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DAVID BOWIE - ALADDIN SANE (1973)

Le petit frère de Ziggy Stardust
1972. Bowie accède au succès après lequel il courait depuis des années grâce à son disque-personnage-concept Ziggy Stardust enfonçant le clou du glam-rock en Angleterre. La superstar du genre est le T.Rex de Marc Bolan. Echaudé par une tournée américaine calamiteuse du temps de Tyrannosaurus Rex, Bolan va prudemment se cantonner aux Îles Britanniques, tout juste consent-il à visiter un peu l’Europe. Bowie, ambitieux et bosseur acharné, va s’attaquer au jackpot du marché américain, et y tourne sans relâche. Entre deux concerts, il griffonne les chansons qui vont être la base de son prochain disque.
« Aladdin Sane » paraît au printemps 73 et doit résoudre une équation compliquée : aller plus loin dans la surenchère glam, se renouveler tout en restant dans le même créneau. Du strict point de vue comptable, mission accomplie, Bowie devient une des institutions du music-business. Bon, « Aladdin Sane » ne vaut pas « Ziggy Stardust », d’ailleurs rien dans l’interminable discographie de Bowie n’égalera « Ziggy Stardust ». Mais ce n’est pas un disque anecdotique pour autant.

En 1972-73, Bowie-Ziggy est devenu quelqu’un qui compte. On le retrouve sur tous les fronts. Tournées, production pour Lou Reed, Iggy Pop & les Stooges, Mott The Hoople. Peut-être s’est-il trop dispersé, peut-être aussi commence t-il à fréquenter de trop près des dealers. La filiation de « Aladdin sane » avec son chef-d’œuvre « Ziggy Stardust » est évidente, ne serait-ce qu’au niveau du son, Bowie est toujours accompagné par les Spiders from Mars et Ken Scott à la production. Mais l’équipe s’est étoffée. Trois choristes. Un sax, plutôt une bonne nouvelle, Bowie en jouant plutôt façon corne de brume. Et puis, surtout, parce que David Jones a souvent eu des intuitions géniales, il est allé recruter un pianiste jusque-là cantonné au jazz expérimental et d’avant-garde, un certain Mike Garson. Autant il y aurait fort à dire sur le come-back de Garson il y a quelques années au sein du Bowie band, et ses accointances avouées avec la scientologie, autant en 1973, ce pianiste est un alien dans le monde du pop-rock.
Sans Garson, « Aladdin sane » serait un disque quelconque. Les parties de piano hallucinées de l’Américain tirent beaucoup de compositions vers le haut. Un peu l’inaugural « Watch that man », beaucoup sur « Time », autant marqué par Kurt Weill que par le final de « Hey Jude ». Mais c’est sur « Aladdin sane » le titre, que Garson amène cette chanson déjà bien barrée au départ dans une autre dimension grâce à un solo inouï. Par contre, Garson ne peut rien pour sauver une version pataude de « Let’s spend the night together » de-qui-vous-savez, ou alors je vous plains …
Garson, un moustachu, Bowie, Visconti et un fan du New Jersey 
Allez, ouvrons la parenthèse ragots-potins-anecdotes-légendes. Deux choses sur ce disque. Son titre, jeu de mots de seconde division, permettant la lecture « a lad insane » (« un mauvais garçon cinglé » pour ceux qui avaient pris ukrainien en première langue). Le titre de la chanson, lui, se voit ajouter trois dates (1913-1938-197?), les deux premières correspondant à l’année précédant une guerre mondiale, la troisième la prévoyant avant la fin les années 70. Nostradamus-Bowie s’est trompé … Autre lecture de « Aladdin sane », la référence à son demi-frère Terry, interné pour problèmes mentaux. Bowie est toujours resté discret publiquement sur le sujet, seuls les dissecteurs de son œuvre ont décelé dans plusieurs de ses chansons des allusions à ce demi-frère, avec qui la star a entretenu des relations en dents de scie (des années sans le voir, puis des périodes de visites hebdomadaires). Et puis il y a l’affaire « Let’s spend the night together ». On a su des années plus tard quand elle a écrit un bouquin sur lui que l’ex-femme de Bowie avait un matin trouvé celui qui était alors son mari au lit avec Mick Jagger. Dès lors, le choix de reprendre cette chanson et pas une autre dans le répertoire des Stones s’apparente à une private joke. La réponse de Jagger viendra quelques mois plus tard, lors de la parution de « Goats head soup », avec un titre peu flatteur à l’adresse d’une petite pute juste intéressée par le pognon. Dans la chanson, cette fille s’appelle Angie … comme la femme de Bowie, ce qui fait plus que de simples coïncidences … Fin de la parenthèse.
Revenons au skeud. Si Garson tire la couverture à soi, il y en a forcément qui sont en retrait. La grosse victime de « Aladdin sane » s’appelle Mick Ronson. Le flamboyant guitariste des Spiders n’est vraiment à son avantage que sur deux titres, l’assez quelconque « Panic in Detroit » (référence à ces Etats-Unis que Bowie rêve de conquérir) et « Cracked actor » un rock basique, futur cheval de bataille immuable de nombreuses tournées de Bowie avec mise en scène de personnage shakespearien (le crâne et la cape de la tournée « Let’s dance » de 1983 sur ce titre). Autre incontournable et gros hit, « Jean Genie », référence à Jean Genêt et tout comme « La fille du Père Noël » de Dutronc, plagiat d’un riff de Bo Diddley (celui de « I’m a man », lui même pompé sur le « Hoochie Coochie Man » de Muddy Waters, lui-même … éternelle histoire du rock et de ses pillards …).

Par contre, ça sent le disque vite fait, avec quelques titres anecdotiques. « Drive-in Saturday », soul blanchie et follow-up de la « Soul love » de « Ziggy Stardust », la ritournelle glam linéaire de « Prettiest star », imitation sans saveur du T-Rex style qu’un long coulis de notes traînantes et distordues de Ronson ne parvient pas à sauver, « Lady grining soul », ballade tremblotante et (un peu trop) lyrique, n’ont jamais été perçus comme des titres majeurs de Bowie.
Les dernières versions en date de « Aladdin sane », en version DeLuxe et remastérisées n’apportent pas grand-chose. « Time » et « Jean Genie » en version single, « John I’m only dancing », un 45T qui a pas mal marché mais que j’aime pas (ce qui ne l’empêche pas d’être sur à peu près toutes les compiles de Bowie), la version de Bowie de « All the young dudes », inférieure à celle de Mott The Hoople. Plus quelques titre live d’une tournée américaine de 72-73, un massacre de « Changes », un superbe « Jean Genie » (qu’on retrouve sur le « Live at Santa Monica », meilleur live de Bowie longtemps resté un pirate), une curiosité (« Drive-in Saturday » juste avec une guitare acoustique, c’est courageux, mais Bowie n’a rien d’un grand folkeux …)

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THE STRANGLERS - THE RAVEN (1979)

