mais en plus, j'avais lu la chronique de "Certains l'aiment chaud" donc ce procès en diffamation n'a pas lieu d'être. Je n'étais pas en vacances. Je faisais mes valises pour y partir, nuance. Bon, je vais aller mettre un p'tit commentaire, mais franchement, rien à (re)dire sur ce film, objet de toutes les louanges.

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