NICK CAVE & THE BAD SEEDS - NO MORE SHALL WE PART (2001)

 

Sad songs ...

Au bout de presque soixante-dix ans de rock, combien sont ceux qui se peuvent se vanter d’avoir laissé une œuvre irréprochable ? Déjà, pour qu’on parle d’œuvre, faut être vieux ou au moins plus très jeune et avoir sorti pas mal de disques. Nick Cave a quasiment l’âge du rock, et une vingtaine de rondelles (trois avec Birthday Party, les autres avec les Bad Seeds) à son actif, sans compter quelques projets « récréatifs » (Grinderman …) … et puisqu’on commence à employer des termes de bilan comptable, rien à son passif … Bon, je veux pas dire par là que tous ses disques sont absolument parfaits de la première à la dernière plage, mais j’ai beau chercher, je vois pas qui d’autre n’a pas fait quelque galette chelou (voire plusieurs), n’a pas traversé quelques déserts à l’inspiration aride, n’a pas fini par s’auto plagier ou s’auto caricaturer … Et là, je parle que des plus grands, des plus célèbres … Je vais pas balancer de noms, mais on peut tous les mettre dans une case (ou plusieurs) …

Nick Cave, Bad Seeds & Mc Garrigle Sisters

Et pourtant Nick Cave n’a pas inventé une formule, à laquelle il s’accrocherait depuis des lustres. Ecoutez Birthday Party, et puis son dernier à ce jour, « Ghosteen », et montrez-moi les points communs musicaux … Aucun … alors les fâcheux qui disent que Cave (parce que ce soit Birthday Party ou les Bad Seeds, c’est Cave le chef, l’auteur quasi sans partage et le chanteur exclusif de ses projets musicaux), c’est toujours pareil, ben, no comment … parce que oui, on n’est pas obligé d’aller glisser un titre de reggae, de funk, de rock celtique, de techno ou de zumba ou que sais-je pour montrer qu’on est inspiré ou dans l’air du temps …

Cave a une voix et une présence vocale. Une voix grave, de baryton, à la Johnny Cash … et le countryman n’apparaît pas par hasard, c’est une des références de Cale, et pas seulement par le registre vocal ou l’appétence pour les fringues noires, mais par les thématiques abordées. Ils regardent tous les deux la mort en face et la chantent souvent, la religion tient une grande place chez eux, bien qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Mais en plus, Cave écrit … des bouquins, mais aussi des chansons. C’est ici qu’il convient de glisser l’allusion à Bob Dylan, autre grosse influence de Cave. Mais à la différence du Nobel de littérature Cave est aussi un performer sur scène, où il se plaît à triturer sa grande carcasse efflanquée (esprit d’Antonin Artaud, es-tu là …), sans parler des prestations « dangereuses » à la Iggy Pop de ses débuts …

Nick Cave 2001

Je vais pas jouer les encyclopédistes, les disques de Cave je les ai pas tous (une moitié à la louche, et je suis pas sûr d’avoir écouté tous les autres), mais c’est un panier dans lequel on peut puiser les yeux fermés sans risque d’être déçu … d’ailleurs, selon à qui on a affaire, il n’y a aucun consensus pour désigner le meilleur disque de Nick Cave (si ça vous intéresse, pour moi c’est « Tender Prey » à la fin des 80’s), quasiment chacune de ses rondelles a ses fervents partisans …

Alors ce « No more … », tu vas en causer ou quoi ? Voilà, voilà … On va dire qu’il est caractéristique de sa période « apaisée ». Entendez par là que Cave met de côté l’électricité rageuse et stridente qui était une marque de famille de ses débuts. Seuls le final de « Fifteen feel of pure » et « Sorrowful life » envoient la sauce, mais à l’issue d’un crescendo pour le premier, et d’un break pour le second. Nick Cave n’est plus dans le truc rock’n’roll-punk. Par contre, tous les titres sont construits autour d’une mélodie au piano, instrument omniprésent sur ce disque. Et c’est Cave qui en joue. Les mélodies sont épurées mais travaillées (on n’est pas Chez Lang Lang, ni chez Elton John d’ailleurs).

