Autant le dire d’entrée, « Enter the
Void » est un film long. Et chiant. Très long et très chiant même.
Et pourtant c’est ce genre de films qu’il faut voir
pour sortir des sentiers battus d’un cinéma contemporain englué dans tous ses
travers conformistes, sa recherche systématique du retour sur investissement,
ses scénarios grotesques, ses metteurs en scène et ses acteurs en roue libre.
Prise de risque artistique zéro.
Gaspar Noé, Paz de la Huerta, Nathaniel Brown |
Noé, il prend des risques. Démesurés. Il fait des
films que pour faire simple on qualifiera de « difficiles ». Et il se
coltine une sale réputation de réalisateur arty, vulgaire, provoquant, agressif
et égoïste. On lui reproche de faire des films pour lui et pas pour ceux qui se
hasardent à les voir. Sauf que tout çà n’est pas toujours vrai. Il y a plus
d’idées et de talent dans un seul film de Noé que dans tous ceux diffusés
pendant un quinquennat le dimanche en prime time sur TF1.
« Enter the Void » est raté. Interminable
et pénible. 2 heures 35, ça commence à compter (la version
« courte », une vingtaine de minutes de moins, est plus fluide,
« passe » mieux). Mais 2 heures 35, c’est quasiment une heure de
trop. Pénible parce que ce sempiternel vomi d’effets numériques psychédéliques,
cette caméra qui vole et traverse les murs, ça finit par gonfler grave. Parce
que cette manie de Noé de montrer du sexe sans amour finit par faire étalage de
barbaque pas très fraîche sur l’étal d’un boucher chelou …
Et pourtant, « Enter the Void » est à ce
jour le projet de sa vie pour Noé. Quinze ans que ce film lui trottait dans la
tête, qu’il bossait sur le scénario (version « définitive » terminée
en 2006, mais beaucoup de choses seront improvisées sur le tournage). Le pitch
est pourtant intéressant, la manière de tourner le film relève plus souvent
qu’à son tour du génie.
Linda et Oscar en pleine lumière |
Oscar, petit dealer à Tokyo, vendu aux flics par un
copain-client, prend une balle en pleine poitrine dans les chiottes d’un bar
(le Void). Toute sa vie passée, et les projections de son âme dans un
hypothétique « futur » vont alors défiler. A ce niveau, première
ambiguïté qui change radicalement toute la perception du film, savoir si Oscar
est mort ou pas. On a l’impression, même après plusieurs visionnages, qu’Oscar
est mort dans les chiottes du bar, et dès lors l’essentiel du film (2 heures)
prend un côté mystico-bouddhiste gênant entrecoupé de flashbacks et de
flashforwards qui nous racontent son histoire … Sauf que pour Noé, Oscar ne
meurt qu’à la fin du film, lorsque l’écran devient noir. Noé a voulu filmer la
dernière demi-heure de vie et l’agonie d’Oscar, se déclare profondément athée
et se défend d’avoir voulu donner une connotation religieuse au film. Il aurait
peut-être fallu se montrer moins elliptique et plus explicite sur ce point,
même si, oui, j’ai entendu, il y a une réplique de Linda, la sœur d’Oscar qui
dit « les juifs, les cathos, c’est des sectes, ils sont juste là pour
prendre ton pognon ». Il est question dans « Enter the Void » de
religion, qui se retrouve thème central et en même temps prétexte du film. Le
« rêve » d’Oscar suit la trame du « Livre des Morts »
tibétain, Oscar est en train de lire le bouquin que lui a prêté son pote dealer
Alex, et ils en causent tous les deux en se rendant au Void, ce qui nous permet
de comprendre ce qui va suivre, cette âme qui se détache du corps et survole la
nuit tokyoïte, tout en se remémorant le passé et en cherchant son avenir.
