La décennie prodigieuse de
Godard, c’est celle des années 60, avec sa triplette de chefs-d’œuvre (« A
bout de souffle », « Le mépris », « Pierrot le Fou »).
Et quelques autres, un peu moins célébrés, le plus souvent à juste titre, tant
le prolifique réalisateur donnait parfois l’impression d’être en roue libre
face à son scénario et derrière la caméra. Dont ce « Masculin
Féminin » de 1967.
Le pitch est simple, pour ne
pas dire simpliste. L’histoire raconte la relation entre deux jeunes, Julien
(Jean-Pierre Léaud) et Madeleine (Chantal Goya), et à vrai dire, on a
l’impression que Godard s’en cogne un peu de cette histoire, elle n’est qu’un
prétexte à ses légendaires digressions, et on est même un peu surpris qu’il la
conclue, et en plus d’une façon assez abrupte et inattendue …
Masculin Féminin - Jobert, Goya, Léaud au cinéma |
« Masculin Féminin » est un film typique
de la Nouvelle Vague. Après l’exubérance colorée de « Pierrot le
Fou », Godard revient à un strict noir et blanc en 1/33, filmant souvent
ses acteurs en gros plans serrés, et surtout, voire exclusivement le visage des filles lors des scènes de dialogue.
Le choix de Léaud pour le rôle principal n’est évidemment pas innocent, il y
joue à quelque chose près « son » rôle d’Antoine Doinel, adulescent
existentiel et désabusé (d’ailleurs Julien se fait passer pour le général
Doinel lors d’une scène-gag vers la fin du film). Léaud – Julien vient de finir
son service militaire, réalise occasionnellement des sondages pour l’IFOP, son
meilleur copain est un syndicaliste CGT, et Julien tombe plus ou moins amoureux
de Madeleine, employée dans un magazine pour ados et qui rêve de devenir
chanteuse yé-yé à succès.
Le film se passe
dans Paris, avec en toile de fond l’élection présidentielle de 1965. A travers
cette trame, Godard se livre à une mise en abyme de ses préoccupations en
matière sociétale. Ici la politique et le sexe sont au centre des discussions.
Godard n’y allant pas avec le dos de la cuillère, les censeurs de l’époque ne
trouvèrent rien de mieux à faire que d’interdire à sa sortie le film aux moins
de dix-huit ans. Sous prétexte que l’on y parlait de moyens contraceptifs,
d’amour tarifé, que l’on y voyait deux hommes s’embrasser dans les chiottes
d’un cinéma, Julien et deux femmes (tous en pyjama) dans le même lit, et une
étrange relation quasi sado-maso dans un film dans le film … Aujourd’hui, y’a
vraiment pas de quoi intéresser le fan de base des productions Marc Dorcel,
mais cela traduit bien le puritanisme exacerbé des années 60, et la farouche
volonté transgressive de Godard.
Masculin Féminin - Symboles ou clichés ? |
Qui évidemment ne se prive pas de livrer quelques
sentences et aphorismes de son cru, souvent affichés plein écran (le film est
divisé en 15 chapitres), la plus célèbre étant « Ce film aurait pu
s’appeler : Les enfants de Marx et de Coca Cola ». Mais aussi quelques dialogues croustillants : « Y’a plus de papier dans les
chiottes ? – Prenez le Figaro sur la commode ! » ... Godard se veut aiguillon d’une rébellion-révolte-révolution dont la jeunesse
serait l’épicentre. Il s’en prend à l’impérialisme américain tant militaire (la
guerre du Vietnam) que culturel. Dans ce domaine, une de ces cibles est Bob Dylan, « accusé » de vendre 10
000 disques par jour. Et le nom de famille de Madeleine, qui préfigure la
Bécassine que deviendra la vraie Chantal Goya, est Zimmer (comprenne qui pourra
ou qui voudra). Godard n’hésite pas à faire se lancer ses personnages dans du
name-dropping pour les ancrer dans la réalité (sont évoqués ou présents sur des
affiches le Bus Palladium, Hallyday, Sylvie Vartan, Alain Barrière, Ronnie
Bird, …). Mais Godard fustige la frivolité de la jeunesse, son insouciance face
à ce que lui pense être les vrais sujets de préoccupation. A ce titre
l’interview d’une Miss de magazine est un moment d’anthologie, et on vient à se
demander si ces répliques surréalistement naïves sont écrites ou naturelles par
la transparente nunuche …
Un film de Godard des années 60
ne serait pas « normal » s’il n’était pas traversé de quelques
personnages lunaires qui apparaissent furtivement dans le champ pour quelques passages
incongrus (le gars qui cherche le Palais des Sports, la femme qui flingue son
mari à la sortie du bistrot, le jeune loubard qui se fait hara-kiri, l’opposant
au Vietnam qui s’immole hors-champ). Même Brigitte Bardot y va de sa courte
apparition (1’30) dans à peu-près son propre rôle d’actrice répétant une pièce
de théâtre. Tiens, au rayon pin-ups de l’époque, on aperçoit quelques secondes
Françoise Hardy sortant d’une limousine américaine que vont taguer Julien et
son pote …
Masculin Feminin - Bardot, figurante de luxe |
Godard est en colère contre
cette jeunesse amorphe et lobotomisée, que l’activisme politique ne
« sauve » même pas (voir la scène où Robert, le copain syndicaliste
d’Antoine, tente maladroitement de séduire Catherine-Isabelle, l’amie de Madeleine).
