GASPAR NOE - ENTER THE VOID (2010)

Il faut sauver le soldat Noé ...
Autant le dire d’entrée, « Enter the Void » est un film long. Et chiant. Très long et très chiant même.
Et pourtant c’est ce genre de films qu’il faut voir pour sortir des sentiers battus d’un cinéma contemporain englué dans tous ses travers conformistes, sa recherche systématique du retour sur investissement, ses scénarios grotesques, ses metteurs en scène et ses acteurs en roue libre. Prise de risque artistique zéro.
Gaspar Noé, Paz de la Huerta, Nathaniel Brown
Noé, il prend des risques. Démesurés. Il fait des films que pour faire simple on qualifiera de « difficiles ». Et il se coltine une sale réputation de réalisateur arty, vulgaire, provoquant, agressif et égoïste. On lui reproche de faire des films pour lui et pas pour ceux qui se hasardent à les voir. Sauf que tout çà n’est pas toujours vrai. Il y a plus d’idées et de talent dans un seul film de Noé que dans tous ceux diffusés pendant un quinquennat le dimanche en prime time sur TF1.
« Enter the Void » est raté. Interminable et pénible. 2 heures 35, ça commence à compter (la version « courte », une vingtaine de minutes de moins, est plus fluide, « passe » mieux). Mais 2 heures 35, c’est quasiment une heure de trop. Pénible parce que ce sempiternel vomi d’effets numériques psychédéliques, cette caméra qui vole et traverse les murs, ça finit par gonfler grave. Parce que cette manie de Noé de montrer du sexe sans amour finit par faire étalage de barbaque pas très fraîche sur l’étal d’un boucher chelou …
Et pourtant, « Enter the Void » est à ce jour le projet de sa vie pour Noé. Quinze ans que ce film lui trottait dans la tête, qu’il bossait sur le scénario (version « définitive » terminée en 2006, mais beaucoup de choses seront improvisées sur le tournage). Le pitch est pourtant intéressant, la manière de tourner le film relève plus souvent qu’à son tour du génie.
Linda et Oscar en pleine lumière
Oscar, petit dealer à Tokyo, vendu aux flics par un copain-client, prend une balle en pleine poitrine dans les chiottes d’un bar (le Void). Toute sa vie passée, et les projections de son âme dans un hypothétique « futur » vont alors défiler. A ce niveau, première ambiguïté qui change radicalement toute la perception du film, savoir si Oscar est mort ou pas. On a l’impression, même après plusieurs visionnages, qu’Oscar est mort dans les chiottes du bar, et dès lors l’essentiel du film (2 heures) prend un côté mystico-bouddhiste gênant entrecoupé de flashbacks et de flashforwards qui nous racontent son histoire … Sauf que pour Noé, Oscar ne meurt qu’à la fin du film, lorsque l’écran devient noir. Noé a voulu filmer la dernière demi-heure de vie et l’agonie d’Oscar, se déclare profondément athée et se défend d’avoir voulu donner une connotation religieuse au film. Il aurait peut-être fallu se montrer moins elliptique et plus explicite sur ce point, même si, oui, j’ai entendu, il y a une réplique de Linda, la sœur d’Oscar qui dit « les juifs, les cathos, c’est des sectes, ils sont juste là pour prendre ton pognon ». Il est question dans « Enter the Void » de religion, qui se retrouve thème central et en même temps prétexte du film. Le « rêve » d’Oscar suit la trame du « Livre des Morts » tibétain, Oscar est en train de lire le bouquin que lui a prêté son pote dealer Alex, et ils en causent tous les deux en se rendant au Void, ce qui nous permet de comprendre ce qui va suivre, cette âme qui se détache du corps et survole la nuit tokyoïte, tout en se remémorant le passé et en cherchant son avenir.
Oscar et Linda, comme un air de Terence Malick
Filmer l’immatériel, c’est une sacré gageure. Peu s’y sont hasardés. Comme ça, sans réfléchir, je vois que Terence Malick qui lui filme le vent (dans les arbres, dans l’herbe, les champs). Et d’ailleurs il y a une courte scène, très atypique dans le film, où l’on voit Oscar et Linda assis sur une pelouse, avec un soleil rasant sur les arbres au loin. Il me semble qu’il y a le même plan dans « La ligne rouge » quand Caviezel est à l’hôpital. Si ma mémoire me joue pas des tours, ce doit pas être un hasard…
Par contre, il faut forcément évoquer à propos de « Enter the Void » le Kubrick de « 2001, Odyssée de l’Espace ». Là, au moins, y’a pas d’ambiguïté, Noé a cité ce film comme référence pour le sien. Pas au niveau de l’histoire, du rendu final, mais plutôt en tant que mètre-étalon stylistique. Noé a inventé des images, des mouvements de caméra. Il y en a un, dans les bonus du Dvd, tellement ahurissant, avec la caméra qui avance dans une rue en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, qu’on se demande bien pourquoi ils l’ont pas gardé dans le montage final. Bon, soyons calme, Noé n’est pas Kubrick, ça se saurait, et il est d’ailleurs parfaitement lucide sur ce sujet. Kubrick avait l’imagination et la technique, Noé a ça aussi, mais en plus et ça change tout, le digital.
