JACQUES DEMY - LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Chanté sous la pluie ...
Des films musicaux, il a bien dû y en avoir en France avant « Les Parapluies … ». Mais quand on voit que les acteurs-chanteurs de la préhistoire cinématographique par ici c’étaient Maurice Chevalier et l’improbable Fernandel, je préfère ne rien avoir vu de tout çà.
Demy, c’est différent. Il fait en gros partie de la Nouvelle Vague, et son inspiration artistique vient de tous les musicals américains, où là, depuis l’avènement du parlant, il y a quand même eu du lourd. Des chansons chorégraphiées par Busby Berkeley dont une seule vaut l’intégrale des clips de Miley Cyrus et consœurs, en passant par les superstars Astaire et Kelly, jusqu’au récent remake version gangs newyorkais de Roméo et Juliette par le génial touche-à tout Robert Wise, Demy avait de sacrés challenges à relever.
Deneuve, Castelnuovo & Demy
Non content de se lancer dans un genre peu prisé par ici, il va pousser le bouchon encore plus loin en faisant des « Parapluies … » un film dont tous les dialogues seront chantés. Une entreprise un peu folle, surtout qu’il faut faire doubler tous les acteurs par de vrais chanteurs (quiconque a en mémoire les « chansons » interprétées par Deneuve, qu’elles soient de Gainsbourg ou de Malcolm McLaren, mesure l’ampleur de la tâche qui attendait Demy). Résultat logique des courses, alors que comme tout le monde (enfin, ceux de la Nouvelle Vague), il se tourne vers de Beauregard pour le financement, il va se faire rembarrer par ce dernier et ne trouvera son salut que dans les (moins nombreuses) pépettes de la productrice Mag Bodard qui se lance quasiment dans le métier à cette occasion.
« Les Parapluies de Cherbourg » multipliera les paradoxes. Pour commencer celui d’un film totalement désuet lors de sa parution (un mélo provincial chanté avec des personnages qui semblent sortir des romans courtois du Moyen-Age), et qui ne prendra pas une ride, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps.
La Reine Deneuve
Paradoxe également d’un film totalement kitsch (‘tain, ces décors font vraiment mal aux yeux, genre maison de poupées) et politiquement contemporain (la guerre d’Algérie et ses conséquences humaines et sociales). Rappelons qu’on était en plein gaullisme triomphant, arrogant et méprisant (les « veaux » de De Gaulle valent bien les « casse-toi pauv’ con » ou les « sans-dents »), maintenant la France sous une chape de plomb, avec un général au pouvoir, un ministère de l’Information (sous-entendu de la censure). Rappelons pour en rester dans le domaine cinématographique que « Les sentiers de la gloire » fut interdit suite à des « pressions diplomatiques » pendant vingt ans, sans parler de « La bataille d’Alger ». Rappelons aussi que c’est de cette époque et des pantins qui nous gouvernaient dont « l’écrivain » Zemmour (philosophe de comptoir, penseur de chiottes, historien de cour de récréation et sociologue de club de vacances), est nostalgique. Tout çà pour dire qu’en 1964, coller à l’actualité est plus que rare, et le traumatisme durera des siècles (alors que les Ricains par exemple sont totalement décomplexés par leur Histoire récente et pas toujours glamour, et n’hésitent pas à la mettre en scène, les Français à de très rares exceptions ne le font pas de la leur, et à plus forte raison si elle a moins de cent ans). Tout ça pour dire que « Les Parapluies … » est aussi un film politique … subtil, raison pour laquelle il a évité les coups de ciseaux …
Paradoxe d’une distribution de quatrièmes couteaux dont sortira Catherine Deneuve, l’une des plus grandes, si ce n’est notre plus grande actrice, qui crève l’écran du haut de ses vingt ans, et qui vieillit quand même nettement mieux que sa quasi contemporaine Bardot. Et qui doit faire face dans « Les Parapluies … » à des comédiens que pour être gentil on qualifiera de très moyens.
Autre paradoxe, ce film qu’aujourd’hui on qualifierait d’indépendant, et qui est par moments de façon un peu trop voyante une publicité pour Esso. Certes les pétroliers ont du mettre quelques biftons dans la prod, mais Castelnuovo (le premier amoureux de Deneuve-Geneviève dans le film), travaille dans un garage de la marque avant l’armée, y revient à son retour, s’installe à son compte sous leur enseigne, et son fils  vers la fin joue du tambour sur un bidon … Esso. Ca fait beaucoup …
Vernon & Deneuve
L’histoire des « Parapluies … » est pour l’époque subversive en bien des points. Une jeune mijaurée se fait mettre en cloque avant de se marier, et une fois la fille de cette union née, épouse un riche bellâtre falot, se désintéressant de son premier amour qui ne l’a pas oubliée. Et celui-ci, soldat plus ou moins valeureux (même si le contenu de ses lettres n’est pas vraiment un modèle de patriotisme), quand il revient d’Algérie, sombre dans la bibine, envoie chier son patron, et fréquente les bars à putes. Tout ça vingt cinq ans avant « Né un 4 Juillet » d’Oliver Stone …
« Les Parapluies … » est un film fauché. Qui ne s’en cache pas, ce qui le rend encore plus sympathique. Les contrastes sont voulus et exacerbés par Demy (comment pourrait-il en être autrement), entre les couleurs vives et criardes des intérieurs et l’aspect pisseux des rares scènes filmées en extérieur (y’a des excuses, on est à Cherbourg, c’est la Bretagne en pire)… Parce que Demy a, sinon du talent, au moins de bonnes idées, et on s’en rend compte dans la première scène qui voit défiler le générique, avec ce plan en plongée sur ce parapluies qui se hâtent sous l’averse.  En plus d’avoir des idées, Demy a aussi de la suite dans celles-ci. « Les Parapluies … » est pour lui le second volet d’une trilogie commencée avec « Lola » (évoquée par le bellâtre Marc Michel comme son premier amour, et par un court plan d’une cour intérieure où ont lieu des scènes déterminantes de ce premier film). Le troisième volet sera l’oublié « Model shop » (et non pas comme beaucoup le croient « Les demoiselles de Rochefort »). Tiens, et tant qu’à vouloir faire mon malin, on a souvent affirmé que « Les parapluies … » se démarquait de toute influence des autres films musicaux déjà parus. Il y a quand même une scène, filmée en plongée, quand Deneuve se fraye un passage parmi les danseurs du Carnaval, qui me semble un copier-coller parfait d’une de « Orfeu Negro » de Marcel Camus …
Deneuve & Michel
Et pour en finir, puisque « Les Parapluies … » est un film musical, deux mots sur la musique. Signée du suffisant Michel Legrand. A force d’entendre dire à droite et à gauche qu’il était génial, il a fini par le croire et c’est devenu une évidence. Bon, moi il m’a toujours gavé avec ses ritournelles molles, et celles des « Parapluies … » risquent pas de me faire changer d’avis. On craint même au début avec le premier morceau de devoir se fader un truc genre big band de jazz. En fait non, le gimmick suprême du film, c’est de répéter ad nauseam le leitmotiv d’une unique phrase musicale, plutôt mignonne, mais assez loin de Mozart ou Chopin … D’un autre côté, les pointures françaises de musiques de film, on les cherche encore (qui a dit Eric Serra ?)…
Curieusement, alors qu’à partir des années soixante le film musical disparaît quasiment des écrans (sauf à Bollywood), Demy va obtenir l’autre succès de sa carrière avec « Les Demoiselles de Rochefort ». Encore un autre paradoxe qui touche à la carrière de ce grand artisan quelquefois oublié du cinéma des 60’s.
Conclusion : « Les Parapluies de Cherbourg » c’est bien, voire plus, mais ça vaut pas « Saturday night fever » …


