Tout l'univers ...
Non, il ne
sera pas question de l’encyclopédie pour ados vendue au porte à porte et qui
eut son heure de gloire dans les 70’s, mais de l’univers de Tim Burton dont
« Edward aux mains d’argent » est le film le plus emblématique, voire
son meilleur …
Même si le film commence par suivre les pérégrinations d’une vendeuse (excellente Dianne Wiest) à domicile des produits Avon. Elle bosse dans une banlieue et essaye de refourguer sa came à ses voisines. Sans succès. De dépit, alors qu’elle vient de se prendre un nouveau râteau, elle aperçoit dans le rétroviseur le château gothique qui surplombe le quartier et dans lequel personne ne va jamais. Elle décide d’y tenter sa chance, se fraye à pied un passage dans un maquis broussailleux, puis traverse un petit parc magnifique, avec des arbustes en forme d’oiseaux, de dinosaures, de mains, … au milieu de parterres de fleurs. Un aspect paradisiaque qui contraste avec celui délabré et menaçant (ses gargouilles aux sculptures infernales) de la bâtisse. Elle frappe à la lourde porte, personne ne répond, la porte n’est pas fermée, la commerciale s’enhardit, pénètre dans une sorte de ruine emplie de poussière et de toiles d’araignée, arrive jusqu’aux combles éventrés, pour apercevoir une étrange créature apeurée qui semble vivre sur une paillasse. Là, magnifique silhouette filmée à contre-jour, qui s’avance lentement et à son grand effroi la Miss Tupperware voit que cet humain a des lames de ciseaux à la place des mains. Prise de pitié, elle lui propose de l’emmener dans sa maison familiale, et la créature la suit … Le film va nous raconter la vie et les aventures de cet Edward Scissorhands (son nom et le titre du film en V.O.) dans cette famille et cette riante banlieue …
Burton, Ryder, Depp & Elfman |
« Edward … » est un conte. C’est pas moi qui le dit, c’est Tim Burton lui-même lors de son commentaire du film … l’occasion de signaler que Tim Burton est pas volubile, il doit parler en tout et pour tout dix minutes sur l’heure trois-quarts que dure le film, et pour dire des banalités sans grand intérêt ... enfin il s’en sort mieux dans le même exercice que Danny Elfman, auteur de la bande musicale, encore plus taiseux sur une version amputée de tous les dialogues, on a l’impression de voir un film muet en couleurs … Bon, revenons-en au conte de Burton. Tim Burton, c’est le sosie officiel de Robert Smith, sans le rouge à lèvres. Et comme le Curiste en chef, il cultive dans son art un aspect gothique. Le château d’Edward, où se conclura le film est un « vrai » château construit par l’équipe des décorateurs. Il contraste avec la banlieue pavillonnaire qu’il surplombe, et me semble grandement inspiré par celui de Dracula (dans les versions de Todd Browning, de la Hammer ou de Coppola). Et tant qu’à parler des héros de l’imagerie gothique, le Frankenstein interprété par Boris Karloff a, par ses cicatrices sur le visage, servi d’inspiration au look balafré en tous sens d’Edward.
Dianne Wiest & Winona Ryder |
Bien sûr,
Edward va détonner dans cette famille d’adoption : le père, col bleu à
tendance alcoolo, la vendeuse Avon, le petit minot, et sa grande sœur, maquée
par un débile baraqué … Dans ce quartier, un vrai quartier de Floride aux
maisons repeintes de couleurs pastel par l’équipe de Burton, et aux personnages
caricaturaux (la quinqua sexy et allumeuse, la chrétienne fondamentaliste, la
commère obèse, sans oublier maris et marmaille dans la lignée), Edward va
susciter une énorme curiosité. Et fera finalement disjoncter tout le monde,
élément perturbateur dans ce monde formaté et réglé comme du papier à musique
(il me semble bien que ces baraques sans âme et la chorégraphie des voitures
qui amènent ou ramènent du boulot doivent pas mal au grand Jacques Tati). Il
n’aura d’autre choix que de revenir dans son manoir, la populace (hors sa
famille d’adoption) à ses trousses, dans une parabole anti-raciste assez
évidente …
Bon, tout ça pourrait ne servir que de trame à un bon dessin animé (genre auquel Burton s’attaquera avec « L’étrange Noel de Monsieur Jack » et « Coraline »), mais on a affaire à un grand film. Grâce à Tim Burton et à ses deux acteurs principaux, Johnny Depp et Winona Ryder.
Burton avec « Edward … » s’attaque à son quatrième long métrage. Une comédie inspirée par « Le voleur de bicyclette », le navet loufoque « Beetlejuice », une adaptation de Batman foirée malgré un gros casting (Nicholson, Keaton, Basinger) et une B.O. signée Prince, tout cela n’avait pas convaincu grand monde (même si pas mal de gens les ont vus). Burton n’est considéré par personne comme « the next big thing » (à preuve, après les premiers jours d’exploitation, Avon ne mouftera pas, alors que la marque est citée plusieurs fois et ses produits guère à leur avantage, estimant qu’il n’y a pas matière à engager une procédure avec un type catalogué looser). Avec « Edward … » il va placer la barre beaucoup plus haut, faire un bon succès au box-office et devenir un réalisateur culte, certes à l’œuvre assez difficile d’accès, mais un réalisateur bankable. « Edward … » est un film qui multiplie clins d’œil et références. Celles évoquées quelque part plus haut, auxquelles il faut rajouter le second rôle tenu par Vincent Price (le dernier rescapé des vieux de la vieille des antiques films d’horreur, ce sera sa dernière apparition devant une caméra) qui joue « l’inventeur » d’Edward, humanoïde inachevé …
Edward, c’est
Johnny Depp, qui porte quasiment le film à bout de bras (ou de ciseaux, comme
on veut). Pas un choix évident, le Johnny était jusqu’alors surtout connu comme
une vedette de série télévisée (« 21 Jump Street »), seul le barré
John Waters venant de lui donner sa chance en tête de distribution dans
« Cry-Baby ». Depp crève l’écran chez Burton, et deviendra d’ailleurs
un de ses acteurs fétiches. Totalement décalé par rapport au monde qui
l’entoure, beaucoup de sentiments, de réactions passent par ses yeux le plus
souvent ahuris. Johnny Depp montre dans ce film qu’il est un grand acteur,
perception parasitée par ses multiples digressions people qui en ont fait pour
beaucoup de la chair à tabloïd.
Lesquels
tabloïds vont se délecter de la liaison qui sera officialisée pendant le
tournage avec sa partenaire Winona Ryder qui joue, comme d’hab, la gentille
fille de famille (celle qui a « recueilli » Edward), nunuche diaphane
et transparente, belle-fille idéale d’une Amérique aseptisée. Pour être franc,
la Winona ne m’a guère convaincu dans ses films … En tout cas, ce couple
improbable réuni par Burton va se retrouver dans la presse people, qui surtout
avec Depp va trouver un sacré client porteur. Pour l’anecdote, archi-connue, il
se fera tatouer sur le biceps un « Winona forever », qu’il
transformera quelques années plus tard une fois leur séparation actée en un
« Wino forever » (poivrot pour toujours) …
A mon sens
toute la réussite du tient dans ses changements de tons. On passe fluidement de
scènes comiques (le braquage raté, le matelas à eau, la drague lourde des
femmes du quartier, …), à des séquences gothiques (celles tournées dans le
manoir) chargées de drames (le final plutôt gore, la mort de Vincent Price, …).
C’est cet
équilibre a priori détonnant qui fait la qualité et la réussite du film …