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EAGLES - HOTEL CALIFORNIA (1976)


Nouvelle frontière ...

Curieux comme l’année 1977 aura engendré autant de disques cités comme référence et dans des genres totalement opposés, antinomiques et contradictoires. Et pas seulement une version binaire de la querelles des Anciens et des Modernes … Damned vs Doobie Brothers, Clash vs Fleetwood Mac, Pink Floyd vs Marley, Pistols vs Eagles…
Les Eagles justement. Le groupe typiquement américain, typiquement West Coast. Déjà presque une caricature, lorsqu’ils sont en train de fourbir cet « Hotel California ». En Europe et à plus forte raison en France, le groupe bénéficie au mieux d’un petit capital sympathie, entretenu par des hits comme « Take it easy », « Desperado », « Take it to the limit », « One of these nights », … Mais rien qui mobilise vraiment les foules comme peuvent le faire des Led Zep ou les funestes Yes, Genesis et consorts …
Les Eagles se « contentent » d’être déraisonnablement énormes chez eux. Leur dernier disque, la compilation « Their greatest hits 71-75 » est à la lutte avec le « Dark side of the moon » du Floyd pour le titre de plus grosse vente de disques de tous les temps. Des chiffres qui jonglent avec les dizaines de millions de copies écoulées. Et tout ce qui entoure les Eagles participe aux « dérives » du rock pointées du doigt par tous ceux qui veulent revenir à la simplicité originelle de cette musique (les pub-rockeux, les punks). Les Eagles, ce sont les liasses de billets verts cramés en coke, putes de luxe, bling-bling attitude, … Les Eagles sont des milliardaires dépravés, totalement coupés de la « vraie vie ».
Les Eagles, waiting for the sun
Conglomérat de déjà vieux de la vieille de la scène californienne (ils ont commencé à faire leurs armes dans le  country-rock de Poco ou des Flying Burrito Brothers, le backing band de Linda Ronstadt, dans un vague groupe de hard pour le nouveau venu, le guitariste Joe Walsh), les Eagles sont la descendance dégénérée de Crosby, Stills, Nash & Young, la recherche de la mélodie qui tue, le travail sur les harmonies vocales, la quête de la perfection sonore. « Hotel California » sera par ces types perpétuellement sous coke conçu comme un challenge insensé.
Cohabiter d’abord. Et ce n’est pas simple, car tous composent. Des milliardaires défoncés à qui tout est permis ont tendance à laisser l’ego prendre le dessus sur toute autre considération, et ça ils y arriveront (la fameuse baston entre les membres du groupe lors d’un concert de la tournée « The long run »), mais là, en 1976, lors des sessions de « Hotel California », les Eagles, sans vraiment être soudés, sont focalisés sur cet album qu’ils veulent parfait et oublient tout le reste.
Se dépasser ensuite. Pas facile quand on est tout en haut de placer encore la barre un cran au-dessus. Les Eagles avaient deux-trois hits sur chaque disque, leur Best of se vend par millions, et bien « Hotel California » est à lui tout seul mieux qu’un Best of. Les moyens sont colossaux. David Geffen, patron d’Asylum Records sur lequel sont signés les Eagles, ne mégote pas. Le groupe et leur producteur attitré Bill Szymczyk auront un budget illimité, les séances dureront plusieurs mois. Fin 1976, un single est envoyé en éclaireur. « New kid in town », ballade country-rock parfaite, et qui se positionne directement en haut des charts américains. Logique et classique, mais rien à côté de la déferlante qui va accompagner la sortie du 33T et celle du single éponyme. Une durée folle (6’30) pour les standards de passage radio, et un titre chanté par le batteur (autre particularité du groupe, ils peuvent tous chanter lead, et donc question harmonies vocales, y’a ce qu’il faut) qui va devenir un des titres de rock les plus célèbres du siècle. Parce que, manière de couper court à tous les ricanements sournois que j’entends, les Eagles de « Hotel California », c’est toujours du rock (plus pour très longtemps peut-être, mais c’est pas encore le sujet). Poussé dans ses derniers retranchements, à la limite de toutes les compromissions. Du rock calibré pour les radios, les stéréos, le disque idéal pour le cruising sur les freeways californiennes ensoleillées. Le disque qu’écoutent, et ça c’est une première, les parents et leurs enfants.
Forcément pareil œcuménisme et pareil succès feront grincer des dents, s’agiter les jaloux de tous bords. « Hotel California » est un hold-up à l’échelon planétaire. Le point de non-retour que cherchaient également des Steely Dan, Fleetwood Mac, Doobie Brothers, … le disque américain parfait selon les standards de l’époque. Parce qu’il n’y a pas que deux hits, et pas que des ballades. « Life in the fast lane » se retrouvera aussi au sommet des hit-parades, avec son riff aplatissant, sa voix hurlée et son court solo de guitare d’anthologie, portant à jamais la signature du dernier arrivé Joe Walsh. Car ce qu’on a souvent oublié, c’est que les Eagles ne produisent pas que de la zique pour slowter et emballer de la meuf. « Victims of love », c’est aussi du hard FM avant l’heure, avec ses riffs saturés en intro, et c’est aussi bien que les intégrales de Toto et Foreigner réunis.
Même si c’est la ballade fin de race qui domine. Le « concept » de l’album c’est un peu le désenchantement de la prétendue vie facile à Los Angeles, les retours de manivelle de la décadence friquée et désœuvrée, les petits matins cabossés genre « Very bad trip », l’Hotel California est en fait un centre de rehab. Alors le disque fait la part belle au country-rock pépère (« Try and love again »), aux ballades déprimées pianotées et garnies de cordes, cette « Wasted time » qui trouve son contrepoint dans le dépouillement qui sent la gueule du bois de l’ultime « The last resort ». Seul maillon faible selon moi, « Pretty maids all in a row », où là le groupe et la production ont eu la main quelque peu lourde sur les arrangements de cordes et le côté grandiloquent.
« Hotel California », c’est le disque qu’on aimerait détester parce que c’est juste un rêve, un fantasme, celui d’une way of life inaccessible. Un disque de winners, écœurant de facilité. Alors que, par antithèse, on aura toujours un faible pour les losers qui se ramassent avec des galettes foirées. « Hotel California », il fait un peu partie de l’inconscient collectif d’une génération, c’est le témoin sonore d’une époque. Curieusement, les Eagles qui sont parmi les groupes les plus vendeurs de l’Histoire, sont un conglomérat quasi anonyme hors des Etas-Unis, et bien peu de gens sont capables de citer les musiciens qui le composent.
« Hotel California », on l’a trop entendu, c’est sûr … mais on s’est régalé à chaque fois …

JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST VOL. 3 (1992)


De bric et de broc ...