Avarie en plein vol ...
Les Stranglers, y’a bien 25 ans que j’ai arrêté de suivre leur carrière… et pourtant j’ai poussé le dévouement jusqu’à acheter trois ou quatre disques après leur chef-d’œuvre « Feline » (1982), disques dont même avec la plus grande charité on ne peut pas dire de bien …
« The Raven » fait partie de la « bonne période », mais comment dire … vous avez compris …
Troisième skeud du groupe, rien que par son titre célébrant un volatile mal-aimé, synonyme de malheur voire de mort dans bon nombre de croyances populaires, « The Raven » se rapproche évidemment de « Rattus Norvegicus ». Toujours ce sens de l’humour assez particulier du groupe et la célébration du noir, leur couleur fétiche …
Cornwell, Greenfield, Burnel, Black : Stranglers 1979
Sauf que ce coup-ci, pour moi, c’est raté … Un peu la faute aux bonnes chansons qui ont oublié d’être là, beaucoup la faute à un son assez révulsant confinant quasiment à la faute de goût ininterrompue sur ce disque. Principaux responsables, les claviers divers et variés de Greenfield. Omniprésents, certes annonciateurs de beaucoup de choses qui allaient suivre dans les années 80, mais terriblement datés. Ecouter des parties de Casio (ce synthé dont ne sait pas trop si c’est un instrument de musique ou un jouet) à un doigt par un type capable de jouer des parties de clavecin (qui plus est en utilisant tous ses doigts) fait irrésistiblement penser à tous ces groupes de garçons-coiffeurs, OMD, Human League et consorts aussi inconsistants sur le fond que sur la forme … Au débit également, ces parties (émulées ?) de batterie de Jet Black très robotiques, mécaniques, alors que c’est un type capable de faire beaucoup plus groovy et swinguant. Assez curieusement, ce disque pourtant très anglais par le son aura une grosse influence en France, où naîtront deux groupes fortement marqués par cette présentation sonore, Taxi Girl et Baroque Bordello, les premiers se faisant ensuite produire par Burnel et les seconds tirant leur nom d’un titre de chanson de « The Raven ».
Malgré un son détestable, tout n’est pas à jeter. Le court instrumental inaugural (« The longships ») est aguicheur avec son tournoiement genre fête foraine et orgue de Barbarie, et laisse présager de bonnes choses qui n’arrivent pas. En fait, il faut arriver au cœur de la seconde face du vinyle originel pour trouver les deux meilleurs titres, le cafardeux et mortifère « Don’t bring Harry » chanté toute basse en avant par Burnel, et puis et surtout, totalement incongru et inattendu dans le conteste, le fantastique titre de pure pop « Duchess » que n’aurait pas renié un Ray Davies au sommet de son art. Eclaircie de courte durée, les deux derniers titres plutôt expérimentaux confirment qu’avec « The Raven » les Stranglers sont à côté de la plaque.
La pochette du 45 T "Duchess", ou l'art de la provoc ...
Les ultra du groupe noteront avec « Meninblack » (titre ralenti, avec effets de disque ne tournant pas à la bonne vitesse) la première allusion à cette galéjade (les Men In Black) qui sera pendant quelques temps leurs fonds de commerce. En gros, à l’inverse de la franchise cinématographique du même nom, les MIB des Stranglers sont des extra-terrestres venus prendre le contrôle de la Terre en intégrant toutes les plus hautes sphères politiques, économiques, décisionnelles, … Signe particuliers, ces méchants E.T. s’habillent toujours tout en noir. Les Stranglers, pas cons, ont découvert leur petit manège, et la riposte des aliens fera pleuvoir sur eux problèmes de tous ordres… Je me demande si eux-mêmes y ont cru un seul instant, mais cet espèce de running gag sera récurent pendant une paire d’années dans toute leur communication, notamment avec la presse (personne osait se marrer, Burnel étant un karatéka de très haut niveau n’hésitant pas à ouvrir la boîte à gifles …), et donnera lieu à un disque oubliable consacré à ce puissant concept, « The gospel according to the Meninblack ».

La réédition de ce disque, est contrairement à la plupart de leurs autres œuvres, assez chiche en bonus (quatre) qui relèvent plutôt le niveau, notamment grâce à la version française de « Don’t bring Harry » …

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T.REX - ELECTRIC WARRIOR (1971)

Faire mouiller les petites filles ...
… et ramasser la monnaie. Une formule déjà bien rodée. Le dénommé Mark Feld, alias Marc Bolan, va la pousser à son paroxysme dans l’Angleterre du début des années 70.

Bolan, c’est le type qui veut absolument réussir. Depuis le milieu des années 60, il entend devenir une rock star. Une obsession qu’il partage avec une de ses connaissances, un certain David Jones, devenu à la scène David Bowie. Les deux hommes sont plus amis que rivaux (ils utilisent souvent le même producteur, Tony Visconti), épient leurs carrières respectives. Début 71, match nul. Bolan est à la tête d’un groupe (en fait un duo) de folk campagnard hippy (Tyrannosaurus Rex), sort des disques qui au mieux font un succès d’estime. Bowie y a goûté au succès, celui du single « Space Oddity » en 1969. Depuis, accueils critiques polis et c’est tout. C’est Bolan qui va trouver la formule magique. Exit les babacooleries folky (Devendra Banhart reprendra la formule des décennies plus tard), exit Tyrannosaurus Rex, et place à T.Rex. Si le nom se raccourcit, le personnel augmente. En plus de Bolan au chant et à la guitare, on y trouve Micky Finn (l’autre moitié de Tyrannosaurus Rex), aux backing vocaux et percussions, Steve Currie à la basse et Will Legend à la batterie. Deux titres classés, « Ride a white swan » et « Hot love », dans un nouveau registre. Plus rythmé, plus pop, plus rock … et on voit à la télé anglaise un Bolan aguicheur, en satin et  platform shoes … La mutation T.Rex est en marche, et Bowie dans les cordes compte les points …
Bolan cogite un projet global de domination des charts. Son physique elfique ne laisse pas les filles, surtout les plus jeunes, indifférentes. Il va soigner son apparence, ne pas mégoter sur les couleurs vives et les paillettes. Musicalement, il va s’inspirer de deux stars qui ont fasciné le public. La première du rock, Elvis Presley, et la plus magnétique qui vient de mourir, Jimi Hendrix. Il empruntera un peu aux deux, la lascivité des rock mid tempo au King, la flamboyance et dans la mesure de ses possibilités, recyclera quelques plans de six-cordes d’Hendrix.

