Nouveau Monde et Ordre Nouveau ...
William Cameron Menzies c’est
un peu le prototype du poissard. Plus gros coup de malchance : c’est en
quelque sorte l’âme damnée de Selznick sur le projet, et un des gars qui a le
plus bossé sur « Autant en emporte le vent », eh bien il a disparu du
générique (c’est pas le seul sur cette affaire-là me direz-vous, mais bon …).
Idem un peu plus tôt sur « La vie future » (« Things to
come » en VO). Celui qui a son nom écrit en gros sur l’affiche, c’est HG
Wells, le plus célèbre écrivain d’anticipation de l’époque (« La machine à
explorer le temps », « L’Île du Docteur Moreau », « l’Homme
invisible », « La guerre des Mondes », …).
« La vie future », c’est le projet totalement délirant et mégalo du producteur anglais d’origine tchèque Alexander Korda et de Wells, lequel s’implique à fond dans le scénario, allant même jusqu’à choisir celui qui sera chargé de la musique (Arthur Bliss, un cador du genre, qui composera une pièce de quatre (!) heures dont seules quelques bribes seront utilisées pour le film). Parce qu’à moment, il a fallu trancher dans le vif, et revenir à quelque chose de « réalisable » (techniquement et financièrement).
WC Menzies |
Le bouquin de Wells (« The
shape of things to come »), paru en 1933, décrit l’évolution de l’Angleterre
(mais pas seulement) de 1940 jusqu’en 2106. Dans le film, l’histoire s’arrête
en 2036. Classique, Wells sera très fâché par la tournure des évènements,
devant ce qu’il estime être un film au rabais de son œuvre …
Le film commence pour le Noel 1940 à Everytown, ville fictive d’Angleterre. Les gens s’affairent à préparer le réveillon, au milieu de placards qui annoncent l’imminence d’une guerre mondiale. Et dans la nuit, les bombardements commencent. Le conflit va durer jusqu’en 1970, deuxième époque de l’histoire. Dans une humanité quasi décimée en proie à une terrible pandémie, toute structure sociale et politique a disparu. Ne subsistent que des systèmes claniques dirigés par des chefs de guerre qui luttent entre eux pour la conquête de territoires ou d’outils technologiques (des avions, de l’essence, …). Atterrit dans la ville à bord d’un avion futuriste une sorte de gourou qui prêche pour un monde scientifique et pacifique. Retenu prisonnier, il sera libéré par ses amis, technologiquement supérieurs au reste de l’humanité. Transposition en 2036 pour la troisième partie dans laquelle un nouveau monde scientifique hégémonique (voire dictatorial) part à la conquête de l’espace.
1940 |
Evidemment, à quelques mois
près, le déclenchement d’un conflit mondial a fort logiquement marqué les
esprits. Même si le régime nazi n’est pas directement évoqué, il est fortement
suggéré (il en restera des traces lors de la période suivante, dans un plan
fugace où on salue le chef de guerre – tyran, en levant et tendant les deux
bras main ouverte). Extrapolation audacieuse mais guère « magique »
au vu de la montée conjointe du Reich et de la capitulation diplomatique du
reste du monde face à Hitler et sa clique … Beaucoup plus intéressante est la
vision des années 70. Quand on voit la situation (la recherche de l’essence, le
virus qui zombifie les infectés, ne laissant le choix aux autres que de les
abattre) et les fringues de rigueur (les armures en haillons, pour faire
simple), on tient là la matrice du 1er Mad Max, du dernier
(« Fury Road »), et de « La nuit des morts-vivants » (mêmes
symptômes, même démarche, même inexpressivité). Miller et Romero doivent avoir
vu « La vie future » …
La dernière partie laisse quelque peu dubitatif. Cette vie future, où savoir, science (et népotisme, on y reviendra) dirigent d’une main de fer le monde pour le bien de tous (selon la formule consacrée), où face à une contestation sociale qui commence à s’amplifier, on envoie en catastrophe un couple (vision allégorique et biblique d’Adam et Eve à la recherche d’un nouveau jardin d’Eden) vers la Lune, cette vie future-là, on sait pas trop quoi en penser, et surtout ce qu’on veut in fine nous montrer, les « effets spéciaux » prenant le pas sur l’histoire elle-même, au milieu de dialogues et de situations confuses…
1970 |
Mais un film, c’est avant tout
des images. Et qu’est-ce qu’on voit dans la vie future ? Visuellement,
c’est un « Metropolis » version british. Menzies à l’origine est chef
décorateur sur les tournages et ça se voit. « La vie future » ne fait
pas son âge, exploite des décors pharaoniques (ou plutôt romains, en 2036 les
types sont habillés en toge et jupettes), des effets spéciaux (la flotte
d’avions futuristes) qui n’ont rien à envier à ce qui se fera à la fin des
années 50 (certains trucages sont trop voyants, on voit bien que ce sont des
maquettes miniatures, mais ça confère une patine poétique à l’ensemble). De ce
côté-là, « La vie future » est réellement en avance sur son temps …
Une fois posé le contexte général, il y a un « héros » dans « La vie future ». Il s’appelle John Cabal, il est en 1940 dubitatif face à la menace de guerre, il pense que la sagesse humaine l’emportera sur les velléités belliqueuses, et on le retrouvera 30 ans plus tard face au chef de guerre (c’est lui qui atterrit avec son avion futuriste), avant de s’apercevoir après sa libération (pacifique, grâce à des gaz anesthésiants) qu’il est le leader de cette espèce de secte-confrérie qui entend amener l’humanité vers justement plus d’humanité. Et dans la dernière partie, c’est son petit-fils Oswald qui est la plus haute autorité de ce monde nouveau (d’où le népotisme). C’est le même acteur, le Canadien Raymond Massey qui joue les deux Cabal, et qui bien qu’ayant participé à quelques classiques dans des seconds rôles, trouvera avec « La vie future » son apparition la plus célèbre. Une remarque : dans les étriqués bonus, Jean-Pierre Dionnet, maître es-cinéma de série B, suggère que le nom du personnage vient de la Kabbale, et de la pseudo-secte qui découle de cette fumisterie mystique.
2036 |
Que retenir de ces visions d’anticipation ?
Des images, des effets spéciaux et des décors grandioses (notamment ceux de la
dernière partie, genre style romain démesuré), font de « La vie future »,
sinon un classique absolu, du moins un film qui compte parmi ceux d’anticipation
de la première moitié du siècle dernier. Des systèmes d’organisation publique
et sociale, qui une fois oubliés les oripeaux fashion des costumes, mettent
tous en filigrane des systèmes totalitaires très hiérarchisées, même si un
semblant de révolte populaire contre les « élites » semble possible
(dernière partie). Et la conclusion n’est guère optimiste, le seul salut semble
être pour la fille Cabal (décidément une affaire de famille) et son compagnon d’aller
rechercher des jours meilleurs sur la Lune …
Remarque : la vraie star
du film ne figure même pas au générique. Il s’est occupé un peu du montage et
fait une apparition en tant que figurant. Son heure de gloire sera tardive
(plus de 50 ans plus tard !) lorsqu’il tournera son dernier film, la
fabuleux « Un poisson nommé Wanda ». Il (pour ceux qui confondent
cinéma et films Marvel) s’appelle Charles Crichton.