Une compilation française, oui Monsieur … et comme tout ce qui touche au rock au sens large dans ce pays, un truc étrange et assez mal foutu … Sorti à une époque, où des épiciers du disque, auto-proclamés « agitateurs culturels » avaient monté un label, originalement nommé FNAC Music, sortant des compilations de vieux trucs dont plus personne voulait, distribuant  également quelques labels indés français, tout ça pour surfer sur la vague d’un support Cd en pleine croissance.
Et parmi tous ces machins antiques un peu ringardisés à l’époque, Johnny Cash. Totalement out, l’Homme en Noir, au début des années 90. Pas encore pacsé avec Rick Rubin, Cash enregistrait au jour le jour des disques chez qui voulait bien le signer. C’est sans doute sans trop de difficultés et à bon prix que la FNAC a récupéré les autorisations sur son fonds de catalogue. Et sorti trois compilations « At his mighty best » de vingt titres chacune.
Mighty best si on veut. Des titres piochés certes dans sa bonne période des débuts chez Sun de 58 à 64 (mais Cash sortait aussi en même temps des disques chez Columbia à partir de 1960), jetés sur des rondelles brillantes en dépit de tout ordre chronologique ou de toute thématique, avec un livret qui assure tout juste l’essentiel des informations légales. Alors on se retrouve avec quelques morceaux connus et puis d’autres titres beaucoup plus anecdotiques, même si les ingrédients de base sont là : la structure rythmique quasi inamovible, la voix de baryton à tendance sépulcrale, l’atmosphère austère et dépouillée typique de l’époque Sun. Au fil des ans, l’accompagnement s’étoffe un peu, des chœurs sont présents (Les Tennessee Riders ou la Carter Family).
Le matériau essentiel de cette compilation est de la good old country, sous forte influence Hank Williams (de toutes façons, de tous ceux de l’écurie Sun, Cash est celui qui a le moins donné dans le rock’n’roll). L’ensemble des vingt titres est correct, rien de rare ou d’inédit tant les compilations ou rééditions avec bonus des disques de l’Homme en Noir sont innombrables. Meilleurs titres du lot : les plus ou moins « classiques » « Rock island line », « I love you because », « I could never be ashamed of you », « Next in line », « It’s just about time ».
Le label Fnac Music n’ayant duré que quelques années, ces Cds n’ont jamais été réédités, mais se trouvent encore d’occase pour quelques euros (ça vaut pas plus) sur les sites spécialisés.

Du même sur ce blog :
American IV The Man Comes Around


WILLIE NELSON - SHOTGUN WILLIE (1973)


Rebel Rebel

Depuis des décennies, Willie Nelson est une institution au pays de Mitt Romney. Le genre de figure tutélaire incontournable qui surgit lorsque l’on parle musique populaire blanche, le voisin de palier d’Elvis ou de Springsteen. Et si pour ces deux-là les choses se sont emmanchées rapidement pour l’accès au mega stardom, Nelson fut pendant plus d'une décennie un de ces galériens plus ou moins obscurs du music business, ne devenant vraiment une star, avec la popularité qui va avec, qu’à la fin des 70’s avec le succès de son très mainstream « Stardust ».
Végétant chez l’antique label RCA, dans lequel il était en gros confiné au rôle du cow-boy chantant de service, Willie Nelson va effectuer un bond artistique prodigieux en signant chez Atlantic en 1973. Surtout parce que conjointement il devient la figure de proue du mouvement Outlaw, tous ces artistes country (lui, Tompall Glaser, Kristofferson, Jennings, …), ruant dans les brancards conventionnels qui sclérosaient le genre, le réduisant à une musique de ploucs faite par des ploucs pour des ploucs, et chapeauté par des requins nashvilliens verrouillant toute la partie économique de l’affaire …
Et d’entrée chez son nouveau label, Nelson va frapper fort avec ce « Shotgun Willie ». Atlantic lui donne les moyens, rien de moins que Jerry Wewler, Arif Mardin (les deux stars maison de la production), et David Briggs (l’indéfectible homme de studio de Neil Young) sont aux manettes, tout le gotha des musiciens de séance étiquetés country réquisitionnés, plus quelques apparitions de guests amis (Doug Sahm, Waylon Jennings). Le répertoire alterne compostions de Nelson, et reprises de son idole l’antique countryman Bob Wills, ou, plus surprenant, titres écrits par le hippy déjanté Leon Russell.
Le résultat, c’est le disque parfait pour chialer dans sa bière, rempli de country songs tristes et traînardes. Nelson ne renie pas son idiome originel, mais met de côté les pénibles yodels, et relègue au fond du mix violons aigus sautillants et pedal steel joviales. Le son est résolument celui d’un rock band, et on peut déceler un peu partout l’influence assimilée de gens comme Gram Parsons, John Fogerty, The Band. La country music sort de son ghetto doré et s’ouvre au monde. Tout ça servi par la voix de Willie Nelson, la plus belle a avoir œuvré dans ce registre.
Les ventes de ce « Shotgun Willie » seront conséquentes, les hits au rendez-vous (l’éponyme « Shotgun Willie » et ses cuivres rhythm’n’blues, « Stay all night », peut-être le morceau le moins risqué, le plus « classique » de l’album). Mais ce sont les ballades tout en nuances de gris qui marquent les esprits, de « Whiskey River » à la magnifiquement épurée (juste guitare sèche et voix) « A song for you », en passant par des perles comme « Sad songs & waltzes », « Bubbles in my bear », ou la très « Exile on Main St » « Devil in a sleepin’ bag ».
L’influence de ce disque sera considérable dans le développement d’une forme modernisée de country qui débordera dès lors très largement l’audience exclusive des péquenots blancs et réacs du Sud des Etats-Unis. Même les Sudistes graisseux de Point Blank plagieront quasiment la pochette de « Shotgun Willie » pour leur premier disque en 1976…

NEIL YOUNG - ON THE BEACH (1974)


Le long des golfes pas très clairs ...

