Il y a bien sûr le raccourci
facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que
ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment,
comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à
la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films,
matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la
vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque
l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran
Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous
les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de
Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood,
c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours…
Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty
Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra
lui-même en scène).
Eastwood et western, ça rime. Il a réellement
lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le
canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable »
en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western
faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses
jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est
pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio
Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de
Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite …
Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple »
américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en
plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la
barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre
que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est
pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de
l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains
(même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a
jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses
films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un
drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont
pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood,
touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et
largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière
la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui
a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood |
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est
challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du
western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les
temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était
une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des
trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il
commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la
première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en
quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey
Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense
classique.
Avec rien de nouveau sous le
soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la
justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un
brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par
des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession)
sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse
pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce
simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de
francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer
les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera
pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par
le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes
des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ... |
Une remarque en passant :
même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest
Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs
pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient
la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri,
il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque
les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales
travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey
Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long
du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit
(involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence
par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la
vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard,
efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais
de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux
vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira
par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres
comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont
croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ».
Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et
un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ... |
Au moins deux choses montrent
le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très
pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne
vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche).
Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les
relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw),
mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la
tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur,
il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation
tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande
(et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will
Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol
au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et
quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les
hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la
plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est
un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood
filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq
Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant
avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan
George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de
son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de
sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion
du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs
années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais
termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray,
dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques
infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous
les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous
montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère,
où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes
et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que
le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même
si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur
fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda
sur son canasson …
Western d’anthologie en tout
cas …
Du même sur ce blog :
Du même sur ce blog :
J'aime beaucoup ce film, tout comme les trois autres westerns qu'il a réalisés. On parle sans cesse du Eastwood-cowboy solitaire, mais il n'en a tourné réellement que 4 ! Et qui à mon sens vont crescendo, "Impitoyable" étant certainement un de ses 4 ou 5 meilleurs films.
RépondreSupprimerEt davantage que ce personnage de solitaire (presque un fantôme, un esprit, dans "l'Homme des Hautes plaine" ou "Pale Rider") c'est la société des personnages qui l'entoure qui est intéressant. Ici, cette famille recomposée, hétéroclite, dans "L'homme des hautes plaines" cette ville qui vire au fascisme, les "pionniers mystiques de "Pale Rider", "Impitoyable" et cette communauté de femmes, de prostituées, des gens qui à chaque fois en appellent à la loi, la justice. Le personnage d'Eastwood en étant le contre-point, celui que vont choisir ces gens pour acter leur vengeance, leurs différents, parce que c'est la solution la plus simple, celle des armes et de la violence.
C'est (à mon sens ) ce que racontent les 4 westerns d'Eastwood.
Bien vu de remarquer aussi l'aspect pince sans rire du personnage, et du film, éléments qu'on retrouve dans les autres.
Faché avec Sondra Locke, surement, mais il lui a permis de devenir une des rares femmes réalisatrice-productrice... avant la génération des Katheryn Bigelow.
Jolie analyse des westerns réalisés par Eastwood ... je rajouterai l'aspect justice qu'on fait soi-même (parce qu'on est obligé), c'est aussi la thématique récurrente ... et ambiguë, parce que l'on ne peut pas éviter la projection contemporaine des histoires et des personnages ... et là ressortent immanquablement machisme, sexisme, et nostalgie rétrograde (c'était mieux avant, la justice se faisait ...). Eastwood n'est pas assez con pour faire du premier degré, et semble se complaire sur le fil du rasoir idéologique ... pour ça qu'il me crispe quelques fois ...
SupprimerLe thème de la vengeance, de la justice qu'on fait soi même est aussi vieux que le western, pas propre au cinéma d'Eastwood. N'est-ce pas le thème central de "Liberty Valance" ? C'est pour cela, je pense, que beaucoup de réalisateurs ont donné dans le western, le "genre" américain par excellence, parce que les histoires se situent à une époque où les lois n'étaient pas encore établies/respectées partout, une époque de transition. On accepte sans rechigner de voir des types qui se flinguent en pleine ville dans un western, un gars te marche sur les pieds dans un saloon, tu sors ton colt ! C'est assez rare de voir ça dans un polar...
RépondreSupprimerLe débat est toujours d'actualité, avec l'autorisation du port d'arme, cet amendement qui vient de cette époque, justement, et que les américains ne veulent pas remettre en cause.