Truffaut, c’est la Nouvelle
Vague. Enfin, pour moi, c’est la Nouvelle Vague pour ceux qui aiment pas la
Nouvelle Vague. En gros, le cinéaste le plus classique de tous ceux qui ont été
les plus virulents dans « Les Cahiers du Cinéma » à définir une
nouvelle forme de cinéma. Excellent pour la théorie, Truffaut, mais avec ses
films il m’a plus souvent gavé ou laissé indifférent que ravi …
Truffaut, Aznavour & Dubois |
« Tirez sur le
pianiste » est son second long métrage, et vient après le succès des
« Quatre cent coups ». D’ailleurs, parenthèse, si « Les
quatre cent coups » a été un succès populaire dans la France de la fin des
années 50, c’est qu’il était pas si avant-gardiste que ça … Pour « Tirez
… », Truffaut, se lance dans un hommage-pastiche aux films noirs
américains en adaptant (il est parmi les premiers à le faire, faut pas lui
enlever ce mérite) un roman du « difficile » auteur américain David
Goodis.
Mais Truffaut donne
l’impression de s’être fait totalement déborder par son scénario, et au final,
on se demande ce qu’il a voulu faire. Un film noir ? Ouais, en partie,
mais très vite ça embraye sur du mélo, ça se focalise sur une histoire d’amour,
ça envoie devant la caméra des personnages stéréotypés dont on se demande ce
qu’ils viennent apporter à l’intrigue. Enfin, intrigue, il faut le dire vite,
la trame du film est quand même bien légère. Et à la fin on se demande même ce
que Truffaut a voulu faire passer au premier plan.
Est-ce la carambouille des
frères Saroyan avec les deux truands ? Est-ce l’histoire et l’esquisse
psychologique d’Edouard Saroyan ? Est-ce la vision de Truffaut sur les
femmes et l’amour ? Va savoir, on a des petits bouts de films sans liens,
visons fugaces de tranches de vie qui n’ont rien à voir entre elles. Rien n’est
développé, tout est assez bâclé, et l’affaire conclue en même pas une heure
vingt…
Celui qui apparaît le plus
souvent à l’image c’est Charles Aznavour. Qui me fait à peu près autant d’effet
comme chanteur que comme acteur (oui, je sais, la Nouvelle Vague redéfinissait
aussi le rôle et la « performance » de l’acteur dans le film, mais là
où de grands acteurs « déjouaient » volontairement, Aznavour me donne
l’impression de s’employer à fond pour être finalement transparent …). Donc Aznavour
est Charlie Kohler, pianiste de balloche dans un troquet minable. En fait,
c’est l’ancien virtuose Edouard Saroyan, échoué dans ce rade parce qu’il a raté
autrefois son mariage. Ce qui donne lieu à un grand flashback avec analyse
psychologique à deux balles des relations du couple Saroyan. Dans le présent,
Truffaut va nous montrer parallèlement les déboires de Saroyan avec ses frères,
truands à la petite semaine coursés par d’autres branquignols, et les relations
de Saroyan avec deux femmes (sa voisine de palier prostituée, et la serveuse du
troquet).
Peu de choses sont crédibles.
On s’en fout un peu des situations crédibles, c’est pas un reportage ou un
docu, c’est un film. Mais bon, y’a des limites, voir à la fin un gunfight où
des gusses se canardent en étant à dix mètres les uns des autres et en se
manquant, c’est pas tragique ou haletant, c’est involontairement ballot. Et
finalement la seule qui ramasse une bastos, c’est Marie Dubois, planquée
derrière des buissons … Nous montrer un Aznavour qui est debout depuis deux
jours et deux nuits lors de cet assaut, rasé de frais comme un jeune marié,
c’est aussi assez curieux … Ne parlons pas du corps à corps qui le voit tuer
accidentellement (quoique on se demande si c’est un accident) le patron du bar qui
l’emploie …
C’est un peu filmé avec les
pieds aussi, le plus souvent en lumière naturelle, ce qui vaut plein de reflets
sur l’objectif de la caméra. D’un autre côté, ça renforce le style amateur et
dilettante caractéristique de la Nouvelle Vague, on est pas chez Max Ophuls …
Il y a aussi des choses à
sauver, « Tirez … » n’est pas un ratage total. Les dialogues, signés
Truffaut, sont vifs, alertes, pleins de gouaille parisienne, bien qu’assez
éloignés des merveilles rhétoriques d’un Audiard ou d’un Prévert. On évite le
contemplatif, les réparties absconses, le rythme est soutenu. Et puis, il y a
un quasi inconnu, Bobby Lapointe, qui crève l’écran au début avec deux chansons
(dont « Avanie et Framboise » sous-titrée à la demande des
producteurs qui n’arrivaient pas à suivre les jeux de mots mutants !),
dans une interprétation live très physique (pour l’époque s’entend). Beaucoup
plus anecdotique, un full topless frontal de Michèle Mercier, pas encore
Angélique marquise des Anges, l’occasion pour Truffaut de jongler avec les
codes de la bienséance et de la censure de l’époque.