Ce disque longtemps oublié par les détenteurs des droits du catalogue Neil Young, paru en 1974 et seulement réédité en Cd pour la première fois en 2003, a longtemps été zappé, les ceusses qui savaient ou prétendaient tout savoir du canadien s’en tenant à ses œuvres « disponibles » des 70’s.
Autrement dit, entre « Harvest » et la période « rouille électrique » (« Rust never sleeps » / « Live rust »), on citait bien le « Tonight’s the night » présent dans les rayons mais en avertissant le chaland que c’était un disque noir, déprimé et déprimant, difficile…
« On the beach » a été composé par Neil Young après « Tonight’s … » mais est paru un an plus tôt, les gens de chez Reprise (la maison de disques de Neil Young depuis toujours) ayant ajourné la parution de « Tonight’s » durant deux ans.
Les deux disques sont siamois, également joyeux. Peut-être la pochette et le titre de « On the beach » ont-ils été jugés plus « engageants ». Mais franchement, qui aurait envie de prendre un bain de soleil sur cette plage déserte et blafarde, encombrée d’épaves industrielles ? Elle a l’air aussi accueillante qu’une plage bretonne (avant ou après dégazage ou échouage d’un super-tanker, c’est pas le problème, sache ami(e) lecteur breton que j’ai rien contre toi ou tes plages, mais que t’habites une région toute moche et pourrie, et que ça j’y peux rien et que j’espère que l’on t’a obligé à vivre là, et que je comprends pourquoi vous êtes tous alcoolos dans votre coin … et non, y’a pas de comptes à régler avec qui que ce soit, c’est juste de la méchanceté totalement gratuite …)
Bon, reprenons, Neil Young « On the beach » donc. Qui est disque introspectif. A replacer dans son contexte.
Neil Young est fondamentalement un naïf, une sorte de Jean-Jacques Rousseau version hippie de Laurel Canyon égaré avec ses valeurs dans les States de la fin des 60’s – début des 70’s. Un type qui a vu ses rêves et ses proches s’écrouler dans tous les sens du terme autour de lui. Charles Manson, qu’il avait un peu fréquenté vers 1968, avant que ce dernier fasse mettre à l’air les tripes de Sharon Tate et de quelques autres par les membres de sa secte The Family. L’engagement et l’acharnement des USA dans la guerre du Vietnam, l’ont marqué et traumatisé comme tous les hippies (Neil Young s’est toujours beaucoup plus senti américain que canadien, et ses prises de position, parfois assez « bizarres », lui ont valu de solides inimitiés). Le mouvement hippie (Neil Young avait tenu à jouer à Woodstock, dans des conditions techniques difficiles et précaires) est parti à fond dans les drogues de toutes sortes (Neil Young est clean), avant de partir définitivement en sucette à Altamont. Le roadie (Bruce Berry) et le guitariste (Danny Whitten) de Neil Young sont morts d’overdose. Sa femme (l’actrice Carrie Snodgress, celle à qui est dédiée « A man needs a maid » sur « Harvest ») est en train de le quitter.
« On the beach » est forcément imprégné de tout ceci, et les textes font clairement allusion à ces gens ou ces événements. La musique n’est guère plus joviale, Young et ses musiciens (une partie du Crazy Horse, des anciens de The Band), se complaisent dans des tempos traînards, tout en électricité sournoise et saturée (la marque de fabrique de ses meilleurs disques), martelant des atmosphères sombres, sépulcrales, oppressantes. La voix nue de Young file le frisson par sa fragilité (« See the sky »), il y a une paire d’éclaircies sonores (l’introductif  country-rock « Walk on », la country d’avant que la country existe « For the turnstyles »), et puis en gros tout le reste, d’une noirceur compacte, tous ces morceaux avec blues dans le titre (« Vampire  blues », « Ambulance blues », « Revolution blues ») qui tiennent bien sûr beaucoup plus d’un état d’esprit que du strict respect des douze mesures chères à Muddy Waters. La seconde face du 33T original constituant à elle seule un océan de déprime rarement égalé dans le rock avec son lancinant tryptique « On the beach » - « Motion picture » - « Ambulance blues ».
Neil Young a sorti une bonne dizaine de disques rigoureusement indispensables. « On the beach » en fait partie…

Du même sur ce blog : 
Everybody Knows This Is Nowhere
Harvest 

KRIS KRISTOFFERSON - ME AND BOBBY McGEE (1974)


Le touche-à-tout

Kristofferson n’a pas choisi au bon moment, en fait il n’a jamais choisi. Alors qu’il se faisait un nom en tant qu’auteur-compositeur-interprète, il menait de front une carrière d’acteur. Et finalement, plutôt que d’être une star dans un domaine, il se contentera d’une excellente réputation plus ou moins confidentielle dans les deux genres.
Déjà, toute personne non abonnée aux Inrocks ou qui a un minimum de culture musicale, ce qui revient au même, doit réagir au seul titre de l’album. Oui, ami amateur de vieilleries sonores, « Me and Bobby McGee », tu as raison, c’est bien un des morceaux les plus connus de Janis Joplin, sur son ultime et posthume « Pearl ». Et ce titre est signé Kris Kristofferson, qui fut un temps à la fin des sixties son amant, ceci explique cela.
Kristofferson début 70's
Evidemment, le principal reproche que l’on pourra faire à Kristofferson, c’est d’avoir gagné davantage d’argent avec ses droits d’auteur qu’avec ses propres ventes de disques. Sur ce « Me and Bobby McGee », considéré par beaucoup comme son œuvre de référence, on trouve quelques titres repris et portés au sommet des charts par des gens qui sont pas vraiment des inconnus, en plus de Joplin, il y a Presley et bien d’autres pour « Help me make it through the night », Sinatra et une foultitude de crooners pour « For the good times », et Johnny Cash pour « Sunday morning comin’ down ».
Johny Cash, justement. Même si artistiquement il n’était pas au mieux dans les années 60, c’est lui qui avait repéré Kristofferson et l’avait poussé à écrire des morceaux, et ensuite à les enregistrer. Ce qui veut dire qu’on se situe quand même avec Kristofferson dans la galaxie country music. Un genre à cette époque sérieusement malmené par d’autres (le rock à guitares, qu’il soit stonien ou zeppelinien), et qui se trouve à la croisée des chemins : soit se replier rigidement et ridiculement sur son passé (la mafia nashvilienne et tous ses traditionnalistes musicaux), soit « fusionner » (Flying Burrito Brthers, Gram Parsons, Poco, et toute cette litanie de groupe qui mènera au « Hotel California » des Eagles), soit ruer dans les brancards ( le mouvement « Outlaw »). Kristofferson sera avec d’autres (Glaser, Jennings, Nelson, …) une des figures des outlaws, mouvement dont un Johnny Cash qui a été un des instigateurs se tiendra prudemment ( ? ) éloigné, l’Homme en Noir tenant à ménager son public de rednecks …
Alors, oui, Kristofferson ne renie pas les Saintes Ecritures country, il les modernise, travaillant ses textes, instillant ici ou là quelque rythmique « rock » (« Casey’s last ride »), s’ouvrant au folk (l’inaugural « Blame it on the stones »), ne négligeant pas la ballade pour chialer dans sa Bud (l’ultime « Sunday morning coming down »). Les titres sont « écrits », on sent l’influence autant des Stones que de Dylan ou Cohen, et on ne crache pas sur Hank Williams. La voix de feignasse qui s’énerve de Kristofferson fait merveille, la musique sait rester sobre tout en s’éloignant des poncifs du genre (pas de crin-crins couinants et de pedal-steel en avant), cet album assez atypique pour son temps est finalement devenu un classique …
Ce disque aura un beau succès aux States, où il sortira avec un visuel différent en 1971. Il faudra attendre trois ans pour qu’il bénéficie d’une distribution mondiale.