Et autant les milliers d’effets numériques étaient bien utilisés dans « Irréversible », autant ici pour moi ça coince. Trop de numérique tue le numérique. J’ai pas chronométré, mais il doit bien y avoir plus de demi-heure d’images uniquement de synthèse, et toutes ces projections psychédéliques et ces survols de murs, de rues, de ville, se révèlent à la longue fatigants. Et quand on voit dans la section bonus qu’il y en a demi-heure non utilisés, on mesure l’ampleur qu’auraient pu prendre les dégâts … il n’empêche, il y a à mon sens dans « Enter the Void » un travail sur la lumière et les lumières qui pourrait faire date. Tout est retouché à la palette graphique, mais le rendu est fabuleux, et si l’histoire se passe à Tokyo (qui n’était pas le premier choix de tournage), c’est parce que Noé a trouvé que naturellement, Tokyo est une des villes les plus et les mieux éclairées du monde, et dès lors il s’en donne à cœur-joie avec des effets superbes à base de néons clignotants.
Et puis, Noé fourmille d’idées et avoue avoir rendu quasi fou les machinistes de l’équipe en leur décrivant les mouvements de caméra qu’il voulait pour ses scènes. Beaucoup sont filmées en plongée, avec une caméra en perpétuel mouvement. Et puis, avoir un acteur principal toujours de dos dont on ne voit que la silhouette aux oreilles un peu décollées, fallait oser, la logique de la caméra subjective poussée dans ses derniers retranchements … On ne voit son visage que deux fois, au début dans un miroir, et ensuite couché sur une table à la morgue.
Pour des questions de budget (dix millions d’euros quand même) et parce que beaucoup a été claqué en montage, en post-prod et en effets numériques (les dernières scènes du survol de Tokyo by night, ça fait un peu Pixar ou Dreamworks au rabais, ça pue l’animation bâclée, on voit trop que tout est faux, le spectre du dépassement de budget …), le casting ne fait pas dans la tête d’affiche. Paz de la Huerta (sublime physiquement, mais aussi, là, actrice très crédible) est la seule professionnelle dans la distribution, et encore elle n’avait eu que de tous petits rôles jusque là. Quasiment tous les autres sont des comédiens amateurs, à commencer par Oscar (Nathaniel Brown, étudiant en cinéma) ou son pote Alex (Cyril Roy).
Oscar, comme un air de Trainspotting
Alors « Enter the Void » est ambitieux, et Noé aussi, et il a raison. Autant aller au bout de ses idées, ne rien regretter, et tant pis si ça marche pas. Des choses sont fort bien vues. Oui, il fallait montrer des trips de défoncés, ça fait partie de l’histoire et des personnages, et Noé qui ne se cache pas de nombreuses expériences de toxico, l’intègre dans son film. Mais bon, ça n’en finit plus, ces visites du vortex (tiens, en passant, y’a aussi pas mal de similitudes avec Tarkovski, et notamment « Solaris »), et à la longue, on a l’impression de regarder les vieux écrans de veille de Windows. L’histoire familiale d’Oscar et Linda est à mon sens la partie la mieux traitée, et là on est presque frustré de ne pas la voir plus développée. Cette complicité fusionnelle qui les unit depuis qu’ils sont orphelins de leurs parents (écrabouillés en bagnole contre un camion), qui fait qu’à une paire de reprises on frôle l’inceste, et que Oscar, naturellement, choisira de se réincarner à l’intérieur de sa sœur, aurait mérité mieux, il aurait fallu pour cela confier le rôle d’Oscar à un comédien pro … Et puis, il y a ces idées ou ces images-chocs indissociables de Noé et qui font souvent grincer les dents. Passe encore pour l’accident de bagnole (on voit ça dans tous les films, en plus gore quelquefois), la partouze finale résume pour moi malheureusement les travers foune-bite de Noé (même si l’idée de la faire dans le « Love Hotel » numérique est elle géniale), tout comme cette scène de pénétration filmée depuis l’intérieur du vagin qui tient plus du vulgos que de l’art selon moi (mais je conçois que ça puisse se discuter).
« Enter the Void » est un flash d’images souvent exceptionnelles (la plupart des scènes « jouées » sont truffées d’effets genre stroboscope ou fish-eye), les couleurs giclent de partout, la bande-son est fabuleuse, tantôt sourde et oppressante, tantôt claquante et tous les potards sur onze, la musique (de la techno surtout) flippante et bien choisie. Le spectacle commence d’entrée avec un générique qui défile à toute blinde (et à l’envers) sur fonds de beats métalliques et syncopés de LFO et ne vous lâche jamais jusqu’à l’écran noir final.