7 commentaires:

  1. Moi aussi ça m'a tué quand j'ai appris (à l’occasion de "Peau d'Ane") que Catherine Deneuve ne chantait pas (la recette de cake...). Un mythe s'effondre. T'es vache, elle n'a pas le même âge que BB...

    Les parapluies, je n'ai pas vu ça depuis longtemps. Mais Jacques Demy c'est tout de même un phénomène. On parle de la Nouvelle vague, et à chaque on dit : JP Melville, bon, c'est un peu à part... Resnais, c'est un peu à part... Rohmer, oui mais c'est un peu à part... Demy, oui mais...
    C'est ça qui m'épate, moi, qu'il y ait eu autant de caractères, de styles, de visions différentes, dans un groupe issu de la même génération, qui se connaissait et travaillait ensemble. Et Demy, est reconnaissable entre tous.

    Tiens, dans la bande annonce que tu as mise, y'a un plan de rue, un carnaval... Souviens-toi du début de "Les Enfants du Paradis"... Ca ressemble drôlement !

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    1. Elle est plus jeune Deneuve, et surtout elle dit moins de conneries ...

      Demy, il me semble qu'il se singularise dans les films musicaux (surtout les parapluies ou les demoiselles de Rochefort, Une chambre en ville je l'ai vu qu'une fois, je m'en souviens plus) avec leur côté ultra-kitsch qui te saute à la figure ... Par contre, Lola, sorti avant les Parapluies, c'est beaucoup plus du classic cinéma sur le thème de la femme fatale cher au cinoche ricain ...

      Pour me souvenir du début des Enfants du paradis, faudrait que le revoie ...putain d’Alzheimer ...

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  2. J'aime pas Demy. Je respecte, suis pas fou, c'est évident que c'est un cinéaste, mais j'aime pas. Ca me gonfle. Et pourtant j'aime bien Legrand (même si ouais, suffisant c'est le mot). En tout cas le petit rappel contextuel est assez cool. Ouais, tout n'était pas mieux avant, mais alors vraiment pas. Une grande pointure française en BO ? Ben si, l'autre-là dont le nom m'échappe, qui en fait trois par ans à Hollywood (du coup ça finit par dérouler au kilomètre, mais bon)... Merde, vais pas me souvenir... En tout cas il est vraiment bon quand il veut.
    Bon ben Happy Xmas motha aussi. (même si moi Noël, ça me déprime, comme tu le verras si jamais tu passes sur GoD le 24)

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    1. Çà doit être Alexandre Desplat, abonné à Jacques Audiard qui se tartine aux States des The Tree Of Life, Benjamin Button, Ghost Writer, Argo ou autre Zero Dark Thirty...Même âge et même ascendance grecque que moi...un bon...enfin, il a réussi lui...

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    2. Gagné. Il en fait trop mais c'est souvent pas mal.

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    3. J'ai vu sur GOD, je te lis, mais comme tu causes de disques qui existent pas, j'ai pas grand-chose à dire ... puis c'est hyper-sérieux, y'a des mecs qui mettent des notes, et tout et tout, qui semblent eux aussi connaître des skeuds qu'existent pas ...

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    4. C'est vrai que si il y a un truc qui caractérise GoD, c'est bien son esprit de sérieux.;) En plus je veux pas dire, mais si je survis à cette fin d'année, possible que je cause de jazz en 2015. Takavoir !
      Bonnes fêtes à toi en tout cas, autant que faire se peut (moi j'aime pas la période, t'auras compris).

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