Pour la Nouvelle Vague, le
polar et le film noir n’ont pas été les genres de prédilection, le truc de base
étant plutôt l’observation de la société à travers le prisme d’une jeunesse
souvent déphasée dans un monde adulte grisâtre. La comparaison qui me vient à
l’esprit pour « Tirez … », c’est le « Alphaville » de
Godard. Même si cette relecture par Godard des aventures du privé Lemmy Caution
ne restera pas comme son chef-d’œuvre (c’est grave barré dans un trip
mystico-philosophique), c’est à mon sens assez nettement supérieur au film de
Truffaut.
Lequel Truffaut ne fera pour
moi rien de mieux que son quasi chant du cygne, l’ultra classique dans tous les
sens du terme « Le dernier métro »…
Du même sur ce blog :
Du même sur ce blog :
Quel dommage que je n’aie pas revu ce film depuis des lustres, car j'aurais volontiers volontiers démonté ton argumentation point par point !! Bon, soyons franc, pas sûr que ce soit le meilleur Truffaut, je l'admets. Je me souviens d'une "fraîcheur", d'un style "libre" et culotté, davantage que d'une mise en scène travaillée. Dans le genre comédie/hommage au Film Noir, on pourra préférer "Vivement Dimanche", son testament, qui brille par son intelligence. "La sirène du Mississippi" est pas mal du tout, aussi adaptée d'une série noire américaine.
RépondreSupprimer"si « Les quatre cent coups » a été un succès populaire dans la France de la fin des années 50, c’est qu’il était pas si avant-gardiste que ça" :
Comprends pas ce que tu veux dire... Que le public, trop con, est passé à côté de la nouveauté, que le succès est dû au hasard ? Ou que Truffaut a donné dans le ciné"ma de papa pour être sûr de faire des entrées ?
Je crois que le plus beau Truffaut de cette période, c'est "La Peau Douce" avec Dorléac. Chef d'oeuvre. Point Final. T'as pas intérêt à t'y attaquer pour en dire ne serait-ce qu'un début de quart de vacherie. Sinon je t'oblige à visionner "Farenheit 451" .
"Jules et Jim" c'est mythique. On touche pas aux mythes, c'est comme ça.
Bon, y'a un message de François quelque part, j'ai vu ça sur le côté. Je lui transmets mes bons voeux par ton intermédiaire (j'ai peur d'aller sur son blog de musique bizarre et choper des virus...) ainsi qu'à la petit bande qui passe par chez toi. Puisse la boutique rester ouverte longtemps !
Serais-je devin ? Lorsque j'ai vu "1 commentaire" sous Truffaut, je me suis dis, "ça, c'est Luc"...
SupprimerAh mais you devez faire erreur, yé né plou di blog (l'Idiot Electrique ?), yé comprend pas, yé pas été à l'école, moua...
Bonne année à toi, Luc !
Que Truffaut ait fait de meilleurs films que "Tirez ..." c'est évident ... dans celui-ci, oui, la fraîcheur, le style, d'accord ... mais aussi roue libre totale, en perpétuelle hésitation entre des genres différents ... trois étoiles amazon ...
SupprimerC'est un peu ce que je dis sur les 400 coups... ça ménage la chèvre et le chou. le film a fait plein d'entrées, il est pas aussi "hermétique" austère ou barré qu'un Resnais, Becker, Godard ... Cinéma de papa, non, pas à ce point-là, mais beaucoup plus accessible que le labyrinthique "l'année dernière à Marienbad" par exemple ...
Rien à voir mais vous avez vu le petit film d'entreprise d'Amazon ? A mourir de rire, les salariés qui ont le temps de jouer au baby-foot et de prendre un café... Qui a dit qu'Amazon était cette multinationale sans foi ni loi ? Communistes ! :)
RépondreSupprimerhttp://www.amazon.fr/gp/feature.html/ref=amb_link_179154907_2?ie=UTF8&docId=1000775373&nav_sdd=aps&pf_rd_m=A1X6FK5RDHNB96&pf_rd_s=center-B1&pf_rd_r=1Q3RP5M1106TZ3CH1SPH&pf_rd_t=101&pf_rd_p=460032327&pf_rd_i=405320
C'est beau comme un film de propagande constructiviste de RDA en 78.
SupprimerAmazon ils ont la foi ... ils croient au libéralisme (enfin surtout Bezos, les esclaves dans les rayons, j'en suis moins sûr) et savent communiquer, le clip est aussi beau que ceux pour te faire engager dans l'armée ...
SupprimerComme ils sont en train d'automatiser tout ça, de créer des robots pour aller chercher les produits en rayons, emballer, expédier (pour soulager la pénibilité, je ne vois pas d'autre explication), bientôt, il n'y aura plus de soucis de gestion de ressources humaines chez Amazon, puisqu'il n'y aura plus de ressource tout court !!!
RépondreSupprimerLes employés passent sous des portiques à la fin de leur journée, pour voir s'ils ne repartent pas avec un cd de Céline Dion planqué dans le froc. Y'a des gorilles qui fouillent aussi, qui mettent les mains... Vu une jeune fille déclarer à la caméra : "quand on n'a rien à se reprocher, on a la conscience tranquille, on accepte ce règlement". C'est beau.
Moi j'ai totalement confiance en M. Moscou-Vichy (dose) (et zut, j'ai "dérapé"...) qui saura, entre deux parties fines, j'en suis sûr, relancer le "dialogue social" et établir des compromis "gagnant-gagnant" au sein de ce beau fleuron industriel moteur de croissance...
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