Pour la (couleur de) peau d'un flic ...
Un film qui commence par une chanson de Ray Charles (« In the heat of the night », comment, vous aviez deviné ?) pendant que défile le générique ne peut être foncièrement mauvais. Mais pendant le générique, y’a pas que du son. On voit un panneau qui indique qu’on est à Sparta (au fin fond du fond du Sud, du Mississippi en l’occurrence, assez près de la frontière de l’Arkansas). Le bled existe bel et bien, mais apparemment les scénaristes sont fâchés avec la géographie, parce qu’à moment donné y’a un type à pied qui essaye de rejoindre l’Arkansas en traversant un pont, sauf que la frontière de l’Arkansas est à au moins deux cents bornes de Sparta que le type vient de quitter avec des chiens policiers au cul … Ouais, je sais c’est mesquin … bon, on reprend au générique …
Derrière la caméra, Norman Jewison |
Donc, un mec costard, souliers
vernis et valise classe, cadré à partir du nombril descend du train en pleine
nuit à la gare de Sparta. On voit sa main et on sait qu’il est Noir … Seconde
scène. Un flic du cru, Sam Wood (joué par Warren Oates) achève de bouffer dans
un diner miteux tenu par un patron qui semble un tantinet demeuré. Le flic
commence ensuite sa patrouille, que l’on sent réglée comme du papier à musique.
Un petit arrêt voyeur devant une maison dans laquelle une jeunette cuisine et
se balade à poil … Ce qui nous vaut le même cadrage de la donzelle que celui de
Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », c’est le bas et le cadre de
la fenêtre qui cachent ce qu’à l’époque il convenait de ne pas montrer
(personne n’a copié personne, la première des deux films a eu lieu à une
semaine d’intervalle). Le pandore poursuit sa patrouille et à un croisement,
tombe sur un macchabée étiré au milieu du bitume …
Et pas n’importe quel macchabée, c’est le type le plus riche du bled, qui avait le projet de construire une usine. Il est mort d’un coup à la tête, et on lui a piqué le pognon qu’il avait dans son portefeuille. Branle-bas de combat au poste de police, dirigé par Bill Gillepsie (remarquable Rod Steiger, massif, bourru, bas du front, et un Oscar à la clé) qui donne l’ordre de surveiller les sorties de la ville, dont la gare. C’est là que Sam Wood arrête le type qu’on a vu descendre du train à la première scène et qui attend sa correspondance. C’est le coupable idéal, il est Noir, et a plein de fric dans son larfeuille …
Poitier & Steiger |
On comprend de suite que
« Dans la chaleur de la nuit » coche la case polar et la case
raciale, voire raciste. Hasard heureux, le film sort à peu près en même temps
qu’éclatent des émeutes raciales aux States, et notamment à Chicago.
« Dans la chaleur de la nuit » n’est pas un film militant pour
autant. Derrière la caméra, le Canadien Norman Jewison, honnête second couteau
de la réalisation (il a déjà à son actif « Le Kid de Cincinnati », et
plus tard quelques succès grand public comme « L’affaire Thomas
Crown », « Rollerball » ou « Eclair de lune ») et pas
vraiment « engagé » … Celui qui est engagé par contre, c’est Sidney
Poitier qui joue le rôle du Noir. Déjà repéré dans des films « à
message » (« La Chaîne / The Defiant Ones » avec Tony Curtis),
oscarisé pour l’anodin « Le lys dans les champs » en 1964, et vu en
tête de cortèges militants (Marche pour l’emploi et la liberté).
Dans « Dans la chaleur de la nuit », il est Virgil Tibbs, et une fois arrêté et confronté à Gillepsie / Steiger, il ne va pas vraiment être le suspect idéal (il est le chef et l’élément le plus brillant de la Brigade des homicides de Philadelphie), et son supérieur par téléphone va lui demander de collaborer avec la police locale et d’élucider le meurtre de Sparta.
Poitier, Oates & Steiger |
Dès lors, tout le film va se
consacrer à deux choses : l’élucidation du meurtre et les rapports
(professionnels et humains) entre Tibbs et Gillepsie. Il y a des choses fort
bien vues. La multiplication des suspects idéaux selon qu’ils sont soupçonnés
soit par Tibbs soit par Gillepsie. Une scène où après avoir sauvé Tibbs du
lynchage par une bande de jeunes rednecks, Gillepsie l’héberge chez lui pour la
nuit et où l’on voit que ce type désagréable, hautain (l’art de toiser ses
interlocuteurs derrière ses lunettes de soleil aux verres jaunes fumés) et
raciste est en fait un solitaire fragile que sa solitude fait souffrir.
Et même si on comprend bien les
deux moteurs du film, on a parfois l’impression que Jewison (et par extension
ses acteurs principaux) en font trop. Les suspects se multiplient, et quand le
véritable assassin est démasqué, c’est le moins crédible du lot avec son
histoire d’avortement abracadabrante. De même les « je t’apprécie – je te
déteste » qui n’en finissent plus entre les deux flics finissent aussi par
lasser. Il manque de l’épaisseur au scénario et l’imbroglio final n’est pas à
la hauteur de ce que le film laissait entrevoir …
« Dans la chaleur de la nuit », c’est un bon film. Manque juste quelques petites choses pour que ce soit un grand film (ce qui l’a pas empêché de rafler la statuette en 1967)…