Oscar et Linda, comme un air de Terence Malick |
Filmer l’immatériel, c’est une sacré gageure. Peu
s’y sont hasardés. Comme ça, sans réfléchir, je vois que Terence Malick qui lui
filme le vent (dans les arbres, dans l’herbe, les champs). Et d’ailleurs il y a
une courte scène, très atypique dans le film, où l’on voit Oscar et Linda assis
sur une pelouse, avec un soleil rasant sur les arbres au loin. Il me semble
qu’il y a le même plan dans « La ligne rouge » quand Caviezel est à
l’hôpital. Si ma mémoire me joue pas des tours, ce doit pas être un hasard…
Par contre, il faut forcément évoquer à propos de
« Enter the Void » le Kubrick de « 2001, Odyssée de
l’Espace ». Là, au moins, y’a pas d’ambiguïté, Noé a cité ce film comme
référence pour le sien. Pas au niveau de l’histoire, du rendu final, mais
plutôt en tant que mètre-étalon stylistique. Noé a inventé des images, des
mouvements de caméra. Il y en a un, dans les bonus du Dvd, tellement
ahurissant, avec la caméra qui avance dans une rue en tournant dans le sens des
aiguilles d’une montre, qu’on se demande bien pourquoi ils l’ont pas gardé dans
le montage final. Bon, soyons calme, Noé n’est pas Kubrick, ça se saurait, et
il est d’ailleurs parfaitement lucide sur ce sujet. Kubrick avait l’imagination
et la technique, Noé a ça aussi, mais en plus et ça change tout, le digital.
Et autant les milliers d’effets numériques étaient
bien utilisés dans « Irréversible », autant ici pour moi ça coince.
Trop de numérique tue le numérique. J’ai pas chronométré, mais il doit bien y
avoir plus de demi-heure d’images uniquement de synthèse, et toutes ces
projections psychédéliques et ces survols de murs, de rues, de ville, se
révèlent à la longue fatigants. Et quand on voit dans la section bonus qu’il y
en a demi-heure non utilisés, on mesure l’ampleur qu’auraient pu prendre les
dégâts … il n’empêche, il y a à mon sens dans « Enter the Void » un
travail sur la lumière et les lumières qui pourrait faire date. Tout est
retouché à la palette graphique, mais le rendu est fabuleux, et si l’histoire
se passe à Tokyo (qui n’était pas le premier choix de tournage), c’est parce
que Noé a trouvé que naturellement, Tokyo est une des villes les plus et les
mieux éclairées du monde, et dès lors il s’en donne à cœur-joie avec des effets
superbes à base de néons clignotants.
Et puis, Noé fourmille d’idées et avoue avoir rendu
quasi fou les machinistes de l’équipe en leur décrivant les mouvements de
caméra qu’il voulait pour ses scènes. Beaucoup sont filmées en plongée, avec
une caméra en perpétuel mouvement. Et puis, avoir un acteur principal toujours
de dos dont on ne voit que la silhouette aux oreilles un peu décollées, fallait
oser, la logique de la caméra subjective poussée dans ses derniers
retranchements … On ne voit son visage que deux fois, au début dans un miroir,
et ensuite couché sur une table à la morgue.
Pour des questions de budget (dix millions d’euros
quand même) et parce que beaucoup a été claqué en montage, en post-prod et en
effets numériques (les dernières scènes du survol de Tokyo by night, ça fait un
peu Pixar ou Dreamworks au rabais, ça pue l’animation bâclée, on voit trop que
tout est faux, le spectre du dépassement de budget …), le casting ne fait pas dans la tête d’affiche. Paz de la
Huerta (sublime physiquement, mais aussi, là, actrice très crédible) est la
seule professionnelle dans la distribution, et encore elle n’avait eu que de
tous petits rôles jusque là. Quasiment tous les autres sont des comédiens
amateurs, à commencer par Oscar (Nathaniel Brown, étudiant en cinéma) ou son
pote Alex (Cyril Roy).