Seulement voilà, moi j’espérais voir un film, pas un spectacle genre feu d’artifice du 14 Juillet. Mais c’est ça aussi Noé, capable d’égaler sur une scène, un plan, une intuition de génie, tous ces maîtres du cinéma qu’il adore, et se vautrer dix secondes plus tard dans du n’importe quoi en 16/9 …


Du même sur ce blog :



Le générique de début, déjà impressionnant ...


2 commentaires:

  1. Quand je l'avais chroniqué sur mamazone, j'avais titré je crois "et après, le vide...". C'est le problème de ce film et de Noé en général. Ce film est remarquable pendant 1h45. Après il n'est que redondance et ennui. Et surtout inutile. A un point qu'on se dit : pourquoi aucun producteur digne de ce nom n'a dit au réalisateur de couper 40 minutes !! Mais finalement, ce n'est pas trop grave, car comme tu le dis, y'a plus de cinéma dans 10 minutes de Gaspard Noé, que dans toute l'année écoulée chez les autres ! Des iconoclastes, il en faut, Noé est un pur et dur (il me rappelle Dantec en littérature ?!!) on a besoin d'emmerdeur comme ça !

    Mais le second problème, et il va falloir que Gaspard Noé s'en occupe dare-dare, c'est qu'il a beaucoup d'idées sur le forme, mais peu sur le fond. Son discours, dans ses films, tiennent de la réflexion d'ados : ça ne vole pas haut. Ca ne pisse pas très loin. Dans ENTER THE VOID le coup du Livre des Morts et tout, on a pigé, c'est bon, on fait pas deux heures là dessus ! Kubrick, lui, avait une vision du monde, des hommes, de l'histoire, de l'art, qu'il n'a eu de cesse de ruminer, proposer, à travers des films aux formes différents. Paul Thomas Anderson aussi. Terrence Malick aussi, dans une moindre mesure. Pour l'instant, je ne vois pas de ligne directrice chez Gaspard Noé, et c'est dommage. Car un type aussi doué pour les images, ce serait bien qu'il est vraiment des trucs à dire !!

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    1. J'avais lu ton com sur amazon, j'y avais mis un sous-com dans le temps. Mais je m'en souvenais plus.
      On en pense à peu près la même chose de Noé et de ce film. Visuellement très (trop ?) fort, c'est des superbes images les unes derrière les autres, mais ça fait pas vraiment un film ... comme si l'esthétique devait absolument primer sur le narratif ...

      Sinon, je suis content de voir qu'il n'y a pas que moi qui ait cru que Oscar claque dans les chiottes. Ce qui change pas l'impression globale, mais modifie pas mal le sens du film ...

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