« Juliette des
esprits » comme son double à peu près siamois et diamétralement opposé qui
l’avait précédé (« Huit et demi »), marque pour les spécialistes du
maestro italien (enfin celui qui donne son avis dans les bonus du Dvd) le
« vrai début » de la carrière de Fellini, entendez par là le Fellini
qui fera parler beaucoup de lui à la sortie de chacun de ses films. Ouais …
sauf que pour moi les vrais chefs-d’œuvre de Fellini sont à chercher avant
« Juliette … ». « La strada », « Les nuit de
Cabiria », « La dolce vita », c’est de la poésie surréaliste
mise en images. Après « Juliette … », ne restent la plupart du temps plus
que le surréalisme et la surenchère dans l’extravagance, adieu la poésie …
enfin, bon, ce que j’en dis …
Fellini 1965 |
« Juliette des
esprits » c’est la plus fabuleuse galerie de portraits mis en scène par
Fellini, servie par une technique irréprochable (pour la première fois il a filmé
en couleurs et en Technicolor, avec un sens du cadrage extraordinaire).
« Juliette … » pour moi c’est un mix entre le Jacques Tati de
« Mon oncle » et le Godard de « Pierrot le Fou » (ce
dernier sorti quasi simultanément). « Juliette … » en met plein les
yeux (les plans, les couleurs, les costumes sublimes de déjante vestimentaire),
et aussi plein les oreilles (la bande-son de Nino Rota est fantastique).
N'importe qui aurait fait du l’histoire
de « Juliette … » un mélo plombant sur la vie d’un couple qui s’essouffle,
la crise de la quarantaine, l’envie d’aller voir ailleurs ? D’ailleurs c’est
pas les mélos plombants qui manquent sur le sujet … Fellini emmène cette
histoire dans un autre monde, et pas seulement parce que la première prise de
conscience de Juliette qu’elle peut vivre dans cet autre monde se passe lors d’une
séance de spiritisme chez elle, à l’occasion de ses quinze ans de mariage,
anniversaire quelque peu saccagé par son mari qui rapplique pour fêter ça avec tout
un tas d’amis étranges et extravagants alors que Juliette avait prévu un dîner
intimiste aux chandelles …
Giulietta Masina |
En fait Juliette
(extraordinaire Giulietta Masina comme toujours chez Fellini, le fait qu’elle
soit sa femme dans la vraie vie expliquant peut-être cela) pour aussi lunaire
qu’elle apparaisse avec ses grands yeux de biche étonnés et son sourire de madone
niaise, est le personnage le plus « normal » de la distribution.
Parce que Fellini a fait fort, pas un personnage principal ou secondaire qui ne
crève pas l’écran par un physique décalé, une attitude extravagante, des
costumes au-delà du réel (mention particulière dans ce registre à Sandra Milo,
Sylva Koscina ou Caterina Boratto qui joue la mère hiératique de Juliette alors
que les deux actrices sont quasiment du même âge).
Comme d’habitude chez Fellini,
le film est irracontable, chaque scène (n’ayant généralement que peu à voir avec
les précédentes et les suivantes) constitue un monde à part entière. Sachez cependant
qu’en plus de l’histoire d’un couple qui se désagrège vraiment, le passé de
Juliette (ses traumas enfantins chez les sœurs), ses visions d’avenir
idylliques (le tombeur espagnol, playboy torero et guitariste gipsy, bonjour
les clichés, faits exprès évidemment),
ses aventures au quotidien (les
vit-elle ou les rêve-t-elle, on ne sait pas toujours, Fellini ayant tendance à
commencer les deux pieds bien ancrés dans le sol pour vous amener en quelques
plans et quelques répliques dans un univers totalement barré), un soupçon de psychodrame,
quelques visions fugitives (1965 oblige) de femmes dénudées, des bateaux à l’équipage
étrange, des visions dignes d’une Rome antique et décadente, ont fait dire à
certains (Fellini lui-même, mais faut-il le croire) que ce film a été tourné
par le maestro italien sous LSD...
Comme dans tout grand film de Fellini,
le sourire, le rire et la franche pantalonnade ne sont jamais très loin, avec
des situations ubuesques, des gestes et des répliques venus d’ailleurs. Tati
voire Buster Keaton avec leur sérieux qui ne devrait pas l’être me semblent des
modèles évidents.
« Juliette des esprits »
n’est pas le meilleur film de Fellini (voir plus haut). Mais il vaut en tout
cas bien mieux que l’indifférence polie dans laquelle on a tendance à l’enfermer
…