A cet égard, rien que la pochette du disque « Electric warrior » qui doit concrétiser son triomphe est révélatrice. Bolan pose en guitar hero (Gibson Les Paul), devant un énorme ampli (de la confidentielle marque Vamp). Et au départ, « Electric warrior » était conçu comme un disque très rock. Il suffit d’écouter sur une de ses multiples rééditions les versions « work in progress » des titres pour s’en rendre compte. On  y entend le groupe répéter, grosse batterie, gros riffs de guitare, et chant souvent hurlé de Bolan. Lors de la parution du disque, il ne restera qu’un titre dans cet esprit, « Rip off », phrasé plus vomi que chanté (très punk, aussi ceux-ci citeront souvent Bolan comme une de leurs influences), guitare hurlante et final avec sax free gueulard sur un mur de feedback.
Pour le reste, nul doute que Tony Visconti a beaucoup aidé Bolan à enjoliver son propos. Les titres de « Electric warrior » font alterner ballades (« Cosmic dancer », « Monolith », la très suave « Life’s a gas ») avec titres plus énergiques (« Jeepster », « Get it on », « The motivator »). L’innovation est aussi de la partie, détournement de mambo (« Mambo sun »), blues à paillettes (« Lean woman blues »), percussions très en avant (« Planet Queen », quasiment un duo avec Micky Finn, cependant à mon sens le titre le plus faible du disque). « Girl » fait immédiatement penser à du Lennon solo, « Imagine » du binoclard sort à peu près en même temps et son titre éponyme et « Get it on » seront à la lutte pour être les deux succès de l’hiver 71-72.

Visconti concocte pour « Electric warrior » un son très soyeux, fait swinguer la section rythmique, multiplie les arrangements agréables à l’oreille. Mais surtout il recadre Bolan au chant et à la guitare. Et c’est ce qui fera toute la différence. Bolan, même s’il ne fait pas partie des ténors de l’instrument se concentre sur les riffs, joue peu souvent rythmique. Sa guitare n’est pas toujours présente, et donc se remarque d’autant plus lorsqu’elle intervient. Rajoutez des efforts sur la trituration et la distorsion du son (l’influence hendrixienne), et ça donne tout son cachet à des titres qui au niveau composition, n’ont cependant pas inventé la foudre … C’est pourtant au niveau du chant que se fera la différence. Bolan murmure, susurre (l’Elvis des débuts), ronronne avant de rugir, multipliant râles, soupirs, hoquètements. Une voix et un chant très sexués, qui agira très directement sur son public. Le cœur de cible de Bolan-T.Rex, c’est la midinette collégienne, et on verra se reproduire à chacune de ses apparitions des scènes d’hystérie collective pas vues en Angleterre depuis la beatlemania. Les deux singles issus de « Electric warrior », « Jeepster » et « Get it on » connaîtront un succès considérable, lançant la mode glam qui verra des légions de groupes plus ou moins suiveurs envahir le pays. Bolan surfera tout en haut de cette énorme vague (deux concerts à Wembley au printemps 72, avec la fameuse mise en scène du culte de sa propre personnalité alors inédite, Bolan y apparaissant en tee-shirt … Bolan), trustant les sommets des hit-parades avec les singles « Metal guru » et « Telegram Sam », ainsi que l’album suivant, « The slider » …

Et Bowie dans tout çà ? Il va retenir les leçons qui ont fait l’énorme succès de Bolan. Et pousser le bouchon encore plus loin. Bolan plaît au filles ? Il va plaire aux filles ET aux garçons, mettant en scène son équivoque ambiguïté sexuelle, à grands renforts d’interviews malines, de trousses de maquillage et de tenues encore plus extravagantes … Le vaisseau de Ziggy Stardust est en route pour la Terre …


THE SPECIALS - THE SPECIALS (1979)

Punky reggae party ...
Le punk, c’est bien … on a vite fait le tour, mais c’est bien quand même. Il y avait dans l’Angleterre de la fin des 70’s une alternative aux mastodontes du rock, tous ces types qui approchaient le quarantaine et qui, en plus, étaient pas au mieux artistiquement. La jeunesse prenait le pouvoir (enfin, elle le croyait). Retour au sain boucan, à l’approximation bordélique, aux fondamentaux du rock’n’roll, à la simplicité, à l’esprit de démerde (do it yourself) …
Y’avait juste un petit problème : tu fais quoi, quand t’as vingt ans en province, et que les Pistols, le pub-rock, Eddie Cochran, te gavent autant que Yes, Clapton et les Stones ? Tu fais quoi, quand t’es une bande de potes dont quelques-uns sont pas blancs ? Tu fais quoi quand les trucs que t’écoutes c’est des trucs jamaïcains de la décennie passée ? Si tu te bouges pas le cul, t’es mort, personne entendra jamais causer de toi …
Ce postulat, Jerry Dammers, leader de cette bande de potes un peu paumés et en tout cas hors sujet musicalement, l’avait parfaitement compris. Les majors s’en foutent des Specials ? On va monter un label. Comment se faire connaître ? En étant rigoureux (en bossant sur sa musique, quoi), et en étant originaux. Dammers a fait tout çà. En créant 2 Tone Records, en écrivant au moins la moitié des titres, en trouvant ce gimmick (le 2 tone) exploité à fond. Les vieilles fringues en noir et blanc, idem le logo du label, les flyers, tout à base de damiers … Quasiment à lui seul, Dammers est responsable du ska revival … L’Histoire, cruelle, fera la fortune de Madness. Pour les Specials, ne resteront que la légende (mais ça remplit pas l’assiette, la légende), et les emmerdes …

Le ska, c’est la Jamaïque, on sait … en Angleterre dès le début des années 60, les skinheads vont s’approprier la musique jamaïcaine, en faire leur chasse gardée. Les skins, au début, c’était de braves gars, prolos et de gauche. A la fin des années 70, les skins c’est des fachos proches du National Front, mais qui continuent d’écouter du ska. Ces sinistres connards se pointeront en nombre à tous les concerts ska avec leurs conséquences prévisibles (passage à tabac de tout ce qui n’est pas blanc, bastons systématiques avec les punks, etc … ). Les Specials sont à des lieues de cette idéologie nauséeuse, mais l’ambiance délétère de leurs concerts leur coûtera cher, leur carrière en fait.
Parce que le premier disque des Specials, il enfonce toute la concurrence (Madness, Selecter, Bad Manners, The (English) Beat). Parce qu’en plus d’avoir écrit trois poignées de titres sans points faibles, les Specials vont bénéficier à la production des services d’un type alors en état de grâce, le sieur Elvis Costello. « The Specials » est un régal. Pour chaque titre, il y a toujours une trouvaille sonore. Sans toutefois dénaturer le propos, la base et l’essence des titres. Déjà, sur quinze titres, plus de la moitié ne sont pas du ska. Il y a du reggae, du rock steady, du dub, du lovers rock (et non, c’est pas la même chose ...). Et parfois même un fonds rock (« Concrete jungle »), voire rock’n’roll (« Dawning of a new era »). Priorité est donnée fort justement à la rythmique (fabuleux arrangements des parties de batterie, et une basse omniprésente), à la mise en place vocale (deux chanteurs, et deux autres qui interviennent dans les chœurs) et aux mélodies nerveuses (le rythme originel de la musique jamaïcaine est très souvent accéléré).
Sur quinze titres, un seul est à mon sens raté (« Stupid marriage »), et un autre un peu hors-sujet (« Concrete jungle », avec ses rythmes tribaux à la « We will rock you » de Queen). Le reste, c’est du tout bon. Bien que des vrais hits, il n’y en ait qu’un, « Gangsters », absent du vinyle original mais rajouté depuis sur toutes les rééditions. D’autres titres, relativement anonymes pour le « grand » public, auraient mérité le haut des charts (« A message to you Rudy », « Doesn’t make it alright » sont les plus évidents. Mention particulière au long « Too much too young », reggae-ska sur une boucle rythmique de six minutes, jouant sur d’imperceptibles variations, et démontrant par là-même qu’instrumentalement les Specials assuraient (on n’était pas dans l’approximation punk), et qu’encore une fois Costello faisait des miracles à la console.

