Cette chose-là, double vinyle parue en 1975, était depuis
quasi une décennie l’objet des élucubrations, frissons et fantasmes les plus
fous chez tous les fans du petit Bob. Un truc aussi recherché et improbable que
le monstre du Loch Ness. Pensez donc, une ribambelle de titres enregistrés tous
potards de coolitude sur onze par Dylan et ses accompagnateurs de l’époque, The
Band. Et à un moment crucial, à partir de juillet 1966, alors qu’au faîte de
son art et de sa gloire, le ménestrel frisé s’était reclus en pleine
cambrousse, à quelques pas de Woodstock. Soi-disant pour se requinquer après un
accident de Triumph.
Ouais, la vie et l’œuvre de Dylan revisités façon chanson
de geste, si ça fait un peu sourire aujourd’hui, à l’époque c’était une affaire
autrement plus sérieuse. Parce que Dylan, déjà à l’époque, c’était Dylan. Le
nom à balancer lorsqu’il fallait causer choses sérieuses. Sauf que le
wokandwoll c’est toujours mieux quand c’est fait par des gens pas sérieux, et
surtout à cette époque-là. Dans les sixties, Dylan était la chose des intellos
binaires, de tous les ceusses coincés du popotin qui préféraient se prendre le
chou à essayer de comprendre de quoi pouvait-il bien causer et quel était le
sens caché de ses hermétiques sonnets folk. Y’en a même qui ont pondu des
sommes farcies de renvois et d’annotations pour expliquer chacune de ses
chansons. Ce qui doit bien faire marrer Dylan parce qu’à force de tirer sur le
oinj, de renifler des buvards ou des poudres blanches, t’écris des trucs que tu
sais même plus ce que ça veut dire quand par hasard tu te réveilles à jeun, et
puis tu t’aperçois que des décennies plus tard, des rats de bibliothèque
pondent des thèses sur un truc torché en cinq minutes les neurones en vrac …
Déjeuner sur l'herbe : Dylan & The Band |
Où en viens-je avec ce départ cahoteux ? Que comme
pour beaucoup, on a un peu trop exagéré avec Dylan. Oh, pas question de les
minimiser, ni lui ni ses skeuds des sixties qui ont placé la barre à une
hauteur vertigineuse pour la concurrence. Et c’est là le problème. Quand t’es
monté trop haut, tu fais comme Icare, tu te crames les ailes et tu tombes de
haut. Ou de moto. Ce fameux accident (ou pas, d’ailleurs, tant les dylanologues
de tout poil continuent de s’écharper sur son existence même) lui a permis de
se mettre en stanb-by. Parce qu’après avoir livré son triptyque ahurissant
(« Subterranean … – Highway 61… – Blonde … »), ce genre de galettes
indépassables et insurpassables, t’as du mal à enchaîner. Surtout que la
concurrence elle sort pas des trucs dégueus. Beatles, Stones, Doors, Floyd,
Hendrix, et même Presley revonnu on ne sait comment d’une décennie honteuse, j’en
passe et pas des tocards ont relevé le défi et de quelle façon en cette fin des
60’s. Et quand Dylan reviendra avec deux disques inégaux (« John Wesley
Harding » et « Nashville Skyline »), avant le naufrage du début
des 70’s (« Self Portrait »), il ne sera plus dans le coup. Pire, ses
admirateurs-copieurs (Donovan, Cohen, …) auront beaucoup plus de succès que
lui. Humiliation artistique suprême, lorsqu’il sera beaucoup plus intronisé au Rock’n’roll
Hall of Fame, tous ses amis fans (Petty, McGuinn, …) joueront avec lui
« All along the watchtower », mais la version de Hendrix et pas la
sienne d’un de ses rares classiques des late 60’s.
Dylan ne peut pas vivre sans musique, la preuve
aujourd’hui où la septantaine largement entamée, il continue son Neverending
Tour entamé depuis quarante ans, prenant un malin ( ? ) plaisir à
massacrer plus de cent jours par an son répertoire sur scène. Or donc, et j’y
arrive à ces « Basement tapes », le Dylan convalescent de 66 à 68 a
continué d’écrire et d’enregistrer. Avec The Band, cet improbable conglomérat
de Mormons du rock, bouseux rustiques et défoncés jusqu’aux yeux. Mais putains
d’anthropologues et d’historiens de la musique américaine, auteurs sous leur
bannière perso d’une paire de rondelles qui valent ô combien le coup d’oreille.
Là, dans leur bicoque commune de Big Pink, les ploucs et leur gourou ont laissé
tourner les magnétos, enregistrant des mois durant ce qui leur passait par la
tête. Mais avec un leitmotiv, une figure imposée : du roots, toujours du
roots. Certains voient dans ces enregistrements les Tables de la Loi de
l’americana. Ouais, si on veut. En tout cas, tout ce que le monde musical
comptait de fans du petit frisé vénérait ces enregistrements. Qui n’ont pas été
publiés par la Columbia, mais qu’importe les bootlegs pullulaient, ces morceaux
étaient disséqués, commentés et repris par une foultitude de gens. A tel point,
que profitant d’un retour de flamme du Zim (la BO de « Pat Garrett »,
« Blood on the tracks »), sa maison de disques allait livrer en pâture
à des foules consentantes le foutu double vinyle. Evidemment, réaction
orgasmique des fans. Qui comme toujours ont tort.
Ces deux rondelles ne sont pas mauvaises, certes. Mais au
lieu des deux douzaines de titres, la moitié auraient suffi (et dire que y’a
pas très longtemps ils ont réédité ça en je ne sais combien de Cds pleins à la
gueule, y’a des zozos qu’ont du pognon de reste pour se fader les éclats de rire
de Robbie Robertson, les miaulements remastérisés du chat de Levon Helm ou
toutes les scories sonores de cette époque-là).
The Band à Big Pink |
« The basement tapes » en un truc en totale roue
libre, passant du simplet dispensable (des copier-coller en moins bien du Dylan
d’avant, le Band moulinant des rengaines poussives pécores, on sait pas si
Dylan est seulement présent, en tout cas il chante pas sur tous les titres) au morceau
qui te donne envie d’appuyer sur « Replay » à l’infini. Malheureusement,
y’en a pas beaucoup dans ce cas.
Mais des choses comme « Million dollar bash »
(un titre qui aurait pu figurer sur « Blonde … » ou « Blood
… ») représentent la quintessence de Dylan (pas un hasard si ce titre est
dans la compile bizarre « Biograph », assemblée par Dylan lui-même
aux débuts de l’ère Cd). « Tears of rage » est monumental, c’est le «
Whiter shade of pale » de Dylan, le pompiérisme de Procol Harum en moins. « You
ain’t going nowhere » et « Nothing was delivered » sont deux
autres grands titres, et la conclusion est un morceau fort connu, que la troupe
baba Julie Driscoll, Brian Auger & Trinity avaient déjà repris en 1969 avec
succès, l’énorme « This wheel’s on fire ».
Ce qui si on compte bien, fait cinq titres indispensables
sur deux douzaines. Par pas mal de monde, ce serait un super score, quand il
s’agit de Dylan, c’est un peu léger.
Question subsidiaire : comment expliquer que quand
Dylan s’associe avec des groupes très connus (là le Band, plus tard le Grateful
Dead ou les Heartbreakers de Tom Petty), ces gens-là sont toujours moins bons avec
lui que quand ils volent de leurs propres ailes ?
Bon, vous cassez pas la tête, je m’en tape de la réponse …
Du même sur ce blog :
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