Autour du piano et de la voix de Cave, les usual suspects habituels, les Bad Seeds. Dont on a l’impression que ce sont les mêmes types depuis un éternité … ben non, on passe en général beaucoup de temps dans les Bad Seeds, mais on finit par en partir. Ici, les anciens historiques Mick Harvey et Blixa Bargeld seront bientôt sur le départ, Warren Ellis et Jim Sclavunos font quasiment figure de bleubites, alors que Thomas Wilder et Conway Savage, rarement cités comme des rouages essentiels seront finalement ceux qui auront passé le plus de temps au sein du groupe. Les Bad Seeds ne sont pas seuls derrière Cave sur ce disque. Des cordes classiques sont présentes sur de nombreux titres et les sœurs Mc Garrigle viennent en renfort aux backing vocaux. Ce qui au total fait du monde … mais tous restent discrets, quasiment effacés (par exemple les frangines folkeuses ne se font vraiment remarquer que sur le final de « Hallelujah » où leurs voix à l’unisson finissent par se substituer à celle de Cave…). Tout le monde est au service des titres et de la vision qu’en a son auteur, pas d’ego surdimensionné chez ces gens-là … Et pas non plus d’ego chez Nick Cave, « No more … », on dirait un disque solo qui se cache derrière un groupe, et c’est une tendance qui ne fera que se renforcer avec les parutions suivantes, mais Nick Cave a besoin d’être accompagné dans tous les sens du terme.

Live 2001

Ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici doivent se poser une question : du piano et une grosse voix grave en avant, y’a déjà un autre rachitique longiligne qui fait ça, il s’appelle Tom Waits. Oui, M’sieur, bien vu, mais les univers n’ont rien à voir. Waits, c’est le type bourré, le pif dans le verre, qui raconte des histoires à son voisin de comptoir. Cave, c’est le toxico en voie de sevrage qui raconte ses combats intérieurs entre Bien et Mal à son psy … Et le plus dépressif des deux n’est pas celui que l’on croit …

Alors les titres de ce « No more … » égrènent les peurs (de la mort, de la souffrance, de la solitude, …) mais de façon onirique, elliptique (Nick Cave et Robert Smith ont bien des points communs, et pas seulement par le fait de l’étiquette gothique de leurs débuts). « No more … » est un bloc homogène. Les titres sont longs (presque une heure dix pour douze morceaux), il y a incontestablement une unité de ton et musicale. Mais plus que jumeaux, les titres sont cousins. Certains sont plus épurés (quasiment piano-voix comme « Love letter »), d’autres donnent l’impression d’être surchargés (« Oh my Lord »), les plus « noirs » sont pour le final (« Gates to the garden », « Darker with the day »). Difficile de trouver des morceaux faibles, et tout autant d’en trouver qui se détachent du lot. Ceux que je préfère sont l’introductif « As I sat sadly by her side » qui donne le ton de tout ce qui va suivre, « Hallelujah » (pas celui de Leonard Cohen), avec ses couplets en forme de prière et son refrain en forme de prière, et « God in the house « (à rapprocher du « With God on his side » de Dylan ?), qui nous sert la plus belle mélodie du disque …

Un indispensable de plus de Nick Cave, et un indispensable tout court …


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5 commentaires:

  1. Connais pas ce disque. Je pars écouter...

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  2. C'est pas le truc le plus drôle que j'ai écouté dans ma vie, mais certainement un des plus beaux. Mention spéciale pour " Fifteen feet" "Halleluah" "Oh my lord"... Il y a des parties de piano très belles. Un peu longuet tout de même sur la fin. On ne lui demande pas des tempos à la Jerry Lee Lewis, mais tout de même.

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    1. Ce d'Hallelujah c'est peut-être même mieux que le même titre de Leonard Cohen ou sa reprise par Jeff Buckley ... La longueur, oui, plus d'une heure, une paire de titres en moins, et ça aurait été encore plus parfait ...

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  3. Hé bé, Thom York à côté il a avalé un clown...

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    1. Nick Cave, y'a pas beaucoup de points commun avec Patrick Sébastien, on est d'accord ... il chouine quand même beaucoup moins le Yorke ...

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