Potentiellement, les Specials avaient  tout pour réussir (les parties de guitare de Roddy Radiation sont un régal, il aborde chaque morceau différemment, les cuivres savent être discrets dans leur efficacité), et une marge de progression assez impressionnante, les amenant à préparer un second disque beaucoup plus ambitieux, débardant le cadre du reggae au sens large. C’est surtout humainement que la mayonnaise ne prendra pas. Jerry Dammers, personnage clé du groupe, est assez peu « visible » aux claviers et les ego ne vont pas tarder à prendre le dessus. Plus que la retombée de la vague éphémère du ska, c’est le clash des personnalités qui provoquera la chute des Specials.
L’héritage laissé par le groupe ne sera pas à la hauteur de son talent. Les Specials, on n’en a retenu que la matrice d’un ska festif up tempo, pénible passage obligé de tout festival qui se veut « sympathique » et « populaire », alors que dans ce premier disque, il n’y a réellement qu’un titre (« Nite Klub ») qui réponde à cette définition …

Les « vrais » Specials (plusieurs moutures du groupe avec quelques-uns des membres originaux essayent de temps en temps de revenir sur le devant de la scène, sans aucun succès) n’ont sorti que deux disques. Celui-ci est d’assez loin le meilleur …

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MC5 - BACK IN THE USA (1970)

Rock'n'roll never die ...
Le second disque du Five ... dès son titre, tout un programme … Jusque là, le programme du MC5, vu de loin, ça se confondait avec celui de son manager, le bien allumé John Sinclair. Le manager-gourou du groupe était aussi le fondateur du White Panther Party, version …euh … différente des Black Panthers. En gros, un gloubi-boulga anarcho-marxiste-barré articulé autour de dix points dont quelques-uns assez fumeux. Tellement fumeux que la brigade des stups de Detroit va serrer Sinclair en 1969 pour deux pauvres joints et l’envoyer au pénitencier.
Le MC5 se retrouve livré à lui-même, ce qui n’est pas une bonne chose. Et sans maison de disques. Le premier brûlot du MC5, « Kick out the jams » (à l’usage des sourds et des jeunes générations, je rappelle qu’il s’agit du meilleur disque live de tous les temps) ne s’est guère vendu. Pire, à cause de quelques « motherfuckers » bien audibles, une grande chaîne de magasins de disques l’a d’emblée retiré des rayons. Bravache et activiste, le groupe entre en résistance, à coups d’affiches, slogans et appels au boycott de l’épicier vinylique. Bataille du pot de terre contre le pot de fer. La label du Five, Elektra (entre autres celui des Doors) est menacé de voir retirer de la vente tous ses « produits ». Aussi sec, devant la pression de l’épicier, Elektra se débarrasse du MC5.

Les cinq types du Five ne sont pas vraiment des politiciens révolutionnaires. Le seul genre de révolution qui trouve grâce à leurs yeux se résume en quatre mots : meufs, dope, bagnole, rock’n’roll, les trois premiers gros consommateurs de dollars, le quatrième étant  censé les leur apporter. Atlantic consent à signer pour un disque cette bande assez ingérable, et un petit journaleux de Rolling Stone, qui n’a pas encore vu le futur du rock’n’roll décide de s’occuper d’eux, les emmène en studio et s’auto proclame leur producteur. Le groupe s’en fout un peu de ce Jon Landau, mais bon, faut bien faire rentrer du cash pour faire le plein aux Ferrari et un disque est mis en chantier.
Concept : puisque l’utopie militante ne nourrit pas son homme, on va faire simple, basique même. Foin des influences de Sun Ra (« inspirateur » du « Starship » de « Kick out de jams »), back in the USA, back to the roots. Concis, ramassés, urgents, tels seront les titres de ce disque. Onze pour vingt huit minutes, comme un majeur dressé bien haut devant tous les techniciens bluesy ou pas qui étirent un titre sur toute une face de vinyle. Et retour aux bases de la musique qui les fait vibrer, le rock’n’roll des origines remis aux goût du jour à la sauce Motor City, puisque c’est de la capitale automobile qu’ils viennent et où leur insuccès les condamne à rester.
Ils sont pas nombreux dans ce créneau à cette époque-là. Les revivalistes loufoques de Sha Na Na (leur copie conforme française s’appellera Au Bonheur Des Dames) et puis, quand même un mammouth en terme de ventes et de popularité (de qualité aussi, mais c’est pas le propos ici), le Creedence Clearwater Revival de John Fogerty. Fogerty qui bien que de la ville (celle des hippies, San Francisco), donne dans le rock’n’roll rustique et campagnard. Le Five va faire la même chose, mais dans son versant urbain, et la différence ne s’arrêtera pas au port ou non de chemises de bûcherons à carreaux.
Dans l’ancienne place forte de la Tamla Motown, le MC5 va livrer une version urbaine, violente, de la musique originelle. « Back in the USA » commence et finit par une défenestration de deux classiques : « Tutti frutti » de Little Richard et l’éponyme « Back in the USA » de Chuck Berry. Versions du Five sauvages mais assez proches et respectueuses des originales. Tout le reste est plus sournois, plus agressif aussi. Finie la rythmique char d’assaut, c’est rapide, ça pulse et ça swingue. Finis les numéros de shredders de Kramer et Smith aux guitares, ça joue carré, sérieux, et ça se paye même des solos dans les « règles de l’art ». Finis les cris et hurlements de Tyner, ça chante et plutôt très bien même. Beaucoup affirment que « Back in the USA » est un disque annonciateur du punk. Ma foi … Moi je dirais que trois ans avant le « Pin Ups » de Bowie, le disque du MC5 est avec le « Supernazz » des Flamin’ Groovies sorti quelques semaines plus tôt, une des premières œuvres strictement revivalistes du rock.