KENNY PRICE - THE SHERIFF OF BOONE COUNTY (1971)


Un tour à la campagne ?

J’ai quelques disques étranges, dont je me demande encore pourquoi et comment je les ai un jour achetés. Tiens, celui-là par exemple.
Même Audrey Pulvar, rédactrice en chef des Inrocks (c’est dire si elle doit-être balèze en rock), elle doit pas le connaître, Kenny Price. Moi non plus, d’ailleurs. Et là où j’en ai retrouvé le plus sur lui, c’est sur un site américain consacré aux chanteurs (généralement morts) oubliés (non, ils parlaient pas de Renaud ou d’Hugues Aufray, voyez comme vous êtes). C’est dire si Kenny Price tout le monde s’en tamponne.
Mais qu'en penserait Karl Lagerfeld de ces fringues ?
Et comme c’est lui le gros plein de soupe sur la pochette et qu’il s’habillait toujours euh … étrangement, il m’étonnerait fort que quelque groupe de jeunes de Brooklyn lance un de ces quatre un Kenny Price revival. Kenny Price empeste le Sudiste réac (pléonasme) fini à la Bud. C’est un gars qui n’a strictement rien inventé, moulinant avec opiniâtreté sa country pur jus …
Bon, j’ai écrit country … il reste quelqu’un encore ? En fait, c’est pas que de la country, le type se ballade à l’occasion sur quelques genres connexes. Et il se ballade assez facilement, il a une super voix le gros plein de soupe. A peu près la même sur les chansons larmoyantes que celle d’Elvis 1er le Gros dans sa période Vegas, comme quoi pour les belles voix graves et profondes, l’embonpoint ça aide … Particulièrement frappant sur « Something to believe in » ou « Tell her to love her ». Sinon, l’essentiel du reste, c’est pour faire guincher dans les rades du Tennessee, et là il met le paquet , le Kenny, les pedal-steel, les crincrins, comme si on était toujours en 1953 … c’est pas l’imagination au pouvoir, ceci étant mais c’est de la bonne country old school. Tiens, en parlant de old school, y’a même un titre zarbi « Him Jim Bill and me », c’est une sorte de ballade ou il chante pas, il cause juste le Kenny Price. Si ça se trouve, il a inventé le rap sans s’en rendre compte et personne s’en est aperçu. Il s’essaye même au country-rock sur un titre (« Alice in Wonderland », mais n’allez pas croire qu’il a gobé des acides, c’est pas le genre de la maison), un peu ringard il est vrai, et qui fera pas se relever la nuit tout fan de Gram Parsons normalement constitué …
Un disque globalement amusant (puis de toute façon il dure même pas demi-heure, on a pas le temps de s’endormir), même si comment dire, quelque peu suranné.
Kenny Price est mort oublié dans les années 80, trouver ses disques aujourd’hui relève du prodige. Il semblerait que ce « Sheriff of Boone County » ait été réédité en Cd en des temps immémoriaux…

JERRY LEE LEWIS - FRENCH EP COLLECTION (1992)


Rock'n'Country

Y’a des périodes comme ça, où certains reviennent plus souvent que de raison dans le lecteur du Cd. Ces temps-ci, c’est Jerry Lee Lewis. Un peu oublié, le Killer, et souvent réduit à une poignée de classiques des années 50. Des trucs très rock’n’roll (« Great balls of fire », « Whole lotta shakin’ goin’ on », … ce genre) de sa période Sun.
Bon, je vais pas refaire sa bio émaillée de quelques croquignolettes anecdotes, c’est déjà en ligne ailleurs sur ce blog, mais juste revenir sur un des aspects négligés de sa carrière, la phase country. Parce que ce grand cintré de Jerry Lee, il a toujours été partagé entre le rock’n’roll roots et la plouc music, et qu’il n’a jamais cessé d’enregistrer dans ce dernier genre. Et on en trouve toujours quelques titres dans la multitude de compilations qui lui sont consacrées. Compilations toujours articulées autour de la même quinzaine de scies.
Jerry Lee Lewis, usual suspect
Celle-ci se distingue du lot pour deux raisons. Elle est balèze (40 titres), et, cocorico, française Monsieur. Réalisée par une major (EMI), qui pour une fois a fait correctement son boulot, en partant des masters dépoussiérés (son costaud, mais respectueux de la stricte mono originale des premiers titres), d’une série de 45T quatre titres (on appelait ça des Ep, aux temps antédiluviens du vinyle), sortis quasi uniquement sur le marché français. Et la tradition voulait que derrière un titre qui serve de locomotive commerciale, on en rajoute d’autres plus obscurs.
Résultat, on se retrouve avec une bonne vingtaine de titres, certes pas inédits, tant tout a été compilé et recompilé un nombre industriel de fois, mais assez peu souvent mis en avant. Et là, on s’aperçoit qu’il y a majoritairement des titres de country. Un genre traité respectueusement selon l’Evangile de Saint Hank Williams, mais avec la Lewis touch, à savoir un piano bien en avant, et une certaine énergie, pour ne pas dire hystérie, peu coutumière dans la country. Evidemment, on ne peut pas ignorer que Johnny Cash faisait en même temps et sur le même label le même grand écart entre les deux genres. Les deux hommes ont peu en commun, Cash a eu les hits country, et quand il touchait au rock’n’roll, c’était d’une façon convenue et assez « sage », il n’a réellement survolé les débats que dans les années 60. Mais en cette fin des 50’s, net avantage pour Jerry Lee Lewis dans les deux genres.
Et puis, ce double Cd permet d’apercevoir un aspect encore plus ignoré de la carrière de Lewis, un virage soul-rhythm’n’blues au début des années 60, avec orchestre pléthorique, cuivres, choristes, et tout le tremblement. Même si ce n’est pas du niveau de Ray Charles, James Brown, ou ce que produiront plus tard des labels comme Stax ou Atlantic, il y a quand même quelques curiosités qui valent le détour, témoins une version énergique de « Ramblin’ Rose » (oui, ce titre qui ouvre le « Kick out the jams » du MC5), ou encore cette défenestration de « Sweet little sixteen » de Chuck Berry (Berry et Lewis se détestent, ce qui doit expliquer la rage du Killer dans cette version, alors que d’habitude ses reprises sont plutôt effectuées en roue libre en mode dilettante).
Des titres bonus ont été rajoutés, manière de faire de cette compilation un Greatest Hits. Deux regrets-reproches, ils ont oublié dans la section bonus « Breathless », qui fait quand même partie des incontournables du Killer, et ce Cd paru en 1993 n’a je crois jamais été réédité et ne se trouve plus que d’occase …