En fait Godard, malgré tous ses efforts ne comprend pas grand-chose à la
jeunesse (une jeunesse qu’il voudrait révolutionnaire et qu’il montre sombrant
dans les futilités yé-yés), ni à ses aspirations. Il y a un monde entre ce
réalisateur de trente cinq ans et ceux qui ont quinze ans de moins que lui, et
on sent que ça l’énerve. Et finalement, il finit par donner une image somme
toute convenue, limite réactionnaire et mysogine d’une génération qu’au fond de
lui il semble mépriser pour sa nonchalance. Godard se montre particulièrement
dur avec ses personnages féminins, transparents et sans relief (l’indécision
finale de Madeleine, le rôle peu valorisant confié à l’autre débutante Marlène
Jobert, la séquence avec la fille dans le photomaton …)
« Masculin Féminin »
plus qu’un film sur la jeunesse se révèle finalement plutôt un film à charge
contre la jeunesse. Godard est trop dans son monde, trop dans sa tour d’ivoire,
et commence à traduire son asociabilité de génial réalisateur qui deviendra finalement
récurrente chez lui …
Du même sur ce blog :
Du même sur ce blog :
Ça ce sont de "vrais" réalisateur et acteurs, alors ? La "nouvelle vague", je la préfère en musique...
RépondreSupprimerT'avais une chance sur deux de surfer sur la mauvaise ... c'est fait ...
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RépondreSupprimerPas vu celui-ci. J'en ai acheté 4 pour 1 euro (sic), trouvés en bas de rayon d'un supermarché... mais je ne crois pas qu'il soit dans la liste. La participation de Léaud aux films de Godard n'a fait qu'accélérer la mésentente entre lui et Truffaut. Finalement, je crois que Léaud a plus tourné avec Godard. Il a surtout beaucoup travaillé avec lui, comme assistant, ou à la régie. C'était sa chose... En plus, je soupçonne Godard de savoir que ça emmerdait Truffaut... Léaud aurait fait tout et n'importe quoi pour JLG, même se faire exploiter, et Truffaut avait compris que le comédien n'aurait rien à gagner à fréquenter Godard, à tourner pour lui, dans des films de plus en plus extrêmes. Ils se sont disputés leur fils spirituel à tous les deux !
Je crois qu'à cette époque de la carrière de Godard, pas un réalisateur n'a su capter l'air du temps avec autant de justesse. Certes, la Nouvelle Vague entière était tournée vers cette jeunesse, mais Godard partait souvent de sujets sociologiques, d'articles (tiens, comme Dylan pour ses premières chansons perso... c'est sans doute pour cela qu'il le dézingue, on ne peut pas être deux sur le même podium...) qu'il scénarisait vaguement ensuite. Et c'est pourquoi la plupart de ses films d'avant "la Chinoise" garde une fraicheur incroyable, une insolence...
Chapeau pour cette chronique.
Je crois bien que Masculin - féminin c'est le premier Godard / Léaud, et qu'il y en a eu un paquet après ... Je connaissais pas cette concurrence / rivalité Truffaut - Godard ...
SupprimerConcernant Dylan, c'est juste une paire de répliques qui lui sont consacrées dans le film, et comme c'est le cégétiste qui parle (admirativement, certes, mais Godard le montre comme un communiste "faible") des chiffres de vente, j'ai vu ça comme un reproche, la vente au "système" des idées subversives beatniks ...
En fait t'en sais beaucoup plus que moi sur Godard et sur cette période et sur le cinéma en général, mon seul mérite c'est d'avoir vu ce film ...
Mais c'est les Cahiers ici ma parole.
RépondreSupprimerCette remarque, tu pourras t'en resservir pour le prochain ...
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