Oscar, comme un air de Trainspotting |
Alors « Enter the Void » est ambitieux, et
Noé aussi, et il a raison. Autant aller au bout de ses idées, ne rien
regretter, et tant pis si ça marche pas. Des choses sont fort bien vues. Oui,
il fallait montrer des trips de défoncés, ça fait partie de l’histoire et des
personnages, et Noé qui ne se cache pas de nombreuses expériences de toxico,
l’intègre dans son film. Mais bon, ça n’en finit plus, ces visites du vortex
(tiens, en passant, y’a aussi pas mal de similitudes avec Tarkovski, et
notamment « Solaris »), et à la longue, on a l’impression de regarder
les vieux écrans de veille de Windows. L’histoire familiale d’Oscar et Linda
est à mon sens la partie la mieux traitée, et là on est presque frustré de ne
pas la voir plus développée. Cette complicité fusionnelle qui les unit depuis
qu’ils sont orphelins de leurs parents (écrabouillés en bagnole contre un
camion), qui fait qu’à une paire de reprises on frôle l’inceste, et que Oscar,
naturellement, choisira de se réincarner à l’intérieur de sa sœur, aurait
mérité mieux, il aurait fallu pour cela confier le rôle d’Oscar à un comédien
pro … Et puis, il y a ces idées ou ces images-chocs indissociables de Noé et
qui font souvent grincer les dents. Passe encore pour l’accident de bagnole (on
voit ça dans tous les films, en plus gore quelquefois), la partouze finale
résume pour moi malheureusement les travers foune-bite de Noé (même si l’idée
de la faire dans le « Love Hotel » numérique est elle géniale), tout
comme cette scène de pénétration filmée depuis l’intérieur du vagin qui tient
plus du vulgos que de l’art selon moi (mais je conçois que ça puisse se
discuter).
« Enter the Void » est un flash d’images
souvent exceptionnelles (la plupart des scènes « jouées » sont truffées
d’effets genre stroboscope ou fish-eye), les couleurs giclent de partout, la
bande-son est fabuleuse, tantôt sourde et oppressante, tantôt claquante et tous
les potards sur onze, la musique (de la techno surtout) flippante et bien
choisie. Le spectacle commence d’entrée avec un générique qui défile à toute
blinde (et à l’envers) sur fonds de beats métalliques et syncopés de LFO et ne
vous lâche jamais jusqu’à l’écran noir final.
Seulement voilà, moi j’espérais voir un film, pas un
spectacle genre feu d’artifice du 14 Juillet. Mais c’est ça aussi Noé, capable
d’égaler sur une scène, un plan, une intuition de génie, tous ces maîtres du
cinéma qu’il adore, et se vautrer dix secondes plus tard dans du n’importe quoi
en 16/9 …
Le générique de début, déjà impressionnant ...
Quand je l'avais chroniqué sur mamazone, j'avais titré je crois "et après, le vide...". C'est le problème de ce film et de Noé en général. Ce film est remarquable pendant 1h45. Après il n'est que redondance et ennui. Et surtout inutile. A un point qu'on se dit : pourquoi aucun producteur digne de ce nom n'a dit au réalisateur de couper 40 minutes !! Mais finalement, ce n'est pas trop grave, car comme tu le dis, y'a plus de cinéma dans 10 minutes de Gaspard Noé, que dans toute l'année écoulée chez les autres ! Des iconoclastes, il en faut, Noé est un pur et dur (il me rappelle Dantec en littérature ?!!) on a besoin d'emmerdeur comme ça !
RépondreSupprimerMais le second problème, et il va falloir que Gaspard Noé s'en occupe dare-dare, c'est qu'il a beaucoup d'idées sur le forme, mais peu sur le fond. Son discours, dans ses films, tiennent de la réflexion d'ados : ça ne vole pas haut. Ca ne pisse pas très loin. Dans ENTER THE VOID le coup du Livre des Morts et tout, on a pigé, c'est bon, on fait pas deux heures là dessus ! Kubrick, lui, avait une vision du monde, des hommes, de l'histoire, de l'art, qu'il n'a eu de cesse de ruminer, proposer, à travers des films aux formes différents. Paul Thomas Anderson aussi. Terrence Malick aussi, dans une moindre mesure. Pour l'instant, je ne vois pas de ligne directrice chez Gaspard Noé, et c'est dommage. Car un type aussi doué pour les images, ce serait bien qu'il est vraiment des trucs à dire !!
J'avais lu ton com sur amazon, j'y avais mis un sous-com dans le temps. Mais je m'en souvenais plus.
SupprimerOn en pense à peu près la même chose de Noé et de ce film. Visuellement très (trop ?) fort, c'est des superbes images les unes derrière les autres, mais ça fait pas vraiment un film ... comme si l'esthétique devait absolument primer sur le narratif ...
Sinon, je suis content de voir qu'il n'y a pas que moi qui ait cru que Oscar claque dans les chiottes. Ce qui change pas l'impression globale, mais modifie pas mal le sens du film ...