Parce que Steppenwolf, ça doit même être écrit dans
les livres d’Histoire au collège, c’est le groupe préféré des motards. Et il y
en a deux, John Kay (qui sur son seul nom fait perdurer Steppenwolf depuis
presque cinquante ans) et Dennis Edmonton (plus connu sous son pseudo de Mars
Bonfire et auteur du titre fétiche), qui peuvent remercier Dennis Hopper
d’avoir mis sur la bande-son de son film « Easy Rider » deux titres
de Steppenwolf, groupe que tout semblait destiner à la troisième division du heavy
psychédélisme américain, à l’ombre des Blue Cheer, Iron Butterfly et autres
Vanilla Fudge …
Tout le monde le sait, les origines de Steppenwolf
sont à chercher du côté de la riante Allemagne de l’Est où naquit John Kay,
avant que sa famille n’émigre au Canada à la fin des années quarante.
Contrairement à certaines légendes urbaines, si John Kay est bien un exilé, son
exil n’a rien de politique, sa famille s’étant retrouvée plus ou moins par
hasard en R.F.A. au gré de déménagements incessants dans une Allemagne en total
chaos après la fin de la guerre … John Kay est un pur produit de la culture
nord-américaine, les seuls liens le rattachant à ses origines teutonnes seront
le nom de son groupe (d’après le bouquin de l’Allemand Hermann Hesse « Le
loup des steppes ») et quelques allusions fugaces à ses origines dans une
paire de chansons …
Comme beaucoup d’ados nord-américains, John Kay joue
dans un college band, qui au gré de changements de personnel, finit par
s’appeler The Sparrows. Le succès n’étant pas exactement au rendez-vous au
Canada, Kay et quelques-uns des membres du groupe décident d’aller en 67 à San
Francisco, là où les choses se passent… Et Steppenwolf est très vite signé par
Dunhill, label qui a du pognon à investir grâce aux succès de son groupe phare,
les Mamas & Papas …
Bizarrement, pour un groupe sans grande expérience, qui
a des origines bluesy et vient de prendre flower power et psychédélisme en
pleine poire, le premier disque mis en chantier (le « Steppenwolf »
dont il est censé être question ici) est plutôt cohérent. Le groupe joue un
rock psychédélique dur, tirant ses influences du rock’n’roll des origines, du
blues et de la soul. Comme tous ceux de son époque, il part parfois dans des
directions « étranges », (même le plus cohérent de tous au niveau
sonore de cette époque, le Zeppelin, glissera un morceau à base de tablas indiennes
sur son premier disque) avec son premier single « A girl I knew » pop
psyché très flower power. Avec le succès que l’on devine … Le second single
sera une reprise musclée du « Sookie, Sookie », petit classique soul
de Don Covay, traité avec force guitares électriques saturées en avant, dans
l’esprit Vanilla Fudge.
Le troisième essai sera le bon. « Born to be
wild », composé par Edmonton / Bonfire du temps des Sparrows (il ne suivra
pas ses potes et son frangin batteur dans la migration californienne) atteint
le haut des charts. Là, ça rigole plus, on rentre dans le tas, riff mémorable,
montée vers des sonorités orientales du refrain, et ladies and gentlemen, pour
la première fois dans les paroles, l’expression « heavy metal ». De
populaire, le titre deviendra mythique et symbolique lorsque l’année suivante
il servira d’accompagnement musical à Peter Fonda et Dennis Hopper roulant sur
leurs Harley customisées dans le film référence de la contre-culture hippie,
« Easy Rider » … Hopper aura le nez creux (et les oreilles fines) en
ajoutant dans la B.O. un second titre issu de ce « Steppenwolf », la
chanson anti-drogue (enfin, anti-dealers) « The Pusher » …
On peut toujours trouver que les Steppenwolf sont plutôt
chanceux. Sauf que si évidemment ils seront réduits pour l’éternité aux
interprètes de « Born to be wild » (à preuve le sticker mentionnant « including
the hit Born to be wild » vite rajouté sur la pochette du disque et qu’on
retrouve des décennies plus tard à l’identique sur quasi toutes les pochettes des
rééditions), l’engouement et le succès qu’ils auront au tournant des seventies
reposeront sur des éléments musicaux concrets, tous déjà présents dans ce
premier disque considéré par beaucoup comme leur meilleur, avec le
« Steppenwolf live ». Parce que ce Loup-là sera une redoutable bête
de scène, porté par la voix, la présence et le charisme de John Kay. Derrière,
il n’y a peut-être rien d’extraordinaire, mais ça assure sans faire dans la
dentelle …
De ce « Steppenwolf », la postérité
retiendra trois classiques du groupe, « Born … », « The Pusher »,
« Sookie, Sookie ». Le reste n’est pas forcément à oublier, témoins le
correct rock stonien « Everybody’s next one », l’hommage-plagiat-décalque
de Chuck Berry (« Berry rides again »). Une reprise d’un des
classiques de Muddy Waters (« Hoochie Coochie Man »), épaisse,
saignante et traversée de solos de guitare est tout à fait caractéristique de
la façon dont est envisagé le blues en cette fin 60’s (on rallonge la durée
initiale, on alourdit le tempo, et on fait admirer sa virtuosité). D’autres
titres sont plus quelconques, (les rhythm’n’blues « Your wall’s too high »
et « Take what you need »), la ballade virile « Desperation »,
ou l’ultime « The Ostrich », le plus expérimental de la rondelle,
avec son tempo hypnotique et semble-t-il l’influence des Doors …
Mais bon, comment envisager une discothèque digne de
ce nom sans « Born to be wild » ?