THE CURE - SEVENTEEN SECONDS (1980)


 Cold Wave ...

Un beau jour, dans les années 2000, parce qu’il ne sortait plus que des mauvais disques, ou que plus personne n’en achetait, ou les deux, y’a un manager fûté qui a dit à ses poulains qu’ils avaient qu’à rejouer en concert l’intégralité et dans l’ordre des titres leurs vieux disques, ceux que les gens aimaient et avaient achetés. Je sais pas qui a eu l’idée, ni qui a commencé, mais tous les quadra-quinquas voire plus du rock s’y sont collés. On prenait la masterpiece de la disco, on étirait un peu les morceaux, une heure passait, rideau, deux ou trois hits en rappel et l’affaire était dans le sac, merci chers fans pour votre contribution au quotidien de nos vieux jours …

Gallup, Tolhurst, Smith & Hartley : The Cure 1980

Cure n’a pas échappé à la règle. Sauf que jouer un disque en entier, une poignée de titres en rappel et plier les gaules au bout d’une heure et quart de scène, c’était pas vraiment le genre de Robert Smith, qui dans ce cas-là aurait passé plus de temps à se crêper la tignasse, se maquiller le groin avec du noir, du blanc et du rouge à lèvres pétard, qu’à être sur scène. Parce qu’à l’instar d’un autre vioque du New Jersey et de ses poteaux de la rue E, Smith tient facilement trois heures sur les planches … et donc la solution pour coller à l’air du temps et en donner au public pour son argent fut pour les Cure de ne pas jouer l’intégralité d’un vieux disque, mais l’intégralité de trois vieux disques en concert. Ainsi, lors d’une tournée dont j’ai la flemme de rechercher la date, furent successivement balancés au public « Seventeen seconds », « Pornography » et « Desintigration » dans leur intégralité, plus quelques rappels, et il n’était pas rare que le groupe reste beaucoup plus de trois heures sur scène …

Tout ce pensum introductif pour dire que « Seventeen seconds » est un disque important pour les Cure. Apparus trop tard pour être les Sex Pistols ou les Clash et trop tôt pour être Eurythmics ou Depeche Mode, l’avenir des Cure semblait incertain. Les premiers titres du groupe partaient dans tous les sens, que ce soit sur le premier « Three imaginary boys », ou sur la compilation (ouais, je sais, sortir une compilation après seulement un disque, c’est pas très malin, mais Cure sortait plein de 45 T et de maxis, et cette compile « Boys don’t cry » c’était un peu une façon de prendre le train en marche pour ceux qui avaient raté le premier Lp). Et à propos de train, pas grand-monde l’a pris, le Cure des débuts est un groupe confidentiel dont la ligne musicale n’est pas vraiment définie, et au futur en forme de point d'interrogation.


Parce que Cure n’est pas un groupe. Robert Smith écrase tout le monde, c’est le Lider Maximo, et ça commence à défiler dans le casting … Manière de faire se poser des questions sur l’avenir de Cure, il va faire une pige comme guitariste chez Siouxsie & the Banshees. Après quelques mois d’existence, l’avenir des Cure est déjà une totale spéculation.

Robert Smith garde son pote batteur Laurence Tolhurst, vire le bassiste Michael Dempsey, embauche Simon Gallup à la place, et complète le line-up avec aux claviers un certain Matthieu Hartley, qui ne passera même pas un an dans le groupe et dont on a perdu la trace depuis … Les Three Imaginary Boys devenus quatre comme les Mousquetaires vont aller en studio pour en sortir « Seventeen seconds ». Et avec « Seventeen seconds » va commencer à s’écrire la saga Cure …

Finies les reprises saugrenues d’Hendrix, les tourneries pop, les petits rocks épileptiques et autres incongruités antérieures, et place au Cure sound, celui qui va quasiment définir une génération, celle des années 80. Quand la formule sera rodée et définitive, on verra les rues encombrées de silhouettes unisexes très Walking Dead, longs cheveux crêpés, orbites noircies, fond de teint farineux, lèvres carmin vif, fringues noires et baskets montantes blanches sans lacets. Le look de Robert Smith dans les eighties sera le plus copié, avant la décennie suivante celui de Kurt Cobain (mais là, c’était plus facile, moins disruptif …).

Niveau look, on n’en est pas encore là avec « Seventeen seconds ». Smith a vingt et un ans, le cheveu court, et une bonne bouille ronde sympathique … le parfait boy next door en somme. Niveau musique, par contre, ça commence à se démarquer de toute concurrence. Non pas que ce soit foncièrement original. On sent que Robert Smith (qui est le compositeur quasi unique et exclusif du groupe) a pas mal écouté Joy Division, et Cure s’essaie à sa façon à reproduire le martèlement rythmique du groupe de Manchester. Le tempo est lent, métronomique, les instruments forment un magma sonore d’où s’extraient des arpèges de guitare ou de piano, la basse est très mélodique (souvent une Fender VI à six cordes), le chant est fort, aigu, plaintif, et des mots tels que « cry », « scream », « tears », « blood », « dark », « rain », commencent à se poser comme la base lexicale des textes de Smith.

