JANE'S ADDICTION - NOTHING'S SHOCKING (1988)


Addictif

A sa sortie, ce disque est passé relativement inaperçu. Faut dire qu’il tombait assez mal. Dans le grand supermarché du rock, au rayon heavy, les Guns’n’Roses vendaient des disques par millions, écrasant toute velléité de concurrence. Même si Jane’s Addiction et les Gunners ne sont pas vraiment concurrents.
Certes ils viennent tous les deux de Los Angeles et du hard-rock des seventies, mais les similitudes s’arrêtent là. Ils deviendront même incompatibles parmi ceux qui les citent comme références. Autant les Guns ne sont finalement que le dernier stade de dégénérescence d’un show-biz à l’américaine ultra-prévisible, autant Jane’s Addiction va devenir, sans l’avoir vraiment cherché ou provoqué, le porte-drapeau de tous ceux qui veulent faire du rock fort en gueule, mais rejettent tout son côté strass et paillettes. Autant les premiers seront débinés par les tenants du tsunami grunge et du rock indie en général (qui ont oublié au passage que « Appetite for destruction » est un disque colossal), autant le groupe de Perry Farrell deviendra le symbole d’un rock dur intransigeant et intègre.
Un peu à leur corps défendant, ils n’avaient rien au départ de porte-drapeaux de quoi que ce soit. Il s’est toujours dégagé de ce groupe des vibrations malsaines, dérangeantes. Ils ont toujours fait se côtoyer des agressions frontales classiques, basiques, avec des titres plus sournois, plus retors, et ont toujours préféré le choc des mots et des photos au boucan des Marshall.
Jane’s Addiction, c’est pourtant nettement la famille hard. Mais la section rythmique s’éloigne souvent des sentiers battus et des chemins balisés du genre. Perry Farrell est un chanteur atypique, il n’a pas la voix des ténors chevelus qui ont fait la légende du rock lourd, et cultive un aspect physique androgyne loin des clichés machos de mise. Quant à Dave Navarro, c’est tout simplement le dernier guitar-hero, caractériel misanthrope et défoncé, débiné par beaucoup (et notamment les fans des souvent pénibles Red Hot Chili Peppers), mais qui laisse une trace définitive sur tous les titres … une sorte de Ritchie Blackmore version années 90 …
Tout ce côté atypique de Jane’s Addiction, on le découvre d’entrée. Alors que n’importe qui essaie avec le premier titre d’accrocher l’oreille de l’auditeur, on a ici un quasi instrumental tendu comme un string de bimbo, la voix de Farrell est filtrée, et Navarro se signale déjà à l’attention de ses contemporains par quelques descentes de manche tarabiscotées. Par la suite, ça s’arrange pour ceux qui aiment le boucan, « Ocean size » et « Had a Dad » (le premier zeppelinien en diable, le second heavy bien saignant), ont de quoi contenter le headbanger de base. Et de nouveau les Jane’s Addiction surprennent leur monde, embrayant sur le titre le plus long du disque, « Ted, just admit it … », sorte de planerie psyché et mystique, adressée à un serial-killer, avec un Farrell qui se pose en conscience des victimes. On est quand même assez loin des odes célébrant les gonzesses, les bagnoles et la picole de la plupart des concurrents.
Ce sont d’ailleurs ces digressions sonores, et ces écarts aux « fondamentaux » littéraires du hard qui font de Jane’s Addiction un groupe totalement à part dans son époque. Attention, ils ne font pas n’importe quoi pour autant (enfin, si, il y a un titre heureusement très court de swing jazz vers la fin), on sent bien qu’ils ont écouté et pas qu’une fois l’intégrale de Led Zeppelin, et à ce titre « Standing in the shower … » est le « Stairway du heaven » de ce disque, du moins par sa construction. Musicalement aussi, on s’éloigne des sentiers archi-battus du genre, un morceau comme « Janes says », tant par son titre que par son côté acoustique, faisant inévitablement penser au Velvet Underground. Une seule réserve, « Idiots rule », funk-rock (avec même des cuivres) à la Red Hot Chili Peppers n’est pas réellement convaincant.
Transgressif, Jane’s Addiction ne l’est pas seulement par son approche toute particulière du hard-rock, le groupe l’est aussi par des visuels glauques ou dérangeants, comme cette photo de pochette avec ses deux siamoises nues et en flammes, plus encore avec la peinture du suivant (Farrell en train de peloter deux femmes nues), le successful « Ritual de lo habitual ».
Le groupe sera somme toute éphémère, et aura une existence en pointillés avec épisodiquement des reformations (le dernière en date cette année ne semble pas faire l’unanimité). Il faut dire qu’entre-temps Farrell sera très occupé avec le festival indie, crossover et itinérant qu’il a monté (Lollapalooza), tandis que de son côté Navarro, entre disques solos inégaux et participations diverses (l’excellent « One hot minute », disque et tournée avec les RHCP, étant la plus connue et allez savoir pourquoi, également la plus controversée), fera beaucoup parler, pas toujours en bien …


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2 commentaires:

  1. Ah, la tu parles enfin ziq !!
    Faudra que je m'achète Ritual de lo habitual" quand même un de ces quatres. "Been Caught Stealin'" quoi, merde !

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  2. "Ritual..." est par beaucoup considéré comme leur meilleur. C'est aussi mon avis ...

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