Du même sur ce blog :






Du même :
Rockin' Up A Storm 

JERRY LEE LEWIS - 25 ALL-TIME GREATEST SUN RECORDINGS (2000)


S'il n'en reste qu'un ...

Il y a de fortes chances que ce soit lui, Jerry Lee, le Highlander du rock. De toutes façons, ils ne sont plus que trois, de ces années cinquante rock’n’roll … Chuck Berry est aux fraises, s’entêtant en vieux grigou qu’il a toujours été, à donner des concerts pathétiques (il a 85 ans, ceci explique peut-être cela, mais faut savoir raccrocher la Gibson, papy …), la fofolle Little Richard a mis sa carrière en pointillés depuis plus de 50 ans. Et tous les autres sont morts …

Jerry Lee Lewis et sa femme : sa cousine Myra, 13 ans ...
Jerry Lee Lewis, lui, ce serait plutôt le Trompe-la-Mort  du binaire. Donné refroidi un nombre incalculable de fois, tant on l’a hospitalisé dans des états critiques dus à une hygiène de vie outrancière sur bien des plans, ayant réussi on ne sait trop comment à ne pas crever en prison … car il a été dans le désordre accusé et jugé pour, en vrac, pédophilie (il avait épousé une fille de treize ans, sa cousine en plus …), bigamie (il avait « oublié » de divorcer de la précédente), multiples fraudes fiscales, voies de faits avec arme innombrables, … Il a aussi été entendu par les attorneys pour la mort suspecte (y gagnant son défintif surnom de Killer) de deux de ses sept ou huit femmes successives (l’une étrangement noyée dans la piscine familiale, l’autre ayant pris une bastos en pleine tête quand Jerry Lee nettoyait son flingue, ces deux-là, comme par hasard, voulant divorcer et ramasser quelques dollars au passage). Or, plus près de ses sous que Jerry Lee, malgré les efforts louables de quelques-uns, y’a pas …

Et malgré tout ça, musicalement, Jerry Lee Lewis reste encore crédible, publiant, certes de plus en plus épisodiquement, des disques qui tiennent étonnamment bien la route (« Last man standing » en 2006 par exemple). Certes assez loin de ce qu’il a fait à ses débuts sur le label Sun de Sam Philips. Parce que chez Sun, en cette seconde moitié des années cinquante, y’avait des clients … Pas tous en même temps, mais se sont tout de même succédés dans le petit studio de Nashville, Presley, Perkins, Cash, Orbison, pour ne parler que des plus connus … et Jerry Lee Lewis donc.

Pas très académique, mais efficace ...
Un Jerry Lee qui a passé ses années glorieuses chez Sun en équilibre entre le rock’n’roll le plus sauvage et la country « habitée » et énergique. S’appuyant sur son « pumping piano », dans un style ultra-destroy pour l’époque, venu des honky-tonk louisianais où il a grandi, et une voix toute en syncopes, changements de tons et de rythmes. Une marque de fabrique inégalable et inimitable. Même si ses pièces d’anthologie (Whole lotta shakin’ going on », « Great balls of fire », « High school confidential » et « Breathless ») viennent de l’aspect rock’n’roll de sa carrière, Jerry Lee, qui a commencé par enregistrer de la country, ne délaissera jamais la plouc music, et à partir des années 60, en fera le genre dominant de ses productions studio. Chez Sun, il alternera les enregistrements dans les deux styles, à l’image de son voisin d’écurie Carl Perkins. Et puis, Lewis sera un de ceux qui reprendront le plus les standards contemporains confirmés, pas toujours avec bonheur cependant (on ne se frotte pas impunément, et quelque peu en dilettante semble t-il, à des choses comme « What I’d say » de Ray Charles ou « Good Golly Miss Molly » de Little Richard), mais le dynamisme de jeune chien fou de Lewis et quelques descentes du revers de la main des touches d’ivoire arrivent dans la plupart des cas à faire passer la sauce.

Cette compilation parue sur le label Varese, et consacré aux rééditions d’oldies, (un peu comme Rhino, le prestige en moins), fait défiler dans un ordre à peu près chronologique les standards, évidemment, mais se distingue de la multitude de celles sur le marché par la sélection de quelques pièces country ou de reprises peu connues du répertoire de Lewis.

Du même sur ce blog :





JOHNNY CASH - AMERICAN IV : THE MAN COMES AROUND (2002)


The Last Waltz ...

Dernier volet (par la force des choses, Johnny Cash est mort l’année suivante) de la collaboration de l’Homme en Noir avec le producteur Rick Rubin (aux manettes sur la majorité des disques de Slayer ou Red Hot Chili Peppers). Un disque pas tout à fait « normal » qu’il faut quand même replacer dans son contexte.

Pas toujours de bonnes fréquentations, Johnny Cash ...
« The man comes around » marque le point final de quasiment un demi-siècle d’enregistrements de Cash. Qui a tout connu dans sa vie. Après avoir fait partie du « Million Dollar Quartet » chez Sun Records, label où il côtoyait à la fin des années 50 Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Roy Orbison ou Carl Perkins, être revenu très vite à la stricte country, gagné son surnom de « Man in Black » dans les années 60 grâce à la sempiternelle couleur de ses tenues vestimentaires, s’être construit une réputation (plus légendaire que réelle d’ailleurs) de « bad boy » par quelques titres provocants et une série de concerts dans des établissements pénitentiaires, il va entamer ensuite pendant vingt ans une longue traversée du désert. Sans toutefois risquer de mourir de soif, ses penchants pour la bouteille et toutes sortes de drogues lui faisant à plusieurs reprises frôler la mort. Son silence assez assourdissant lors de la mutation de la country des 70’s par ceux que l’on a appelé les « Outlaws » (Nelson, Jennings, Kristofferson, …), alors que beaucoup l’auraient imaginé prendre fait et cause pour ces « jeunes », son implication assez inconsistante dans la vie politique américaine (il a roulé autant pour les Démocrates que pour les Républicains), quelques déclarations imbéciles à l’emporte-pièce pour flatter son public de rednecks, avaient fini par faire de Johnny Cash une institution poussiéreuse, un ringard dont il n’y a ni humainement ni artistiquement plus rien à attendre. Débarqué dans les années 80 par ses maisons de disques successives, il finira par échouer au début de la décennie suivante sur Def American, le label de Rick Rubin.