« Seventeen seconds » n’est pas parfait, mais la formule qu’il propose n’aura pas besoin de beaucoup d’évolutions pour devenir un des marqueurs sonores les plus facilement identifiables du rock. Qu’on l’aime ou pas, le son des Cure, on le reconnait instantanément …

Le disque débute par un instrumental (« A reflection ») tout en lenteur enchevêtrée de piano et guitare. « Play for today » qui suit est un des sommets de la rondelle, avec ce son de batterie tellement trafiqué (Mike Hedge, producteur depuis les débuts, Chris Parry, patron de leur label Fiction Records et Bob Smith co-produisent) qu’on la croirait électronique. L’intro, comme souvent chez Cure, atteint ou dépasse la minute, la voix de Smith trouve son registre qui la fait instantanément reconnaître. Seuls des synthés un peu datés et un rythme plutôt allegro (pour Cure s’entend) montrent les tâtonnements dans la mise en place du classic Cure sound…


Et « Seventeen seconds » c’est un peu ça tout le temps. C’est un disque de mise en place, un premier chapitre (d’ailleurs avec ses deux suivants « Faith » et « Pornography », on parlera souvent – au grand dam de Smith, et il a raison, « Pornography » est brûlant comme du métal en fusion » - de la trilogie « glaciale » de Cure). Il y a des petits trucs, qui à la réécoute à l’aune de tous ses successeurs, piquent les tympans. Si Smith sait commencer ses morceaux par de longues intros, il ne sait pas toujours les finir, certaines fins de titres sont plutôt abruptes (« Secrets », « M »). Parfois tout est en place et les titres auraient pu figurer sur au hasard, « The Head on the door », comme par exemple « In your eyes ». D’autres fois, des petits détails, parce que l’ensemble est quand même un bloc homogène, rendent un titre quelconque (« Three »).

Deux titres se démarquent. Leur premier single classé (31 dans les charts anglais, c’est pas « Seventeen seconds » qui a rendu Smith millionnaire) est « A forest », pas grand-chose à dire, c’est du classic Cure, et accessoirement le titre le plus joué par le groupe sur scène. L’autre titre majeur, c’est « M » qui met en avant ce côté « on sautille dans le désespoir », qui décliné et dupliqué par la suite (« In between days », « Why can’t I be you ») remplira bien les poches de Fatbob. Petite parenthèse sur les succès de The Cure. Leur titre peut-être le plus connu, « Boys don’t cry » (en gros mise en forme musicale joyeuse du désespoir) qui réunit les qualités de « M » et « A forest », est sorti en single avant la parution de « Seventeen seconds » sans obtenir le moindre succès. Ce n’est que lorsque la gloire du groupe sera atteinte que Smith le ressortira en 86 pour là faire un carton mondial …

« Seventeen seconds » tant par sa musique que par sa pochette (des arbres morts ou au moins sans feuilles dans le brouillard) sera le premier grand marqueur de ce qu’on appellera cold wave. Car même si l’expression a déjà été utilisée pour d’autres (Siouxsie, Wire, P.I.L., …), c’est The Cure qui en deviendra la figure de proue …

Un disque bien rafraîchissant par les temps de canicule …


Des mêmes sur ce blog :

Pornography



2 commentaires:

  1. Sur l'idée de reprendre en concert l'intégralité d'un album, dans l'ordre, je ne sais pas qui en a la paternité, mais Springsteen le fait depuis très longtemps. La dernière fois qu'il est passé à Paris, il nous a fait le double "The river". Quand on connaît l'original, et qu'on entend la version live forcément étirée de chorus et autres fanfaronnades, c'est assez bluffant.

    The Cure, au début, je ne m'y faisais pas. Trop froid. C'est mon grand frère qui adorait cette new wave british, je trouvais que ça ne swinguait pas pour un clou, j'étais en pleine période blues, Albert Collins, Johnny Winter. Ils sont passés à Rock en Seine il y a trois ans, et j'y suis allé avec lui. J'avais révisé mes classiques en lui piquant un double live. J'ai été épaté ! The Cure sur scène c'est très psychédélique quand on y pense, des titres étirés et éthérés, j'aime beaucoup le jeu de guitare de R. Smith, pas un guitar-héro, mais il assure tout seul rythmique et solos. La voix est restée la même qu'à ses 30 ans, le mec arrive sur scène presque en s'excusant d'être là, timide, accepte au bout de deux heures de dire un mot au public, du bout des lèvres, avant de fuir en coulisse en regardant ses pompes, on voit bien que cela lui en coûte. C'est le bassiste Simon Gallup qui fait le show.
    Seul souci, quand on regarde la set-list de leurs concerts, c'est la même depuis 20 ans, une machinerie bien rodée.

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    1. Robert Smith, il a trouvé une formule sonore. Parce que si tu fouilles un peu la disco du groupe, il y a des choses qui n'ont rien à voir avec du "classic Cure" surtout de 80 à 85. C'est le succès de The head on the door qui rétrécira considérablement la palette sonore, et tous les titres antérieurs qui pouvaient s'en démarquer seront réarrangés sur scène pour donner cette impression d'uniformité, de bloc sonore (le seul à y échapper c'est "Boys don't cry" parce que trop connu et trop sautillant au départ) ...

      Robert Smith est souvent cité comme un des guitaristes marquants du rock, dans les mags spécialisés ou pas, donc comme un guitar hero. Un guitariste atypique parce que ne rentrant pas dans les cases jazz ou pentatonique, deux genres où tout le monde a des repères (Hendrix, Clapton, Page d'un côté, McLaughlin, Al DiMeola de l'autre, Jeff Beck étant cité par les deux camps). Celui qui a le plus influencé FatBob, c'est John McGeogh, le guitariste de Siouxsie (qui a remplacé Smith après la pige qu'il avait fait dans le groupe). Privilégier la texture sonore plutôt que la virtuosité pour schématiser. The Edge de U2 est un peu de cette école-là ...

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