ABEL FERRARA - THE KING OF NEW YORK (1990)

 

Série B ...

Ou film culte, comme on veut … Ou les deux … Ou pourrait aussi dire film de blaxploitation, sauf que le héros n’est pas Black et qu’il gagne pas à la fin. En tout cas « The King of New York » est avec son successeur « Bad Lieutenant » ce que Ferrara a fait de mieux.

Abel Ferrara 1990

Ferrara est un cas social hors du commun. Très marqué, pour pas dire traumatisé par l’éducation religieuse (comme Almodovar ou Scorsese), il va s’en éloigner le plus possible dans ses films (le premier sous pseudo est un porno), sans pour autant en renier les fondamentaux symboliques (péché-expiation-rédemption, cette sorte de choses). Les films de Ferrara sont là pour faire flipper le catho de base. Dans « The King of New York » le héros est un ex-taulard, dealer de coke qui assassine de sang-froid concurrents et flics dans une surenchère cataclysmique.

Les histoires de truands qui construisent un empire et finissent par crever de leur orgueil, c’est pas ça qui manque, du « Little Caesar » de Mervyn LeRoy, au « Scarface » de De Palma. Sauf que c’est pas ce genre de films que cite Ferrara pour son inspiration. Il a « vu » son film en sortant d’une projection de … « Terminator ». Même si c’est dit en termes diplomatiques, il pense que si pareille couillonade cartonne (l’obsession d’atteindre son but en dégommant tout ce qui s’y oppose), il peut faire aussi bien, voire mieux. Sauf qu’avec son pote depuis le lycée, le scénariste Nicholas St-John, il sont pas vraiment dans le trip post-apocalyptique de Cameron (ou de George Miller). Leur monde, c’est le New York contemporain. Pas le New York de Broadway et de Wall Street, le New York des quartiers glauques (le Bronx), des trafiquants en tout genres, et avec son ascendance italienne, celui du « milieu ».

Christopher Walken

Le Terminator de Ferrara sera Blanc (à double titre, il s’appelle Jack White, inutile de faire une disgression pour la symbolique catho liée au blanc), vient de s’endurcir en zonzon, et entend dès sa sortie devenir le roi de la dope sur la ville. Jack White, c’est Christopher Walken, qui deviendra après ce film un des acteurs fétiches de Ferrara. Plus ou moins dans le trip Brando quand Ferrara le rencontre (empâté, manteaux de fourrure, et jamais loin d’une quille de vin rouge), Walken va perdre vingt kilos avant le tournage pour jouer cette brute émaciée au regard fou et glaçant. Si Ferrara a son premier rôle, il a pas le fric pour tourner, les circuits de financement « classiques » américains lui ayant tous répondu quand il les a sollicités par un niet aussi poli que ferme et définitif. Ce sont ses connexions italo-américaines qui le mettront en relation avec des Italiens qui aligneront les lires pour que le film se fasse.

Et donc une fois considéré que Walken sera la star du générique, faut compléter avec des seconds couteaux. Et force est de reconnaître que l’Abel a eu le nez plutôt creux. Des seconds rôles seront notamment tenus par Wesley Snipes, Laurence Fishburne, et ont droit à quelques scènes Steve Buscemi ou Harold Perrineau. Bon y’a aussi eu des ratés, qui se souvient et a vu ailleurs Janet Julian (Jennifer, l’avocate et maîtresse de White), répondez pas tous en même temps.

Weley Snipes

Le scénario est ultra basique, ascension et chute d’un caïd de la drogue. Et Ferrara a beau jeu de dire que rien n’est crédible dans son film, les choses ne se passent pas comme ça dans la réalité (les « parrains » ne règlent pas leurs comptes eux-mêmes, ne participent pas aux gunfights punitifs, et un réseau mafieux ne s’écroule pas et ne se contrôle pas avec trois rafales de pistolet mitrailleur).

Ce qui compte pour Ferrara, c’est montrer « sa » ville, New York. Sous son prisme à lui. Walken est à peu près en roue libre, esquisse même quelques pas de danse (sa marotte dès qu’il peut glisser quelques entrechats dans ses films, il aurait préféré être danseur professionnel plutôt qu’acteur), tout le monde en fait des tonnes. N’empêche qu’il y a bel et bien dans « The King … » une « patte » Ferrara. L’art de susciter la tension avant les montées de violence froide (la scène aves Snipes et Buscemi venus conclure un deal avec les Hispanos, le règlement de comptes chez les mafieux ritals, …). L’envie de donner du spectacle (la baston lors de la party-partouze chez White, la course poursuite à la « Bullit » dans les grandes artères newyorkaises, …). La mise en scène d’une esthétique froide (tout ce bleu métallique qui domine dans la gamme chromatique), mais avec des partis-pris visuels forts (les très gros plans sur les visages lors des discussions). Et pourtant Ferrara n’a quasiment pas touché à la caméra. Il « visualisait » les scènes, donnait les ordres aux acteurs et à son caméraman, et partait surveiller tout ça dans le studio vidéo. D’où il ne s’extirpait pas souvent, montant, assemblant, sonorisant quasiment à la volée. D’où une séquence qui a marqué les participants au film, lors de la fête organisée le dernier jour de tournage, des écrans télé diffusaient quasiment dans sa version définitive « The King of New York » dont les dernières prises avaient eu lieu quelques heures auparavant.

Laurence Fishburne

Ferrara n’oublie pas de développer son postulat Bien / Mal. White est totalement amoral, sans aucune pitié ni scrupule (l’assassinat du flic lors de l’enterrement), veut devenir le King d’un monde où règnent luxure et dope. Et en même temps il patronne une soirée de bienfaisance pour récolter des fonds en vue de construire un hôpital pour les enfants. Séquence qui donne l’occasion d’une chanson par le second couteau soul Freddie Jackson. Alors que la bande-son est quasiment exclusivement composée de titres rap ou hip hop (Ferrara est très pote avec le rappeur Schooly D, omniprésent sur la B.O. et dont les connexions avec les bandes des quartiers mal famés où a été tourné le film ont permis à toute l’équipe d’évoluer sans encombre). De ce point de vue, Ferrara innove. Premier Blanc à donner une telle place au rap dans la bande-son, « The King of New York » est sorti moins d’un an après « Do the right thing » (Spike Lee / Public Enemy) et un an avant « Boyz in the hood » (John Singleton / Ice Cube).

Alors il faut voir « The King of New York ». Au moins parce que les dernières scènes (un Walken blessé à mort marchant tel un zombie dans les rues de « sa » ville avant d’aller agoniser à l’arrière d’un taxi cerné par les gyrophares des voitures de police et les flics qui le traquent), doivent rassembler toutes les chapelles de cinéphiles …





2 commentaires:

  1. Ouais, un bon Ferrara, jamais aussi bon que lorsqu'il scrute les bas fonds, de sa ville et/ou de ses personnages. Plus bordélique et moins esthétique que les Scorsese (ils ont un univers en commun, mais moins de fric pour le premier ?), le film a dû en inspirer plus d'un, vu le nombre de scènes qu'on retrouve ici ou là, et généralement plus édulcorées, car Ferrara (à la manière d'un Friedkin) ne filme pas les choses à moitié !

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    1. Moins de fric pour Ferrara ? Yes, budget du King of NY 5 millions de $. Pour les Affranchis sorti la même année, c'est 5 fois plus. ça peut expliquer que Ferrara essaye toujours d'en rajouter, les types se canardent interminablement avant de se toucher, cette surenchère fait partie de ses parti-pris esthétiques ...

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