Rubin qui fera avec les disques de Cash l’antithèse de ce pourquoi il était célèbre. Le deal artistique est simple : il faut que les disques de Cash sonnent le plus brut, le plus basique, le plus acoustique possible, à l’opposé de la foire à la ferraille sonore dont Rubin était le porte-drapeau. Le résultat d’ensemble sera globalement très bon, mais de là à qualifier ces enregistrements de cruciaux tant pour l’époque que pour leurs auteurs, il y a un pas que je ne franchirais pas, même s’il faut reconnaître qu’ils représentent une qualité que bien peu maintiennent après des décennies de carrière. Ils auront en tout cas contribué à restaurer et rénover la légende de Johnny Cash, à tel point que le biopic qui lui a été consacré (« Walk the line ») aura un immense succès (normal, il a tout pour participer au « rêve américain », la réalité étant bien souvent plus sombre que ce que laisse entendre le film …).

Johnny Cash 2003 : le vieil homme est amer ...
A l’époque de ce « American IV », Cash est physiquement au bout du rouleau. Son hygiène de vie apocalyptique laisse maintenant son corps aux prises avec maladies nerveuses dégénératives, graves affections pulmonaires et diabète. Ses jours sont comptés et il le sait. Du coup, cet album, peut être intrinsèquement le moins bon de la série par ses choix artistiques, va acquérir une résonance particulière. Le principe est le même que pour les précédents, essentiellement des reprises en version dépouillée. Et autant précédemment, voir Cash se frotter aux répertoires de Nick Cave ou Bonnie « Prince » Billy était dans la logique des choses, voir ici apparaître des auteurs comme Sting, Trent Reznor, les Beatles, Depeche Mode, Simon et Garfunkel ou encore les Eagles, mêlés à quelques standards de la country la plus traditionnelle peut surprendre. En fait, la plupart des titres ont été choisis pour leurs textes, en rapport avec la maladie, la souffrance ou la mort.

Cash est trop éprouvé lui-même pour sublimer quoi que ce soit, et on sait que malgré un état de santé plus que précaire, il s’est acharné à vouloir mener ce projet à terme. Un bon paquet de titres sont ratés ou sans intérêt (la plupart des vieilles scies country, les titres de Sting, Eagles ou Beatles …), à peu près autant sont corrects sans être transcendants. Et puis, il y a quatre morceaux, hors-normes et exceptionnels. « The man comes around », dernier titre écrit par Johnny Cash et qui ouvre le disque, est une sorte d’épitaphe, un bilan désabusé. Un morceau à mettre en parallèle avec celui qui clôt le disque ce « We’ll meet again » prémonitoire et poignant. Rien cependant à côté de la version du « Personal Jesus » de Depeche Mode, où l’on voit Cash se dresser avec tout ce qui lui reste de force face à Dieu mais aussi face à tous ses démons à lui. Le titre de Martin Gore était déjà exceptionnel dans sa version originale sur le Cd « Violator », Johnny Cash le transcende.

Et puis, il y a « Hurt », repris à Nine Inch Nails (ou Trent Reznor, c’est selon). Le morceau le plus émouvant que je connaisse, dans lequel un  Johnny Cash, miné par la maladie, à bout de souffle, nous donne une version agonisante dans tous les sens du terme. Et là, y’a rien qui parasite, pas un malin travail de producteur, c’est pas joué ou surjoué, on entend juste un vieil homme mourant chanter sa souffrance physique. Que quiconque n’est pas ému par ce titre s’en aille écouter les Black Eyes Peas, il ne mérite pas mieux …


Du même sur ce blog :
At His Mighty Best Vol 3



GRATEFUL DEAD - AMERICAN BEAUTY (1970)


De toute beauté ...

Pour moi la masterpiece du Dead … En studio … Parce que Grateful Dead est un groupe compliqué, surtout vénéré par ses fans pour ses concerts-marathon et les improvisations stratosphériques de Jerry Garcia. Et tous ces Deadheads, baba-cools migrant au gré des dates de leur groupe, ont collé au groupe une de ces images d’Epinal (surtout en France) dont il est difficile de se remettre…

Pour beaucoup, le Dead n’est qu’un groupe de hippies, parfait symbole du flower-power de Haigh Asbury, aux titres étirés jusqu’à plus soif, aux concerts interminables dans les effluves d’encens, de patchouli et de marijuana. Une vision pas forcément inexacte mais en tout cas incomplète.

Grateful Dead live 1970
Car à force de faire des heures sup on stage, le Grateful Dead est devenu une redoutable machine à faire de la musique, et d’une technique qui ne doit rien à l’improvisation ou à l’approximation. Traumatisé par le retour aux sources du Dylan de « Nashville Skyline », le groupe qui vient de publier un « Workingman’s dead » déjà en rupture avec ses antécédents discographiques, va aller encore plus loin dans sa quête des racines de la musique populaire américaine.

Le résultat, cet « American beauty », n’a rien à envier à ce que venaient de faire Dylan et le Band au milieu des années 60, les Byrds avec « Sweetheart of the rodeo », ou à ce que fera Gram Parsons en solo. Alors ici, le Dead ressort les pedal steel, les harmonicas, donne une coloration électro-acoustique superbe, effectue un boulot considérable sur les harmonies vocales. Les maîtres de l’improvisation en public livrent un album studio à l’opposé, très travaillé, avec une mise en place millimétrée et un sens de la concision remarquable au service de titres d’une richesse mélodique étonnante. Surnagent du lot l’inaugurale « Box of rain », superbe chanson de country-folk, « Candyman » (rien à voir avec le film du même nom), un folk électrique avec (c’est exceptionnel dans ce disque) un court solo cosmique d’anthologie de Garcia, l’ultime « Truckin’ », rock enlevé et énergique qui sera par la suite un des titres de bravoure du Grateful Dead sur scène…

Ce disque sera un peu le chant du cygne en studio du Dead, qui préfèrera tourner sans relâche pendant plus de trois décennies jusqu’à la mort de Jerry Garcia, que d’essayer de donner une suite à ce « American beauty », chef-d’œuvre inégalé …

NAT STUCKEY - HIS VERY BEST (2008)


Pour briller en société ...

