Anecdote révélatrice, ce film a
pu être diffusé en salles grâce à l’intervention d’Allen Klein, manager véreux,
forcément véreux, ayant frayé avec les Stones et les Beatles, et mis sur le
coup « El Topo » par Lennon et Yoko Ono, qui honorèrent la première
new-yorkaise du film de leur présence et ne tarirent pas d’éloges à son sujet…
Pour clore l’anecdote, signalons que Jodorowsky ne manque pas une occasion de dire
du mal, beaucoup de mal, de Klein …
Jodorowsky - El Topo |
« El Topo » (la taupe
dans la langue de Gérard Collomb) est un western. Mais pour que ça plaise à
Jojo et Yoyo, autant dire qu’on n’est pas vraiment dans la lignée Ford – Wayne.
Plutôt dans celle du Peckinpah de « La horde sauvage » (dont au
passage le décor du village où a lieu la baston finale est utilisé par
Jodorowsky pour figurer sa cité minière). Même si « El Topo » ne se
contente pas, et c’est un peu beaucoup son problème, de geysers d’hémoglobine à
chaque impact de balles, et Dieu sait s’il y en a dans « El Topo »
des gunfights … Tiens, puisque j’ai cité Dieu, signalons aussi que « El
Topo » est un western sinon religieux, du moins mystique, voire chamanique,
et qui suit la quête morale et spirituelle de son héros … Sans qu’on comprenne
d’ailleurs à première vue ce qu’il cherche … et plusieurs visionnages laissent
à peu près toujours autant de points d’interrogation … mais enfin, si ça a plu
à Lennon …
« El Topo » est le
film d’un homme. Et d’une époque.
L’homme, c’est Jodorowsky,
exilé chilien et citoyen du monde libre (c’est-à-dire le monde où on trouve du
LSD et des pilules de toutes les couleurs en vente libre). Acteur, réalisateur,
mime, adepte des tarots (il paraît que Mitterrand, entre autres politiques, le
consultait), le prototype de l’artiste total très éloigné des basses contingences
matérielles de notre pauvre monde à nous (d’ailleurs, il estime même encore qu’aujourd’hui,
le cinéma comme la musique et l’art en général devraient être mis gratuitement
à la disposition de tous, et n’a pas de mots assez durs contre les producteurs
et les distributeurs du septième art).
If you want blood ... |
L’époque, c’est la fin des sixties,
et de toutes les utopies et révoltes que cette décennie a engendrées. Fini l’universalisme
baba, retour vers la « vraie vie » et l’individualisme qui va avec. « El
Topo » s’adresse à tous ceux qui ont choisi de vivre à côté ou en marge du
système. Pas un hasard si le film deviendra culte dans ce qu’on appellera les « midnight
movies », ces films « différents » projetés uniquement dans les (très)
grandes villes lors de séances nocturnes dans parfois une seule salle où ils
restent à l’affiche des mois voire des années.
Parenthèse. Dans l’édition Dvd
de « El Topo » parue chez Wild Side (qui propose autre chose en terme
de « produit » que les éditions minables de TF1 Vidéo ou Studio Canal
qui remplissent les bacs), il y a sur un second Dvd un documentaire d’une heure
et demie sur ces fameux « midnight movies » dont les six prétendus
principaux sont mis à l’honneur, avec nombreux extraits et interviews des réalisateurs
et de tout un tas de protagonistes impliqués dans ces œuvres. Les winners de ce
genre très particulier sont donc « El Topo », « Pink Flamingos »
de John Waters, « La nuit des morts-vivants » de Romero, « The harder
they come » de Perry Henzel, « The Rocky horror picture show »
de Jim Sharman et le « Eraserhead » de David Lynch… des films bien
allumés sans autre point commun que d’être devenus cultes en passant seulement
à minuit dans des salles confidentielles. Fin de la parenthèse …
No comment ... |
« El Topo » est un
film totalement improbable. Jodorowsky a un scénario, et ne réussit à trouver
qu’une poignée de dollars pour son film. Pas vraiment prévu au départ, il
passera derrière la caméra. Et aussi devant, parce qu’il se donne le rôle
principal (normal, c’est un film quand même très personnel) toujours par la
force des choses financières. Il tournera au Mexique (où la vie, les figurants
et les acteurs ne sont pas chers), assemblant un casting totalement improbable.