Là où se situe le talent du groupe, en plus de la Detroit touch devenue cliché et tarte à la crème d’une  certaine forme de musique dure, « pour hommes », estampillée « street credibility », c’est dans la clarté du propos et la mise en place. Respectueux des fondamentaux (il n’y a rien d’original, ça dure en moyenne moins de trois minutes par titre, personne cherche à se mettre en avant), tout en entrouvrant des lucarnes pour les générations futures. Les punks, on l’a dit et (trop) répété à mauvais escient, mais beaucoup plus la power pop (« Teenage Lust », « High school », « Shakin’ Street »), et la matrice de toutes les formations revivalistes « lettrées » (en gros tous ceux qui ont fait l’effort d’écouter des disques sortis avant le premier Ramones, et dont l’exemple typique français doit être les Dogs). Le Five casse avec « Back in the USA » sa réputation de groupe sauvage mais approximatif, Kramer y va de quelques solos qui ne feront certes pas oublier Hendrix, mais qui sont « propres ». Le rôle de Landau,  souvent tenu pour quantité négligeable, y est pour quelque chose : pour son baptême du feu aux consoles, il fait faute de pouvoir mieux dans l’ultra basique, et coup de bol, c’est ce qui convient parfaitement au disque. A peine deux concessions : une à la mode de l’époque, la ballade pour emballer la meuf  (ici « Let me try »), évite le pathos et les couches de violons dans lesquels des cohortes de groupes se livrant à cet exercice se perdront ; l’autre au son psyché du rock garage de la fin des sixties avec « The human being lawnmover ».
Personne n’attendait ce disque. Peut-être quelques amateurs des stridences rageuses de « Kick out the jams » qui ont été déçus. Et en 1970, le MC5 n’était pas encore « culte », juste à peu près inconnu (le pays où il était le plus « populaire », c’était la France …). Les deux singles extraits, « Looking at you » et « Shakin’ Street » (sans parler de « High school » tuerie totale, un des grands morceaux ignorés des seventies, même pas sorti en 45T) n’entreront pas dans les charts. Le second l’aurait mérité, bien qu’il soit atypique (chanté par Fred Smith, le futur mari de la Patti du même nom). Il ne sera pas perdu pour tout le monde, et servira de nom de baptême à une rude escouade menée par une chanteuse française (Fabienne Shine), groupe qui malgré des prédictions de succès à l’échelon international, disparaîtra rapidement dans l’anonymat.

Par bien des aspects, « Back in the USA » n’est pas ce que les musicologues qualifient de disque parfait. Heureusement, c’était pas le but recherché. C’est juste pour moi le plus grand disque de strict rock’n’roll américain …

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High Time


MEAT LOAF - BAT OUT OF HELL (1977)

Rock and (cholesté)roll ...
Alors là, attention, best seller. Les Ricains en ont acheté des dizaines de millions de « Bat out of hell ». Il doit être dans le Top 10 (et vu l’état du « marché » du disque y restera jusqu’à la fin des temps) des ventes US toutes époques et tous genres confondus. Le coup d’éclat de deux inconnus, qu’évidemment ils ne renouvelleront pas, même s’ils s’y sont péniblement essayés.
Meat Loaf, c’est le pseudo d’un gars dont j’ai oublié le nom, ventripotent gueulard de quinzième zone, coupable d’un disque au début des seventies que personne a jamais acheté, et second rôle dans le film culte déjanté « The Rocky horror picture show ». C’est lui le chanteur et l’attraction de tout ce cirque. Mais de là à ce qu’un inconnu s’attaque aux records de vente de « Saturday Night Fever » … Le « cerveau » de l’affaire « Bat out of hell », c’est le dénommé Jim Steinman, un type qui se prenait modestement pour Berlioz et Wagner, mais dont la réputation n’avait jamais dépassé sa cage d’escalier. C’est Steinman qui est responsable, même carrément coupable, du « concept », des musiques et des textes. Meat Loaf se contentera de chanter et de « jouer » un personnage grotesque inspiré par Falstaff, Batman, La Bête, Rahan et Obélix … La musique, on y reviendra vite fait, est un croisement-plagiat des pires choses entendues chez les progueux, les hard-rockeux, Queen (on y reviendra aussi) et … Springsteen.
Les coupables : Meat Loaf & Jim Steinman
Dont les deux mercenaires habituels du E Street Band (Bittan et Weinberg) se retrouvent au casting de ce « Bat out … ». Ce qui suscite une interrogation, comment ces types réputés ont-ils pu aller traîner leurs guêtres sur le projet de deux inconnus azimutés ? La réponse elle est chez les banquiers, ceux qui ont payé ce disque, Epic, filiale de Columbia, label de … oui, Springsteen, je vois que vous commencez à comprendre.
« Bat out of hell » c’est un peu un coup de poker insensé financé par la multinationale, sinon, comment voulez-vous vous payer Bittan, Weinberg, … et les autres. Parce que le casting du disque, ça file le tournis, Rundgren (pas un tendre quand il s’agit de causer pognon) produit et joue de la guitare, Edgar Winter (oui, l’albinos à saxo, frère de l’albinos à guitare), des types d’Utopia (le groupe à Rundgren), pas moins de deux orchestres symphoniques… Tout ce monde trimbalé dans quantité de studios plus high-tech les uns que les autres … Du pognon dépensé sans compter mais qui a rapporté très très gros. Tellement gros, que le Gros et le Steinman se sont brouillés à mort pour of course des histoires de pourcentages, de droits, lorsqu’il a fallu passer à un second disque, qui aurait du sortir dans la foulée (suivant le puissant précepte du on presse le citron tant qu’il sort du jus) mais qui ne sortira que des lustres plus tard, fatalement dans une indifférence à peu près générale.
« Bat out of hell », ça fait passer Yes pour du folk acoustique. Exemple type du morceau crétin « Paradise … », où l’on passe en dépit de tout bon sens du rock’n’roll, au rythm’n’blues, à la pop, au disco, au hard, … Comme Queen, me direz vous … en quelque sorte, sauf que Queen est un groupe totalement second degré, qui dans sa carrière n’a pas écrit des morceaux, mais juste des pastiches forçant sur la caricature, le ridicule. Tandis que Steinman, lui, est totalement prétentieux et dénué d’humour, tout est au navrant premier degré … Heureusement qu’il avait Bittan et Weinberg, sinon leur patron aurait porté plainte, le premier titre, l’éponyme « Bat out of hell » est entièrement pompé sur des passages de « Born to run », et plus particulièrement de « Jungleland ». Mais jamais Springsteen, pas toujours le type le plus sobre musicalement de la planète, n’avait sorti de loukoums de ce style.
Lester, fais gaffe si tu dis encore du mal de mes disques ...
On n’évite pas non plus l’interminable ballade (quasi neuf minutes, comme les deux titres cités plus haut) gluante avec les deux (comme si un seul ne suffisait pas) orchestres symphoniques qui empilent les couches de violons. Les quatre titres restant sont heureusement plus courts. Pas forcément meilleurs. L’un d’eux (« You took the words … ») s’engage même par une discussion genre la Belle et la Bête (la Bête, vous aviez deviné, c’est Meat Loaf, la Belle c’est Ellen Foley, choriste et faire-valoir féminine qui délaissera vite le balourd pour fréquenter de près le Clash, et plus particulièrement Mick Jones), avant un classic rock pompier comme ça devrait pas être permis … La moins insupportable du lot, c’est pour moi « Heaven can wait » …
Ce genre d’objet sonore prétentieux, chez moi, ça finit poubelle direct … mais là, ce « Bat out of hell », il est tellement con au premier degré que ça me fait pitié … j’en écoute parfois des morceaux avec le sourire …


JANIS JOPLIN - PEARL (1971)