… ou faire monter en flèche les statistiques de visite de votre blog (rires). Lâchez avec désinvolture le nom de Nat Stuckey. Nat qui ? Stuckey, un chanteur de country américain (pléonasme), mort dans les années 80. Hey, fuyez pas tous !
Nat Stuckey début 60's
Bon, c’est pas gagné, ça va pas être facile d’aligner des centaines de mots sur ce gars. Que personne de sensé ne doit connaître. D’ailleurs me demandez pas comment j’en ai entendu parler, ou à propos de quoi, j’en sais plus rien. J’avais trouvé cette compile pour moins d’un euro ( ! ) sur un site d’occases. A ce prix-là, on peut pas être déçu par le rapport qualité / prix. Quoique … cette compile est parue chez K-Tel, spécialistes des rééditions ultra-cheap de trucs dont personne ne veut. Au verso, juste le titre des morceaux, à l’intérieur du livret, deux pages blanches … sur le Cd, huit titres, pour un total de … 23 minutes. C’est pas avec des Cds comme ça que Stuckey va obtenir une célébrité mondiale posthume … quand à K-tel, il paraît qu’ils ont fait faillite. Bien fait …
Déjà, vivant, tout le monde s’en foutait de Nat Stuckey. Juste un petit hit (« Sweet thang ») dans les charts country au mitan des années 60, c’est à peu près la seule trace qu’il a laissée à la postérité. Stuckey chantait bien, d’une voix de basse, comme un Johnny Cash « technique » et dépassionné. Bien chanter, c’est la moindre des choses surtout dans le genre (la country) le plus populaire aux USA depuis des décennies, et où la concurrence, les genres, sous-genres et chapelles sont innombrables.
Stuckey, au vu de cette rachitique compilation, semble d’abord avoir commencé dans un registre classique, traditionnel (il a collaboré avec entre autres Conway Twitty et Buck Owens, pas vraiment des progressistes). Stuckey est à son aise dans la lente ballade country, et « Take time to love her » est un excellent titre, avec un riff qui doit pas mal de choses au « Sweet Jane » de Lou Reed.
Au vu des derniers titres, il semblerait que Stuckey, de traditionnel ait viré traditionaliste, voire plus. Ses morceaux sont truffés d' arrangements gospel certes de bon goût et pas trop envahissants, mais avec des textes qui tournent au prêchi-prêcha mystico-religieux. M’étonnerait pas qu’il ait fini télévangéliste ou une horreur de ce genre. Une excellente version, une des meilleures que je connaisse, de la scie « Little drummer boy » clôture ce famélique Cd …


J.J. CALE - ROLL ON (2009)


Un bon disque de Dire Straits ?

Assis à la droite de Dieu, J.J. Cale
Deux-trois chefs-d’œuvre il y a presque 40 ans, et d’autres (très) bons disques dans la lignée… Un mépris du show-biz et du cirque médiatique plus que sympathique… JJ Cale est assurément un type (très) bien.
Mais ce « Roll on » … Evidemment JJ Cale n’a pas enfilé des bermudas et sorti un disque de nu-metal, mais bon … Certes par moments on reconnaît son fameux style laid-back (qu’il a inventé), son si caractéristique jeu de guitare, …
Mais dans l’ensemble, ce « Roll on » sonne exactement comme un disque de Dire Straits, comme Knopfler en faisait aux débuts. Et quand on sait que Knopfler est le plus grand fan de Cale et qu’il essaie de l’imiter depuis 30 ans, on ne peut que constater que la boucle est désormais bouclée … Le Maître imitant l’élève.
Avec la présence sur un titre de Clapton qui semble depuis quelques lustres en tribute permanent (au blues, à Robert Johnson, à JJ Cale, à lui-même …)
« Roll on » n’est certes pas un mauvais disque, (très) loin de là. Mais JJ Cale a fait tellement mieux …


Du même sur ce blog :
Grasshopper



JEFFERSON AIRPLANE - THE BEST OF JEFFERSON AIRPLANE (2001)


Un géant de la musique américaine

L’Airplane a depuis longtemps disparu de la circulation et malheureusement s’efface peu à peu des mémoires. Contrairement au Grateful Dead, l’autre légende du psychédélisme américain (l’Airplane a eu une carrière moins longue, n’a pas compté un personnage aussi charismatique que Jerry Garcia dans ses rangs, …)

Et pourtant, il y a presque quarante ans, il était impensable d’imaginer qu’un festival puisse se tenir sans l’Airplane (du gentil Woodstock au sanglant Altamont), tant le groupe représentait toutes les aspirations d’une jeunesse américaine : la non-violence militante, la vie en communauté, la drogue et la musique qui va avec.

Jefferson Airplane : we can be together ?
Car musicalement dans les années 67-71 (qui constituent l’essentiel de cette compilation oubliant heureusement les avatars dispensables du Jefferson Starship et de Starship), l’Airplane était au top. Sa pop psychédélique et hallucinée était le parfait pendant du Floyd de Syd Barrett. Il suffit d’écouter les merveilles que sont « It’s no secret », « Volunteers », « Somebody to love » (la réponse sans équivoque au gentillet « I want to hold your hand » des Beatles), « White rabbit » (ou Alice sous LSD au Pays des Merveilles), …

Dans l’Airplane tout le monde composait, ce qui a donné des disques décousus et quelquefois disparates (et cette compilation n’y échappe pas), Marty Balin et Grace Slick se relayant ou se complétant le plus souvent au chant. Grace Slick était le personnage central du groupe. Sa technique vocale (abusant parfois du vibrato), sa beauté provocante (concerts topless en 1966 !!), ses relations « difficiles » avec les autres musiciens du groupe qui furent l’un après l’autre ses amants, l’Airplane s’organisait autour de sa diva sous acide.

Fer de lance de la culture musicale américaine de la seconde moitié des 60’s (le flower-power, le Summer of Love, la lutte pacifique contre la guerre au Vietnam), l’Airplane n’allait pas survivre artistiquement à la fin des utopies hippy quelques années plus tard.

Restent une poignée de disques majeurs dont cette compilation, témoignage d’une époque où les gens croyaient naïvement (déjà) que tout pouvait devenir possible.


