NORMAN JEWISON - DANS LA CHALEUR DE LA NUIT (1967)

 

Pour la (couleur de) peau d'un flic ...

Un film qui commence par une chanson de Ray Charles (« In the heat of the night », comment, vous aviez deviné ?) pendant que défile le générique ne peut être foncièrement mauvais. Mais pendant le générique, y’a pas que du son. On voit un panneau qui indique qu’on est à Sparta (au fin fond du fond du Sud, du Mississippi en l’occurrence, assez près de la frontière de l’Arkansas). Le bled existe bel et bien, mais apparemment les scénaristes sont fâchés avec la géographie, parce qu’à moment donné y’a un type à pied qui essaye de rejoindre l’Arkansas en traversant un pont, sauf que la frontière de l’Arkansas est à au moins deux cents bornes de Sparta que le type vient de quitter avec des chiens policiers au cul … Ouais, je sais c’est mesquin … bon, on reprend au générique …

Derrière la caméra, Norman Jewison

Donc, un mec costard, souliers vernis et valise classe, cadré à partir du nombril descend du train en pleine nuit à la gare de Sparta. On voit sa main et on sait qu’il est Noir … Seconde scène. Un flic du cru, Sam Wood (joué par Warren Oates) achève de bouffer dans un diner miteux tenu par un patron qui semble un tantinet demeuré. Le flic commence ensuite sa patrouille, que l’on sent réglée comme du papier à musique. Un petit arrêt voyeur devant une maison dans laquelle une jeunette cuisine et se balade à poil … Ce qui nous vaut le même cadrage de la donzelle que celui de Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », c’est le bas et le cadre de la fenêtre qui cachent ce qu’à l’époque il convenait de ne pas montrer (personne n’a copié personne, la première des deux films a eu lieu à une semaine d’intervalle). Le pandore poursuit sa patrouille et à un croisement, tombe sur un macchabée étiré au milieu du bitume …

Et pas n’importe quel macchabée, c’est le type le plus riche du bled, qui avait le projet de construire une usine. Il est mort d’un coup à la tête, et on lui a piqué le pognon qu’il avait dans son portefeuille. Branle-bas de combat au poste de police, dirigé par Bill Gillepsie (remarquable Rod Steiger, massif, bourru, bas du front, et un Oscar à la clé) qui donne l’ordre de surveiller les sorties de la ville, dont la gare. C’est là que Sam Wood arrête le type qu’on a vu descendre du train à la première scène et qui attend sa correspondance. C’est le coupable idéal, il est Noir, et a plein de fric dans son larfeuille …

Poitier & Steiger

On comprend de suite que « Dans la chaleur de la nuit » coche la case polar et la case raciale, voire raciste. Hasard heureux, le film sort à peu près en même temps qu’éclatent des émeutes raciales aux States, et notamment à Chicago. « Dans la chaleur de la nuit » n’est pas un film militant pour autant. Derrière la caméra, le Canadien Norman Jewison, honnête second couteau de la réalisation (il a déjà à son actif « Le Kid de Cincinnati », et plus tard quelques succès grand public comme « L’affaire Thomas Crown », « Rollerball » ou « Eclair de lune ») et pas vraiment « engagé » … Celui qui est engagé par contre, c’est Sidney Poitier qui joue le rôle du Noir. Déjà repéré dans des films « à message » (« La Chaîne / The Defiant Ones » avec Tony Curtis), oscarisé pour l’anodin « Le lys dans les champs » en 1964, et vu en tête de cortèges militants (Marche pour l’emploi et la liberté).

Dans « Dans la chaleur de la nuit », il est Virgil Tibbs, et une fois arrêté et confronté à Gillepsie / Steiger, il ne va pas vraiment être le suspect idéal (il est le chef et l’élément le plus brillant de la Brigade des homicides de Philadelphie), et son supérieur par téléphone va lui demander de collaborer avec la police locale et d’élucider le meurtre de Sparta.

Poitier, Oates & Steiger

Dès lors, tout le film va se consacrer à deux choses : l’élucidation du meurtre et les rapports (professionnels et humains) entre Tibbs et Gillepsie. Il y a des choses fort bien vues. La multiplication des suspects idéaux selon qu’ils sont soupçonnés soit par Tibbs soit par Gillepsie. Une scène où après avoir sauvé Tibbs du lynchage par une bande de jeunes rednecks, Gillepsie l’héberge chez lui pour la nuit et où l’on voit que ce type désagréable, hautain (l’art de toiser ses interlocuteurs derrière ses lunettes de soleil aux verres jaunes fumés) et raciste est en fait un solitaire fragile que sa solitude fait souffrir.

Et même si on comprend bien les deux moteurs du film, on a parfois l’impression que Jewison (et par extension ses acteurs principaux) en font trop. Les suspects se multiplient, et quand le véritable assassin est démasqué, c’est le moins crédible du lot avec son histoire d’avortement abracadabrante. De même les « je t’apprécie – je te déteste » qui n’en finissent plus entre les deux flics finissent aussi par lasser. Il manque de l’épaisseur au scénario et l’imbroglio final n’est pas à la hauteur de ce que le film laissait entrevoir …

« Dans la chaleur de la nuit », c’est un bon film. Manque juste quelques petites choses pour que ce soit un grand film (ce qui l’a pas empêché de rafler la statuette en 1967)


2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ce film, sans doute pas un "grand film" mais plus que "bon".... D'abord parce que l'aspect polar n'est pas négligé (comme tu le dis, une intrigue complexe, des suspects en veux-tu en voilà) et le sous-texte, racial mais aussi social, avortement, sexe, le tout avec des comédiens formidables (Rod Steiger, grand adepte de la 'Method' n'a-t-il jamais fait autre chose que de surjouer les crapules ?), et la musique lascive.

    C'est un film important, aussi politique que divertissant, et puis j'aime ces films de la fin 60's, leur esthétique, la photo...

    Dommage qu'un type comme Arthur Penn n'ait pas été derrière la caméra, je pense à l'ambiance terrible et perverse de "La poursuite impitoyable" (Redford, Fonda et Brando) qui effectivement manque un peu ici.

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  2. Salut les amis. Même constat que Lester pour ce film de Jewison. Pour moi, il ne fonctionne pas vraiment. Et le temps n'arrange rien à l'affaire. Je sais qu'il est beaucoup apprécié, encore aujourd'hui, mais je n'en suis pas. Film important certes, et hommage quand même à Sidney Poitier qui a laissé un polar assez réussi, aux côtés de Tom Berenger, Deadly Puirsuit (Randonnée pour un tueur). Il y joue également un flic du FBI.
    freddiefreejazz

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