La dernière séance ...
3 Octobre 1970. Janis  vient de terminer l’enregistrement les parties vocales de « Me and Bobby McGee », puis elle écoute la partie instrumentale d’un autre titre « Buried alive in the blues » que son groupe vient aussi de terminer. Elle trouve ce morceau génial, promet de se surpasser le lendemain pour le chanter, quitte le studio, monte dans sa Porsche fushia peinturlurée. On la retrouvera le lendemain morte (overdose) dans son appartement. Deux semaines pile après Jimi Hendrix, y’a des débuts d’automne meurtriers … Paraît-il qu’alors qu’elle commençait à se ranger des vélos, elle s’était entichée depuis quelques temps, en éternelle croqueuse de mecs au cœur d’artichaut, d’un play-boy dealer qui lui aurait refilé la dose mortelle d’héro …
Ce disque sur lequel Janis Joplin travaillait sortira quelques mois plus tard. Il s’appellera « Pearl », le surnom de Janis. Et sera son plus grand succès. Bon, les morts vendent bien, on le sait, c’est un marché très porteur, le disque posthume. Et qui souvent n’arrive pas à la cheville des autres, ceux réalisés du vivant de l’artiste (voir le cas d’école Hendrix). Sauf que pour Joplin, « Pearl » est son meilleur disque. D’assez loin. Pour au moins deux raisons.

Janis n’a jamais aussi bien chanté, ses concerts de l’été 70 sont des triomphes. Elle se défonce (un peu) moins, son entourage artistique essaye de veiller sur elle, et du coup elle a retrouvé cette voix de feu et de sang qui a fait d’elle la reine de Frisco puis du peuple hippy.
Et puis, pour la première fois de sa carrière, Janis Joplin a un backing band qui assure, qui surclasse totalement les bourrins limités (pléonasme) de Big Brother, ou le dilettantisme défoncé du Kozmic Blues Band.
Le groupe qui accompagne maintenant Janis répond au nom de code Full Tilt Boogie Band. Une bande d’anonymes, mais qui sous la conduite de Paul Rotchild (le producteur des Doors), joue précis, lourd et swinguant à la fois. Une formation resserrée (guitare, basse, batterie, claviers). Finies les stupides guitares fuzzy monolithiques de Big Brother, finis les maudits cuivres du Kozmic Blues Band, encore plus insupportables en live qu’en studio. Pour « Pearl », le jeu et l’enregistrement sont basiques, roots, près de l’os. Dès l’inaugural « Move over » la différence saute à la figure, ce rythmn’n’blues au tempo de plomb paraît tout aérien, et puis quand arrive le chant, affaire classée, chef-d’œuvre d’entrée …
Parce que Janis, quelle voix … Joplin, c’est pas la voix la plus technique du monde, genre diva blette à la Dion ou Streisand, ou Castafiore qui promène ses octaves à l’opéra. Janis, elle chante pas, elle parle avec ses tripes, il se dégage de sa voix un charisme et en même temps une animalité que personne avant ou après n’a jamais approché (qui a dit Beth Hart, si encore t’avais dit Nicole Croisille, t’aurais eu l’air moins con …). Janis, plutôt moche (pour être gentil), fringuée avec un mauvais goût bien texan, mettait tout le monde, et surtout les mecs à ses pieds dès qu’elle l’ouvrait, elle avait pas besoin d’être court-vêtue et de simuler des fellations de micro (Tina, si tu me lis …). Suffisait juste qu’elle se mette à chanter, même si ce verbe est bien trop limitatif en ce qui la concerne …
Janis Joplin & Full Tilt Boogie Band
« Pearl » est un déluge vocal, mais pas une démonstration (bon, si, hormis la courte récréation a capella de « Mercedes Benz », titre amusant mais très anecdotique qui allez savoir pourquoi, deviendra emblématique de Joplin). Janis met son incroyable puissance de feu au service de tempos lents ou médium, des bases de soul ou de rythm’n’blues (la musique noire, la seule qui vaille quand on a une voix d’exception), qu’elle incendie de crescendos d’anthologie. Faut être clair, y’a rien à jeter de cette demi-heure. Mais en plus, il y a des sommets. « My baby » est juste énorme, faut avoir entendu ça une fois dans sa vie pour pas crever idiot. « A woman left lonely » on sent que cette chanson est tellement la sienne, tous ces types qui l’ont draguée juste pour la tirer un soir et pouvoir fanfaronner devant leurs potes le lendemain, que le terme de soul n’a jamais mieux portée son nom.
Presque tout dans « Pearl » est prévisible, mais personne n’attendait sur disque Janis à ce niveau et surtout accompagnée de la sorte. Cette bande d’inconnus joue avec une cohésion, une efficacité qui laisse pantois, ils semblent en osmose avec leur chanteuse (et pourtant ils n’enregistrent pas ensemble). Ecouter « Buried alive … », appréciez la machine de guerre, et imaginez ce que Janis en aurait fait. En fait le seul écart à la musique noire, c’est une chanson écrite par un de ses ex, l’auteur country Kris Kristofferson, « Me and Bobby McGee ». Jamais on n’aurait imaginé que la plouc music puisse atteindre une telle intensité émotionnelle.

Janis Joplin était totalement unique dans son rapport avec le chant et la musique. D’innombrables shouteuses, blanches ou noires, plus ou moins douées, essaieront de marcher sur ses traces. Seule à mon sens Amy Winehouse  réussira, allant même, entre autres similitudes, jusqu’à mourir à 27 ans …

De la même sur ce blog :


THE STRANGLERS - RATTUS NORVEGICUS (1977)