Deux exemples, l’actrice principale, même des années après, il ne connaît pas
son nom. Créditée au générique Mara Lorenzo, c’est une anglophone (tout ce dont
est sûr Jodorowsky) sous acide qui errait totalement défoncée dans les rues de Monterey
et dont ce sera apparemment la seule prestation filmée. Un des autres
personnages féminins majeurs est une hôtesse de l’air en plein trip de LSD au
boulot, et sur la seule foi de cet état second immédiatement recrutée par le
Jodo. Elle aussi disparaîtra des radars du milieu cinématographique. Pas sûr d’ailleurs
que des « professionnelles » soient allées aussi loin dans la provoc
en images (d’après Jodorowsky, ce sont elles deux en très gros plan et toute
langue dehors qui se donnent le premier baiser lesbien de toute l’histoire du
cinéma …). Et puis pour une scène de « groupe », ou de partouze pour
faire simple, ce sont les résidentes des bordels mexicains qui viennent faire
de la figuration … Sans parler de la galerie de « monstres », cette
communauté incestueuse et difforme maintenue en esclavage dans une mine, avec
des personnages venus en droite ligne du « Freaks » de Tod Browning (bizarrement,
alors que Jodorowsky s’étend longuement dans les bonus sur le pourquoi de ces personnages
amochés par la vie dans son film, jamais il ne fait référence à celui de Browning
…)
« El Topo », on
début, on arrive à suivre. Un justicier tout de cuir noir vêtu (cherchez pas plus
loin où Lemmy et ses Motörhead sont allés chercher leur look de pistoleros
chevelus sur la pochette de « Ace of Spades »), accompagné de son
bambin tout nu (le vrai fils de Jodorowsky, qui évolue au milieu de mares de
sang et achève les types d’un coup de révolver dans la nuque, bonjour les
souvenirs d’enfance…), dégomme sauvagement une troupe de bandits (homosexuels,
ils sont habillés comme s’ils sortaient de chez Michou) qui ont zigouillé sadiquement
la population d’un petit patelin. Fort de ce succès, et se sentant une mission et
un destin divins, El Topo parcourt le désert à la recherche de quatre maîtres
prétendument invincibles qu’il tue un par un. Avant d’être canardé par ses deux
femmes-complices-compagnes, d’être récupéré blessé par les freaks de la mine,
de devenir une sorte de gourou zen, de les libérer, avant un final sanglant où à
peu près tout le casting laisse la peau, El Topo finissant par s’immoler …
Une cavalière surgit au-delà de la nuit ... |
Evidemment, quand on connaît
Jodorowsky, tout cela se passe dans un fouillis d’allusions, de symboles, d’allégories,
de visions mystiques assez hermétiques au commun des mortels … Et comme l’homme
est de culture hispanique, la religion est au centre de pas mal de séquences. D’une
façon totalement iconoclaste pour ne pas dire mécréante. Les moines otages des
tueurs se vengent de ceux qu’à laissé en vie El Topo en les dégommant à la
mitraillette, les « maîtres » qu’affronte Jodorowsky représentent
plus ou moins des courants de pensée philosophico-religieux, et dans la cité
minière le curé officiel assure sa suprématie morale en organisant des séances
de roulette russe pendant les offices. Figure aussi en bonne place dans les étranges
drapeaux religieux de cette étrange paroisse, le symbole du psychédélisme (un œil
dans un triangle, cf. la pochette du 1er 13th Floor Elevators). Quand
El Topo se fait canarder par ses maîtresses, elles lui infligent les mêmes
blessures que celles du Christ sur la croix … El Topo soigné par les monstres
dans la mine se voit réellement renaître et trouve son destin après une rencontre
avec une vieille femme chaman (une vraie chaman venue tourner cette scène selon
Jodorowsky …)
Rajoutez quelques séquences
totalement absurdes (volontairement), témoin ce rodéo avec des Noirs à la place
des taureaux, Noirs capturés au lasso, marqués au fer rouge et qui finissent
esclaves sexuels de mémères bourgeoises dans la cité minière. On pense bien évidemment
à Fellini, autre spécialiste de l’image choquante et dérangeante, et qui selon
la rumeur (la légende ?) a tourné ses masterpieces des sixties parfois
sous acide …
En conclusion, « El Topo »
est un film qui se regarde en ayant soin de laisser toute forme de logique et
de rationaliste au vestiaire…
Un film à voir, qui ne laisse
pas indifférent …
Houlà!... Pour moi, Jodorowsky, c'est le scénariste de l'Incal dessiné par Moebius. Toute façon, personne n'a jamais fait suite à ses délires. Il voulait faire Dune et puis quoi encore? Sa mère lui a jamais dit de pas jouer avec les médicaments?
RépondreSupprimerJamais vu. Seulement des extraits dans le documentaire sur son projet Dune. Documentaire d'ailleurs très intéressant. Il raconte qu'il voulait recruter les meilleurs, donc il est allé voir le mec des effets spéciaux de 2OO1, Douglas Trumbull, qui a bossé aussi sur Blade Runner et Star Wars. Qui avait pris la grosse tête, se la jouait méga-star. Et le Jodo, avec son producteur qui avait enfin pu caser un rendez-vous, a dit à Trumbull au bout de deux minutes que c'était un con, et s'est barré !!
RépondreSupprimerC'est sûr que Jodo c'est un peu moins "facile" que, au hasard (?) Patrice Leconte. C'est pas toujours forcément mieux d'ailleurs, le type sous ses aspects bcbg de maintenant, est assez compliqué à suivre...
RépondreSupprimerAssez aigri de pas avoir pu faire "Dune", de toutes façons, j'ai l'impression qu'il en a contre tous ceux qui selon lui l'ont empêché de faire les chefs-d'oeuvre qu'il avait dans sa tête ...