CLINT EASTWOOD - JOSEY WALES HORS-LA LOI (1976)

L'Odyssée de Josey Wales...

Il y a bien sûr le raccourci facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment, comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films, matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood, c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours… Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra lui-même en scène).

Eastwood et western, ça rime. Il a réellement lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable » en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite … Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple » américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains (même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood, touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense classique.
Avec rien de nouveau sous le soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession) sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ...
Une remarque en passant : même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri, il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit (involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard, efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ». Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ...
Au moins deux choses montrent le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche). Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw), mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur, il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande (et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray, dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère, où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda sur son canasson …
Western d’anthologie en tout cas …


Du même sur ce blog :



3 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ce film, tout comme les trois autres westerns qu'il a réalisés. On parle sans cesse du Eastwood-cowboy solitaire, mais il n'en a tourné réellement que 4 ! Et qui à mon sens vont crescendo, "Impitoyable" étant certainement un de ses 4 ou 5 meilleurs films.

    Et davantage que ce personnage de solitaire (presque un fantôme, un esprit, dans "l'Homme des Hautes plaine" ou "Pale Rider") c'est la société des personnages qui l'entoure qui est intéressant. Ici, cette famille recomposée, hétéroclite, dans "L'homme des hautes plaines" cette ville qui vire au fascisme, les "pionniers mystiques de "Pale Rider", "Impitoyable" et cette communauté de femmes, de prostituées, des gens qui à chaque fois en appellent à la loi, la justice. Le personnage d'Eastwood en étant le contre-point, celui que vont choisir ces gens pour acter leur vengeance, leurs différents, parce que c'est la solution la plus simple, celle des armes et de la violence.

    C'est (à mon sens ) ce que racontent les 4 westerns d'Eastwood.

    Bien vu de remarquer aussi l'aspect pince sans rire du personnage, et du film, éléments qu'on retrouve dans les autres.

    Faché avec Sondra Locke, surement, mais il lui a permis de devenir une des rares femmes réalisatrice-productrice... avant la génération des Katheryn Bigelow.

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    1. Jolie analyse des westerns réalisés par Eastwood ... je rajouterai l'aspect justice qu'on fait soi-même (parce qu'on est obligé), c'est aussi la thématique récurrente ... et ambiguë, parce que l'on ne peut pas éviter la projection contemporaine des histoires et des personnages ... et là ressortent immanquablement machisme, sexisme, et nostalgie rétrograde (c'était mieux avant, la justice se faisait ...). Eastwood n'est pas assez con pour faire du premier degré, et semble se complaire sur le fil du rasoir idéologique ... pour ça qu'il me crispe quelques fois ...

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  2. Le thème de la vengeance, de la justice qu'on fait soi même est aussi vieux que le western, pas propre au cinéma d'Eastwood. N'est-ce pas le thème central de "Liberty Valance" ? C'est pour cela, je pense, que beaucoup de réalisateurs ont donné dans le western, le "genre" américain par excellence, parce que les histoires se situent à une époque où les lois n'étaient pas encore établies/respectées partout, une époque de transition. On accepte sans rechigner de voir des types qui se flinguent en pleine ville dans un western, un gars te marche sur les pieds dans un saloon, tu sors ton colt ! C'est assez rare de voir ça dans un polar...
    Le débat est toujours d'actualité, avec l'autorisation du port d'arme, cet amendement qui vient de cette époque, justement, et que les américains ne veulent pas remettre en cause.

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