1977, l'année du Rat ?
La tornade punk s’abattait sur l’Angleterre. De partout surgissaient des bandes de jeunes cons dépenaillés bien décidés à chambouler le paysage musical local. Rattachés à cette horde braillarde, les Stranglers. Qui très vite susciteront moultes interrogations.
Le punk, c’était la jeunesse. Les Stranglers avaient trente ans de moyenne d’âge. Les punks, c’était l’approximation bordélique à tous les niveaux. Les Stranglers  étaient de glaciaux calculateurs, tout sauf des improvisateurs. En gros, les Stranglers faisaient peur à tout le monde. Fallait pas trop les chatouiller. Le vétéran Jet Black (presque 40 ans), batteur fan de jazz et gérant d’un bar dans le quartier « difficile » de Guilford, n’avait pas la réputation de se laisser marcher sur les pieds par la clientèle avinée. Un peu le Parrain de son block … Quand ça bastonnait (et avec les punks ça arrivait souvent), Jet Black pouvait compter sur son bassiste pour l’aider à faire le ménage. Français de naissance, biker proche des Hell’s Angels, ceinture plus que noire de karaté, Jean-Jacques Burnel n’était pas vraiment un tendre. Pour compléter cet étrange attelage rythmique, un type qui avait fait des études supérieures en biochimie, le guitariste-chanteur Hugh Cornwell, et aux claviers (des claviers dans un groupe punk ??), un gars qui ne jurait que par la musique classique, Dave Greenfield.
Très tôt, le caractère particulier (et particulièrement violent) des Guilford Stranglers (leur premier nom de scène), fera traîner dans leur sillage une bande de dangereux cinglés, les Finchley Boys. Et le groupe se révèlera maître de la provocation, de l’art de faire partir toutes les situations auxquelles il est confronté en vrille. Ce qui leur vaudra d’être le groupe de l’époque à détenir le record de refus de contrat par les maisons de disques.
Greenfield, Black, Burnel, Cornwell : The Stranglers 1977
Et pourtant, les Stranglers étaient tous des musiciens confirmés. Si par un raccourci journalistique fainéant, ils seront catalogués punks, il suffit d’écouter leurs disques pour mesurer l’abîme sonore qui les sépare des Clash, Pistols, Jam et consorts … « Rattus Norvegicus » (le nom savant du rat d’égout, un animal qui deviendra souvent le symbole de groupes punks) est leur premier disque. Enregistré en une semaine (et une bonne part des titres du suivant « No more heroes » sont également issus de ces séances), produit par l’alors quasi-inconnu  Martin Rushent qui deviendra leur homme de studio attitré (ainsi que des Buzzcocks, … et même du « Au cœur de la nuit » de Téléphone). Affublé d’une pochette cryptique. Le titre n’y apparaît pas et le « message » que veut susciter cette image a donné lieu à une foule d’interprétations. Moi j’y vois une exposition de tout ce qu’ils détestent. Le « IV » ledzeppelinien, la perspective à la « Ummagumma » du Floyd, le maquillage outrancier de Burnel façon glam … en gros, fuck les dinosaures heavy, les pompiers progeux et les efféminés glam …
Musicalement, le gros malentendu du groupe à ses débuts (les Doors du punk, prétendait-on) dure exactement vingt-huit secondes. Celles de l’intro  du premier titre, « Sometimes », sur laquelle Greenfield fait sonner son orgue Vox exactement comme celui de Manzarek. Ensuite, il faut beaucoup d’imagination pour trouver que la non-voix de Cornwell a des similitudes avec celle de Morrison, et tout le reste à l’avenant … Les Stranglers, d’entrée, sont uniques, ne sonnent comme personne …
Stranglers live 1977
Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce disque est une merveille. Les quatre premiers titres ne sont pas ceux qui reviennent souvent cités comme leurs meilleurs. Si le troisième (« London Lady ») est passé à la postérité, c’est parce qu’il constitue une attaque frontale et personnelle sur une journaliste qui avait descendu le groupe dans un de ses papiers. La vengeance est un plat que les Stranglers feront toujours bouffer à leurs « ennemis » et ce titre est le premier élément d’une longue longue litanie de rapports plus que houleux qu’ils entretiendront longtemps avec les médias …
En fait, les choses vraiment intéressantes ne commençaient qu’à la fin de la première face de vinyle, avec « Hanging around », sorte de reggae mutant sérieusement détourné, désossé et cabossé. Un des hymnes classiques du groupe. A propos de classiques, on en a avec les deux titres suivants. « Peaches », sa guitare en contre-temps typique elle aussi du reggae, mais aussi son gimmick aux claviers qui donne un aspect très garage sixties. « (Get a) grip (on yourself) », c’est la pierre angulaire de « Rattus … », morceau noyé par des claviers tournoyants mixés très en avant, mélodie désanchantée sur rythme sautillant, texte assez lugubre sur leurs années de galère … Un titre assez vilain, le bien nommé « Ugly » précède l’épilogue « Down in the Sewer », titre épique de neuf minutes (on est loin du « format » punk) en quatre « mouvements » (thanks God, on est aussi très loin du prog), très « écrit », très technique, très travaillé malgré une apparence bêtement répétitive …
Dans les sections bonus des rééditions (souvent chiches chez les Stranglers, et pas souvent captivantes, celle de « Rattus … » me paraissant être l’exception ), on a droit à un petit rock sautillant au titre réminiscent des délires de Zappa (« Choosey Susie »), un pub-rock’n’roll (« Go Buddy go ») empruntant autant au « Hey Joe » d’Hendrix qu’au « Bony Maronie » de Larry Williams, et un titre live (« Pesant … ») barré et incantatoire qui sonne avec une paire d’années d’avance comme le PIL des débuts.

Les fans des débuts vouent un culte à « Rattus Norvegicus » et aux premières années du groupe, estimant que les choses commencent vraiment à se gâter avec « La folie » (1981). Perso, je pense à peu près le contraire, que c’est un groupe qui a fait des disques hétérogènes, mais globalement en constante progression jusqu’à « Feline ». C’est ensuite (là tout le monde est d’accord) que ça s’effiloche gravement … 

Des mêmes sur ce blog :

MICHEL POLNAREFF - POLNAREFF'S (1971)

La folie des grandeurs ?
C’est quelquefois tout le malheur de ceux qui font de la « petite musique » ou de la musique pour « grand public » et que, par facilité sémantique, on qualifie trop vite de génies. Ils ont tendance à vouloir la prouver, cette qualification de génie.
Polnareff, avec son premier prix de Conservatoire, se balade littéralement pour écrire des chansons aux mélodies tuantes de simplicité et d’efficacité. Ses deux plus gros succès populaires, « Y’a qu’un cheveu » et « Tous les bateaux », il les déteste, trop de facilité vulgaire genre comique troupier pour le premier, trop fleur bleue pour le second. Lui veut faire mieux, marquer les esprits des « musiciens ».
Il va faire comme tous ses plus ou moins contemporains dans le même état d’esprit, rêver de concept albums, de couches innombrables d’instruments, d’écriture tarabiscotée et de sur-production. Avec en point de mire les évidents modèles américains (Chicago, Blood Sweat & Tears) ou anglais (Moody Blues, Procol Harum) de cette démarche, et le funeste prog qui commence à pointer le bout de son vilain museau.
Polnareff 1971
Direction Londres, les studios légendaires et high-tech d’Abbey Road, quelques requins de séance cotés (non mentionnés dans les crédits, à l’instar du disque quasi jumeau de Gainsbourg paru la même année, le plus réussi « Melody Nelson »), et un projet de concept album instrumental avec grand orchestre, sections de cordes et de cuivres, et armada des derniers joujoux synthétiques et électroniques (Moog, mellotron, …). Sauf qu’à moment donné, quelqu’un dans son entourage, son management ou sa maison de disques a dû lui dire, que certes, c’était bien joli tout ça, mais qu’il fallait aussi songer in fine à vendre du disque.
On se retrouve donc avec un skeud bancal, où subsistent des bribes du grand-œuvre avorté, quelques concessions à l’air du temps et du Polnareff que l’on aime (enfin que moi j’aime).
Trois instrumentaux chargés comme des coureurs cycliste avant une étape de montagne constituent les reliques du projet initial avorté. Le premier (« Voyages ») qui ouvre le disque est juste risible, empilage à prétention « classique » m’as-tu-vu de tous les instruments disponibles dans le studio. Les autres ne valent guère mieux, entre bouillasse psyché-jazzy-prog (« Computer’s dream ») ou pseudo rhythm’n’blues entre « Twist & shout » et … « La salsa du démon » (« Mais encore »).
1971 : Polnareff et un rocker belge
Le Polnareff des chansons et mélodies tuantes est quand même là, heureusement. On trouve deux de ses classiques, « Né dans un ice-cream » (pas mon préféré, avec son côté très jazzy bon marché, c’est la matrice du très pénible Jonaz), et la nostalgique ballade « Qui a tué Grand Maman » avec sa mélodie parfaite. Les moins connues « Nos mots d’amour » (Obispo tuerait père et mère pour l’avoir écrite) et le rhythm’n’blues gospélisant de « Hey you woman » sont les deux pépites oubliées du disque.
Le reste, c’est assez anodin, ce qui est un comble pour un disque censé en mettre plein les oreilles et dont se délectent les rockeurs mélomanes (oxymore). Il plane sur ce « Polnareff’s » un fort parfum des Moody Blues, le groupe tarte à la crème de l’intelligentsia musicale française des années Pompidou (ils seront cités dans des textes de Ferré et Gainsbourg vers cette époque-là). Moi, les Moody Blues, hormis l’extraordinaire accident « Nights in white satin », ils m’ont toujours gavé, mais gavé, vous pouvez pas savoir (enfin si, vous avez qu’à les écouter, et on en reparle), alors tous ces machins où Polnareff mélange orchestrations classiques, arrangements tarabiscotés, fait en gros de la musique « sérieuse », et bien ils me gavent aussi.
Et même les clins d’œil iconoclastes (les paroles sont signées Dabadie ou Delanoë, tu parles d’iconoclastes), rêve du mariage des prêtres (« Monsieur l’abbé », bonjour le « sujet de société »), où Polnareff s’auto-cite (« Petite, petite »), voire (c’est pas mieux) cite les Moody Blues et Aphrodite’s Child (« A minuit, à midi » emprunte autant à « Nights … » qu’à « Rain & tears », … et bien tout ça finit par lasser, fait exercice de style prétentieux …

