CLINT EASTWOOD - MILLION DOLLAR BABY (2004)

 

Victoire par K.O.

Fondamentalement, Clint Eastwood est un réac (par ses discours, ses prises de position, les personnages qu’il a le plus joués dans ses films qu’il soit metteur en scène ou pas) … Un réac comme il y en a des dizaines de millions aux USA… Mais aussi un réac humaniste, ce qui est quand même moins courant.

Et quand les cinéphiles des prochains siècles (à condition qu’il y ait encore des cinéphiles et des prochains siècles, ce qui n’est pas garanti) se pencheront sur son œuvre, je vous parie que deux films reviendront avec obstination comme faisant partie de ses tout meilleurs, à savoir « Sur la route de Madison » et « Million Dollar Baby ». Pas forcément représentatifs de sa très longue filmographie, mais deux œuvres qui te collent une balle entre les yeux et en plein cœur, beaucoup plus sûrement que si c’était Dirty Harry ou un cowboy taiseux à cigarillo qui tenait le flingue …


Je sais pas ce qu’il avait en tête Eastwood quand il a tourné « Million Dollar … », mais quelque part il voulait certainement faire une œuvre testamentaire sur la vie, l’amour, la passion, la mort, l’humanité, comme « Impitoyable » avait été son western testamentaire. Faire un testament ne veut pas dire qu’on va mourir à l’instant, ça veut juste dire qu’on définit ce qu’on va laisser à ceux qui resteront en vie une fois qu’on sera plus là …

« Million Dollar … » flirte pourtant avec tous les stéréotypes crispants d’Eastwood et du cinéma grand public (américain, pléonasme). On y voit l’accomplissement du rêve dans le pays où tous les rêves sont possibles (en théorie, la pratique est pas aussi simple), on y voit les cœurs de granit se fendre et saigner dans la plus pure tradition des mélos larmoyants, on y voit des tranches et des tronches de vie qui font retomber la pression (ou en rajoutent une couche, au choix). On y voit surtout les déclassés, les tricards, les sans-grades, tutoyer les étoiles, s’approcher du Soleil avec leurs rêves, … et retomber durement sur Terre, leurs rêves caramélisés par la vie, tels des Icare contemporains …

« Million Dollar … » dure quasiment deux heures et quart. Une heure trois quarts sont prévisibles (en gros, la lente ascension vers la success story), la dernière demi-heure est un grand coup de massue sur toutes les certitudes accumulées jusque-là (ben non, il n’y aura pas de happy end, et il n’y a même pas de end pour deux des trois protagonistes principaux, on sait pas ce qu’ils vont vraiment devenir).

Freddie & Maggie : de l'ombre ...

La success story du film, Eastwood la construit sur la boxe. Un bon point, c’est beaucoup mieux que s’il avait choisi le base ball, le foot américain ou le hockey sur glace, sports très populaires aux States mais totalement incompréhensibles pour qui n’a pas passé des centaines d’heures au stade, à la patinoire, ou affalé sur son canapé devant la télé, pack de Bud à portée de main … la boxe, je sais pas si c’est un noble art, mais les règles du jeu sont pas très compliquées, c’est celui qui prend sur la gueule qui a perdu, c’est un concept universel …

Question que l’on peut se poser, « Million Dollar … » est-il (entre autres) une forme de réponse à la série des Rocky, une réponse d’Eastwood à Stallone, et l’image qu’ils ont souvent donnée dans leurs filmographies respectives, celles de castagneurs machos et asociaux invincibles … « Million Dollar … » ne met pas en scène un boxeur, mais une boxeuse.

Cette boxeuse, Maggie Fitzgerald, est joué par Hilary Swank, certes oscarisée en 2000 pour « Boys don’t cry », mais relativement peu connue du « grand public ». Sous la direction d’Eastwood, elle trouvera là le rôle de sa vie. Maggie est issue d’une famille de cas sociaux rednecks du Missouri. Elle les a laissé tomber pour accomplir son rêve et son obsession à Los Angeles, devenir boxeuse professionnelle, alors qu’elle a déjà la trentaine. Elle est serveuse dans un boui-boui, cherche un entraîneur. Elle a choisi un vieux de la vieille, Frankie Dunn (Clint Eastwood), propriétaire d’une salle de boxe miteuse, un solitaire asocial et intransigeant, aux méthodes à l’ancienne. La seule personne avec qui Dunn se montre à peu près humain, et qui l’assiste dans sa salle, c’est un vieux boxeur noir amoché (aveugle d’un œil), Eddie (Morgan Freeman). Dunn n’est pas un cador de la profession, ni un homme d’affaires (son meilleur boxeur le quitte pour un manager ambitieux). Par contre, c’est un génie du rafistolage de museau, qui sait entre deux rounds comment on arrête une hémorragie, comment on remet en place un nez pulvérisé, comment on cautérise une plaie ouverte … on apprendra dans le film comment ses talents lui ont fait « adopter » Eddie dans sa salle de boxe.

... à la lumière ...

