Guimauve ou tartiflette ?
Les Platters, c’est « Only you », la putain de chanson de mariage, un des titres les plus connus, joués et repris du monde, avec ses trémolos à l’entame du refrain, sa voix de ténor et ses violons dégoulinants … Bon, aujourd’hui, les cinq Platters présents sur la version originale sont tous morts, mais des Platters continuent de tourner dans le circuit des oldies aux States pour des grabataires en smoking et des mémères à chien-chien.
Mieux, plusieurs formations vocales sont les
Platters. Jamais vraiment un « groupe », plutôt un conglomérat de
tessitures de voix assemblées par un manager, grâce à un subtil (?) montage
juridique, quiconque a un jour fait partie des Platters peut, une fois qu’il a
quitté le groupe « original », tourner avec des comparses sous le nom
de Platters. Ainsi, il paraît qu’à la fin des 80’s, plus d’une demi-douzaine de
formations des Platters tournaient en même temps, et il est arrivé qu’il y en
ait deux à l’affiche le même soir dans la même ville …
Les Platters c’est une formule et une recette pressées
jusqu’au trognon. Au départ (début des 50’s) groupe vocal issu des chorales d’église
comme l’Amérique en comptait des multitudes, ils se professionnaliseront en
rencontrant un manager (véreux, forcément véreux, il signera ou cosignera sans
avoir écrit la moindre note ou le moindre mot un paquet de chansons du groupe),
le dénommé Buck Ram. Après quelques ajustements d’effectif (des types sont
virés, remplacés par d’autres, une chanteuse-choriste est rajoutée) et quelques
galettes gravées dans l’indifférence générale, le jackpot arrive en 1955 avec « Only
you », les Platters profitant alors de l’engouement pour le doo-wop
naissant, même s’ils sont assez éloignés des standards de ce genre. Ils en
laisseront de côté l’aspect festif et joyeux, se contentant de livrer une
palette sonore irréprochable aseptisée … et blanchie. Il est saisissant de
constater que quasi toutes les photos sont trop éclairées, et donc les reflets
de la lumière sur leurs visages en blanchissent fortement le teint … on parle d’une
époque où la ségrégation vivait des jours heureux. Bien évidemment, les chansons
ne véhiculeront rien qui puisse faire ciller qui que ce soit, no sex, no drugs (même
si leur premier chanteur lead s’est fait virer pour consommation de
marie-jeanne), et no rock’n’roll …
Même si, pas cons, ils se raccrocheront à tous les courants musicaux noirs qui fleurissent à l’époque. Les Platters seront gentiment rhythm’n’blues (« Ridin’ on the mainline » avec ses effluves rythmiques louisianaises), tâteront à leur façon de la soul (« Put your hand in the hand » chanté lead par la femme) et inventeront quasiment (involontairement ?) le rythme Tamla Motown (« Headin’ time » en 1956, soit trois ans avant les débuts du label de Berry Gordy). L’âge d’or du groupe durera en gros une poignée d’années (la seconde moitié des années 50) et les verra truster le haut des charts avec les follow-ups de « Only you » (« The great pretender », leur plus gros succès aux States, « Smoke gets in your eyes » pour moi leur meilleur titre), avant de descendre lentement mais sûrement du haut des charts.
Leur style (une irréprochable voix de ténor, celle
de Tony Williams, des chœurs discrets et sirupeux) sera copié durant des
décennies par des formations chorales noires, mais aucune n’obtiendra leur
succès. Leur répertoire (chansons crées ou reprises obscures popularisées pour
la première fois) sera repris maintes fois. Deux de leurs titres finiront plus
tard en haut des hit-parades, « Crying in the chapel » par Elvis
himself et « The great pretender » par Freddy Mercury.
Les Platters ont été (et sont toujours) de dociles
exécutants, les montagnes de dollars qu’ils ont générées n’ont bien évidemment
pas toutes finies dans leurs poches. Témoin cette compilation au packaging
minimaliste (le « livret » est une feuille cartonnée recto-verso),
parue sur un label douteux (Fine Tune, « spécialisé » dans les fonds
de catalogue et « gold collections » de vieilleries). Il n’est même
pas sûr que les versions présentes soient les versions originales, leurs succès
ayant été réenregistrés plusieurs fois par les différentes formations des
Platters …
C’est très bien les Platters … pour un faire un
gentil cadeau à vos grands-parents … quel que soit votre âge …