Le malheur pour Polnareff, ce qu’il ne sait pas, c’est que ce « Polnareff’s » très nettement surcoté, sera quand même très supérieur à tout ce qu’il fera par la suite… Il y en a qui appellent ça le complexe d’Icare …

Du même sur ce blog : 


STEVIE WONDER - INNERVISIONS (1973)

Wonder Man ...
« Innervisions » est le troisième disque du quintet magique consécutif de Stevie Wonder (de « Music of my mind » à « Songs in the key of life »). Autant dire qu’on peut y aller … à l’aveugle (sorry Stevie…).
Plus que tous les autres dinosaures des 70’s (pas de noms, hein je suis un gentil moi, mais enfin j’ai dit tous …), Wonder est celui qui a le plus sombré artistiquement dans les décennies suivantes. Faut dire qu’il avait placé la barre tellement haut, pour moi c’est l’auteur black essentiel des années 70. Un touche-à-tout de génie, et pas un hasard s’il a été souvent comparé à un autre aveugle, Ray Charles, le Genius himself.
Stevie Wonder, sur ce « Innervisions », il se ballade littéralement, posant à chaque coup des jalons définitifs dans les styles qu’il aborde. Enfin, presque, il y a bien un maillon faible dans ce disque, la lente roucoulade amoureuse baveuse et molle, un genre dont il tartinera ses skeuds dans les décennies suivantes. Ici, c’est « Golden lady », on passe sans en dire tout le mal qu’elle mérite …

Le reste, c’est juste parfait. On commence par « Too high », c’est du jazz-funk qui groove mille fois plus que Herbie Hancock (qui a dit Jamiroquai, tu te casses et vite, et pourquoi pas Gilbert Montagné tant qu’à faire, il est aveugle lui aussi, comme quoi ça suffit pas …), et Wonder ressort dans le final l’harmonica du Little Stevie qu’il fut chez Motown, dressant un pont entre son passé et le futur qu’il est en train d’écrire. Le jazz, Stevie Wonder connaît et apprécie (nobody’s perfect), mais chez lui, ça sert de garniture, c’est pas une obsession. Et surtout grâces lui soient rendues, il ne cherche pas à tout prix la fusion, ou pire, le fuckin’ jazz-rock. Par contre, quand ça peut apporter quelque chose à la musicalité d’une chanson, il n’hésite pas, quitte à oser les mariages les plus improbables, sur « Visions », où un fonds jazzy sert d’écrin à une ballade folk très dépouillée, tout juste agrémentée de quelques notes de guitare acoustique. L’occasion de souligner que Wonder arrive à faire des disques fabuleux en jouant de tous les instruments (à l’exception des guitares sous toutes leurs formes, mais il se débrouille pour s’en passer le plus souvent), et notamment d’une panoplie de synthés pour l’époque très high-tech (comme quoi, si dans les disques à synthé, ça déconne souvent, c’est pas la faute à l’instrument, mais à ceux qui en jouent …).
Le premier choc musical arrive en troisième position sur le disque, c’est « Living in the city » et ça sonne comme du … Creedence (le jeu de batterie, la voix), c’est un immense blues-rock (sans guitares, et non, c’est pas une hérésie …) dans lequel Stevie se fout les cordes vocales minables, dans un style très Fogerty, jusque dans le texte (le rêve du mirage citadin vu par les campagnards noirs). De la pulsation rock, il y en a, et pas qu’un peu, dans « Higher ground », c’est le meilleur titre des Red Hot Chili Peppers (alors que la bande à Kiedis était à la maternelle), avec les fameuses cocottes funky (jouées ici au synthé) des milliards de fois copiées. Pas un hasard si les RHCP le reprendront sur leur premier disque à avoir un certain succès (« Mother’s milk ») dont il sera bien évidemment le single extrait.
Sesame Street featuring Stevie Wonder, 1973
Et puis, il y a les choses dans l’air du temps, que Wonder arrive à transcender. Et il faut plus que du talent pour éviter le centrisme guimauve quand on s’attaque à des choses aussi éculées et entendues que le groove medium funky (« Jesus children of America »), la lentissime ballade soul (« All in love is fair »), ou le machin caraïbe chaloupé (« Don’t you worry ‘bout a thing »). On en connaît, et pas des foncièrement mauvais, qui se sont couverts de ridicule dans ce genre d’exercices …
Last but not least, au final, manière de montrer que s’il est aveugle, il n’est pas pour autant sourd à ce qui se passe dans la société où il vit, mine de rien, en se livrant à un pastiche-hommage de l’une de ses idoles (Beatle Paulo McCartney), il se lance dans un pamphlet vitriolé adressé à Richard Nixon (« He’s mistra know-it-all »), qui Watergate aidant, le méritait bien.

Au dos du disque, il y a écrit (comme sur ses autres disques des 70’s) « written, produced & arranged by Stevie Wonder ». Ce type, que l’on a trop facilement réduit dès les mauvais disques arrivés à un soulman neuneu, fleur bleue et variétoche, c’est quand même et avant tout un des plus grands artistes et génies de la musique populaire, tous genres confondus …

Du même sur ce blog :
Talking Book