Evidemment, il fout à dix mètres Maggie quand elle lui demande de devenir son entraîneur. Son définitif et lapidaire « J’entraîne pas les filles » avec le regard hautain et méprisant qui l’accompagne suffit à ce moment-là à camper le personnage. Tout aussi évidemment, comme « Million Dollar Baby » est au début une succes story, la Maggie va venir au club (aidée par Eddie), s’entraîner seule dans son coin, pour finalement retenir l’attention du boss et entamer avec lui une fulgurante ascension vers le Championnat du Monde. Coïncidence certainement voulue, il y a un parallèle sportif entre la Maggie du film et Mike Tyson. Tous deux détruisent leurs adversaires au bout de quelques secondes, ont l’instinct et la mentalité d’un tueur sur un ring. Pour les deux, même si elle ne se produit pas de la même façon, la chute sera encore plus brutale que l’ascension … ça c’est pour le film sur la boxe.

« Million Dollar Baby » ne s’arrête pas là. Les personnages et leurs relations sont fouillées dans ce triangle (enfin, un triangle à deux et demi, Morgan Freeman, bien qu’excellent, n’a qu’un second rôle).

Maggie, c’est la bonne fille de la cambrousse. Capable de réactions exubérantes enfantines (elle ne cache pas sa joie, fait parfois des caprices genre aller à Las Vegas en avion et en revenir en voiture), totalement obnubilée par la boxe (elle travaille son jeu de jambes même quand elle sert au resto), et souhaitant faire le bonheur de sa famille de bras cassés une fois les dollars arrivés. Voir son obèse abrutie de mère lui faire une scène parce que la maison qu’elle vient de lui offrir (la plus belle du quartier) n’est pas meublée. Voir cette galerie de tronches de rednecks dégénérés se pointer avec un avocat à l’hosto pour tenter de récupérer tout le pognon de Maggie au cas où elle ne s’en tirerait pas …

Premier passage à l'hosto ...

Frankie, lui aussi, vit pour la boxe et peu de la boxe. Son club est assez pourri, sale, mal éclairé (à ce sujet, superbe photo, tous les personnages évoluent le plus souvent dans la pénombre, même quand ils sont dans une immense arena de boxe de Las Vegas). C’est un type qui une morale (parfois élastique, il achète des sparring partners pour Maggie, à un moment où plus personne ne veut boxer contre cette killeuse expéditive des rings), et une stratégie sportive simple : laisser longtemps mariner les boxeurs dans leurs rêves de titres, pour en faire des frustrés avec des envies de se surpasser chaque fois qu’ils montent sur le ring. Et puis Frankie n’est pas qu’un entraîneur de boxe. Il a eu une vie à côté. Il a été marié (il me semble que sa femme est morte) et il a une fille à laquelle il écrit chaque semaine avant de voir revenir quelques jours plus tard ses lettres non distribuées. Frankie a aussi de la religion, mais les épreuves de sa vie l’en ont un peu éloigné, il se contente de harceler le jeune pasteur du coin de questions embarrassantes (« et si on parlait de l’Immaculée Conception », ce genre). La religion, il y reviendra, les larmes aux yeux, pour rencontrer son petit pasteur, au moment où il sera question de vie et/ou de mort. Et Frankie a un péché mignon, il adore les tartes au citron. Et c’est (peut-être) dans une petite bicoque qui en fabrique d’excellentes et que lui a enseigné Maggie qu’il finira … Maggie profitera de l’absence de la fille de Frankie pour la remplacer, elle bénéficiera de ce que les psychologues du dimanche appellent un transfert. Transfert ambigu, on sent fugacement le vieux Frankie hésiter entre amour platonique filial et amour tout court. Et ce Frankie bourru et asocial (le prototype du gars qu’Eastwood incarnera de façon exacerbée dans le ridicule « Gran Torino ») va se muer en chien fidèle de Maggie une fois que les choses auront très mal tourné pour elle … Et pas du tout innocemment, Frankie (à ce moment-là, il ne faire guère de doute que l’acteur et son double derrière la caméra se confondent) va se retrouver face à la problématique de l’euthanasie (la mort est une thématique récurrente de la carrière d’Eastwood, parce que ses personnages la donnent ou y sont confrontés), et ne va pas traiter la chose de façon elliptique, tout sera clair …

« Million Dollar Baby » est adapté d’une nouvelle du même titre, et le scénario est l’œuvre de Paul Haggis, un type qui sait donner de l’épaisseur à ses personnages (voir son très bon « Collision » en tant que réalisateur). Les récompenses vont pleuvoir sur « Million Dollar Baby ». Quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur second rôle pour Morgan Freeman). Et un César (meilleur film étranger) alors que notre institution franchouillarde du cinéma n’est pas réputée briller par son bon goût.

Film évidemment incontournable.


Du même sur ce blog :

Josey Wales Hors-La Loi


1 commentaire:

  1. ça alors ! L'ai revu y a quoi ? Une petite semaine (sic). Je n'ai pas été aussi emballé que lors de sa sortie au cinoche y a presque 20 ans maintenant. Mais ça reste très bien construit je trouve. Incontournable, comme tu dis. Beau portrait de tous les déclassés. Et le final, quand Clint se barre, je trouve que c'est une belle sortie. La narration (voix off par Morgan Freeman) est bien foutue. Quant à Gran Torino, ridicule ? outré et exagéré sans doute. Pas un chef-d'oeuvre, mais un grand film qui dit plein de choses. Le pote avec qui j'étais allé le voir au ciné avait détesté (le côté christique). Clint : le Christ d'Hollywood ? Sur le plan philosophique, si je développais, ça dit beaucoup plus encore. Mais bon...
    freddie

    RépondreSupprimer