BERNARDO BERTOLUCCI - PRIMA DELLA RIVOLUZIONE (1964)

 

Stendhal au pays des Soviets ?

Tout le monde connaît Bertolucci. Enfin « Le dernier tango à Paris », un des films les plus sulfureux de l’histoire du cinéma. Parce que le reste de sa filmographie n’est vraiment ni successful ni « grand public » …

Quand il tourne « Prima … » Bertolucci n’a que 23 ans. Il a commencé comme assistant de Pasolini (autre réalisateur italien « difficile ») dont la façon d’aborder le cinéma sous un aspect très politisé fut sa première grande source d’inspiration. Mais c’est en voyant les films de Godard qu’il trouvera sa voie « visuelle ».

Bertolucci

« Prima della Rivoluzionze » (« Avant la Révolution ») d’après une citation de Talleyrand placée en exergue (« celui qui n’a pas vécu au XVIII ème siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu’il y a de bonheur dans la vie ») est un des rares films italiens inspiré par la Nouvelle Vague française en général et Godard en particulier. Nouvelle Vague par le choix d’acteurs débutants au jeu souvent inexpressif et désincarné, par des disgressions du scénario ou des dialogues. Godard pour cet art des raccords volontairement mal foutus (ici, quelques fractions de seconde genre rewind sur des plans saccadés), et cette attirance pour le communisme et la Révolution qu’il doit engendrer. Et surtout Godard est présent à travers une discussion après que Fabrizio, Gina et Cesare sortent d’un cinéma où était projeté « Une femme est une femme ».

« Prima … » part dans trois directions.

Un remake squelettique de « La Chartreuse de Parme ». L’action se situe à Parme, les personnages principaux s’appellent Fabrizio, Gina et accessoirement (elle apparaît fugacement au début, et pour une paire de scènes à la fin) Clélia. Pour autant que je me souvienne du bouquin, la similitude ente le livre et le film s’arrête là.

Fabrizio tourne le dos à la Révolution ...

On y cause bourgeois et communistes. Les bourgeois, c’est le milieu de Fabrizio (joué par l’inconnu, et qui le restera, Francesco Barilli), de sa famille, de son pote Agostino, et de la famille de Clélia. Aussi un peu de Gina, même si cette origine sociale n’a aucune importance pour son personnage. Le communisme, c’est Cesare, le prof d’histoire et maître à penser de Fabrizio. Souvent évoqué au début du film, il n’apparaît que dans sa seconde moitié. Le communisme, c’est aussi cette fête, où au milieu des drapeaux rouges, les militant(e)s commentent le suicide de Marylin Monroe qui fait la une des journaux, ce qui permet de situer le film en 1962.

Et puis « Prima … » laisse entrevoir des sujets tabous, le genre de thématiques sur lesquelles on fait rarement des films à l’époque. L’homosexualité est latente dans les relations entre Fabrizio et Agostino, lors des discussions avec Cesare, avec un jeune gars auprès de la rivière … La « décadence » des mœurs, qui fera la « fortune » du cinéma italien des 60’s (Fellini, Pasolini en tête) est évoquée dans le personnage secondaire de Puck, une ancienne « connaissance » de Gina. Quant à Gina, elle est ce que du point de vue freudien on appellerait une hystérique. C’est l’amante mais aussi la tante de Fabrizio, elle ne rechigne pas à se taper le premier type qui passe à portée (celui qu’elle croise dans une librairie), est capable de passer de dominatrice à soumise, et de laisser tomber ses amants comme de vieilles chaussettes.

Gina / Adriana Asti

C’est d’ailleurs Gina, beaucoup plus que le transparent Fabrizio, qui est l’élément moteur du film. Ce personnage troublant et troublé est interprété par Adriana Asti (quelques apparitions fugitives comme dans « Rocco et ses frères »), qui disparaîtra quasiment des radars ensuite, avant de revenir dans les 70’s pour quelques nanars grivois et/ou déshabillés (genre le « Caligula » de Tinto Brass). Elle vampe son neveu, le dépucèle, en fait un soumis qui renonce même à ses utopies communistes (jusque-là l’essence de sa vie). Et elle le largue, non y laisser au passage le peu de santé mentale qui lui reste. C’est cette histoire d’amour qui est la partie du film à laquelle il est le plus facile de se raccrocher. Parce que beaucoup du reste est typique de le nouvelle vague, ces personnages que l’on croit cruciaux et qui ne font qu’apparaître (Agostino le copain à Fabrizio, Puck l’ancienne « relation » de Gina, Clélia la fiancée délaissée puis épousée), ces dissertations souvent absconses sur l’homme et la société. Fabrizio et son mentor Cesare (joué par Morando Morandini, célèbre essayiste et critique du cinéma italien de l’époque), ont ainsi plusieurs face-à-face, où il est question de Proust, Oscar Wilde, et évolution des idéaux communistes (ce dernier échange étant filmé en un superbe champ contre-champ à grande vitesse).

« Prima … » est une œuvre de jeunesse, dans laquelle Bertolucci a voulu mettre beaucoup de choses. Trop peut-être, et c’est le reproche que l’on peut faire au film. Il veut tellement en dire et en montrer que l’on sort de « Prima … » sans réellement saisir quelle est la finalité du film, chose cependant guère répréhensible dans le mouvement (la Nouvelle Vague) auquel il se rattache (dites-moi ce que voulait dire Godard dans les années soixante, lui seul le sait … peut-être). Il n’empêche que « Prima … » s’il part dans tous les sens n’est pas un film bâclé pour autant. Il y a un parti-pris esthétique certain et la technique qui va avec (les cadrages sont parfaits). Et puis, un leitmotiv musical autour d’une mélodie simple et désuète revient sans cesse. Ce thème musical est signé par un quasi débutant, Ennio Morricone. Lorsque « Prima … » sort (au festival de Cannes 1964), Morricone travaille sur la musique d’un western, tourné par un autre quasi-débutant, Sergio Leone, qui a donné le rôle principal à un acteur américain de seconde zone expatrié pour l’occasion, un certain Clint Eastwood …

C’est avec cette génération-là (Pasolini, Fellini, Bertolucci, Antonioni, Scola, Leone, …) que le cinéma italien, jusque-là quelque peu tétanisé par l’ombre des grands anciens déclinants du néo-réalisme (Rossellini, De Sica) va vivre une nouvelle période faste, la transition entre les deux générations étant assurée par l’immense Visconti …


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