EVERLY BROTHERS - THE DEFINITIVE EVERLY BROTHERS (2000)


La chance aux chansons

Ils passaient à la télé et à la radio quand ils n’étaient que deux gamins chantant, au début des années 50 … bien avant les déhanchements d’Elvis le Pelvis. Et donc, comme ils se plaisaient à le faire remarquer lors de leur fabuleux « Reunion concert » de 1983, le rock’n’roll, ouais, c’est bien joli, mais eux ils étaient déjà là avant …

Même si leurs premiers succès ne datent réellement que de la fin des années 50, et même si tout n’a vraiment commencé qu’avec « Bye bye love » en 1957. Un titre comme une marque de fabrique, un thème gentillet, une mélodie immédiatement mémorisable, et Don et Phil Everly qui chantent… d’une façon unique, instantanément reconnaissable. Toujours à l’unisson, et pas seulement sur les refrains, sur tout le titre … Pas une nouveauté, des duos, voire des groupes chantant, la country music (et son public) en était particulièrement friande, de toutes ces voix de tête à fort accent campagnard et redneck vocalisant de concert.

Everly Bros fin 50's
Les Everly eux ont une diction parfaite et délaisseront très vite la stricte country de leurs débuts pour s’orienter vers une variété haut de gamme. Leur synchronisme vocal parfait, à une époque ou le re-recording n’existait pas et encore moins Auto-Tune, l’évidence des mélodies et les arrangements somme toute très grand-public, très centristes des morceaux, vont les installer pendant presque dix ans au sommet des hit-parades américains.

Comme beaucoup à cette époque-là, ils pourront s’appuyer sur les morceaux clés en main fournis par un jeune couple d’auteurs-compositeurs Felice et Boudleaux Bryant, qui leur écriront l’essentiel de leurs créations. Et comme tout le monde, les Everly Brothers constelleront leur répertoire de reprises choisies de Little Richard, Buddy Holly, Roy Orbison, … Ils reprendront même le « Je t’appartiens » de Gilbert Bécaud (oui oui, on  parle bien du même, du type en costard noir et Adidas blanches ( ! ) des shows de Maritie et Gilbert Carpentier) qui adapté en « Let it be me » sera un de leurs plus gros succès. Les Everly ne se cantonneront jamais aux romances adolescentes pour lesquelles ils étaient à peu près sans équivalents, ils n’auront pas peur, à l’inverse de stars centristes reconnues (Sinatra, Warwick, …), de se frotter à du rockabilly (« Wake up Little Suzie »), voire du rock’n’roll tout ce qu’il y a de plus roots (« Bird dog », « Claudette », « Lucille », …).

Everly Bros - Reunion Concert Septembre 1983
Le premier des deux Cds de cette compilation (50 titres en tout) est le meilleur. De 1957 à 1961, les Everly Brothers ont aligné avec une régularité de métronome des titres colossaux, de la lente ballade countrysante « Maybe tomorrow » à l’angélique « Take a message to Mary », en passant par la très pop « Cathy’s clown » (devenue « Le p’tit clown de ton cœur » une fois reprise par Hallyday), l’himalayenne « Walk right back » qui n’a rien à envier aux productions Motown ou Spector, la pièce montée baroque « Temptation ». Mention particulière à « All I have to do is dream », tout simplement une des plus belles chansons du monde …

Le second Cd, jusqu’aux disputes qui entraîneront la « séparation » des deux frangins au milieu des seventies,  est un ton en dessous. Même s’il débute par « Crying in the rain », qui donne vraiment envie de chialer tellement c’est beau, et qu’il pleuve ou pas … Insensiblement et insidieusement, la qualité intrinsèque des titres décline, au profit d’arrangements de plus en plus fignolés et tarabiscotés, qui voit les Everly se livrer à des choses vocalement ahurissantes et insensées. Laissant de côté les mélodies simples et chansons évidentes. Le succès s’en ressentira, peu de titres iront tutoyer le haut des charts, et l’enlevée « The price of love » sera en 1965 leur dernier grand hit.

Les dernières années du duo paraissent quelque peu désuètes, qui les voit s’entêter sur la recette qui a fait leur fortune, avec des orchestrations de plus en plus sirupeuses. Cette compilation se conclut par « On the wings of a nightingale » de leur excellent album de come-back  « EB 84 ». Ce titre est signé d’un de leurs illustres fans, Paul McCartney, c’est un de ses meilleurs morceaux à lui des quarante dernières années, et servi par les voix intactes des frangins, ça le fait …

Ce qui amène à dire quelques mots sur l’influence que Don et Phil Everly ont eu sur le milieu musical. Assez impressionnante, il faut bien dire. Des gens comme les Beatles ou les Beach Boys ont commencé à répéter leurs propres harmonies vocales en prenant comme modèle les Everly, Simon et Garfunkel en particulier leur doivent absolument tout, et d’une façon générale tous les duos chantants se sont inspirés de leur travail (Sonny & Cher, Carpenters, Righteous Brothers, Starsky & Hutch, Stone et Charden, …).

A noter que leur live de « reformation » (« Reunion concert ») est un colossal tour de chant, certaines de leurs chansons se voyant transcendées par le live (et aussi un super backing band) …

Enfin rayon people, Erin Everly, fille de Don Everly et groupie notoire du L.A. des années 80, a été l’espace de quelques jours ( ! ) mariée à l’intergalactique crétin Axl Rose …

Des mêmes sur ce blog :
EB 84

JOHN PRINE - JOHN PRINE (1971)


 (Trop) classique

Faire en 1971 du Bob Dylan 1965 (période électro-acoustique « Subterranean homesick blues ») n’est pas une mauvaise idée. Mais ce n’est pas non plus très original.

John Prine récemment : Brassens revival ?
Il me semble que ce Cd de l’américain John Prine, souvent considéré comme son meilleur, est le premier qu’il a publié. Ce folk teinté de country est le parfait reflet d’une culture américaine de l’époque, engagée et militante, avec ses morceaux sur la guerre du Vietnam et la drogue (ici le classique « Sam Stone » sur un ancien soldat héroïnomane).

En plus de Dylan, les Byrds ne sont pas loin (avec sa photo de pochette style grange campagnarde, on pense à celle de « Notorious Byrd Brothers »), tout comme Crosby, Stills & Nash ou les Eagles des débuts. On navigue donc avec « John Prine » en terrain connu.

Trop peut-être, car ce Cd ne satisfera pleinement que les amateurs d’un genre musical souvent ignoré en France, les autres seront vite lassés par une certaine monotonie des instrumentations et des arrangements.