Zen, restons zen ...
« Kundun »
n’est pas le genre de film qu’on attend forcément de Scorsese. Venant de lui,
on compte sur des scénarios sanguins et violents, avec des personnages qui le
sont tout autant. Surtout que « Kundun » arrive après
« Casino » et « Les affranchis », classiques de son
réalisateur. Sauf qu’entre-temps il y a eu le calme et quasi contemplatif
« Le temps de l’innocence ».
« Kundun »
serait plutôt à rattacher (plus sur le fond que la forme) à « La dernière
tentation du Christ », résurgence des jeunes années passées par Scorsese
au séminaire, et dont il a gardé un attrait, voire une fascination pour tout ce
qui est religieux et mystique. « Kundun » (du nom du premier
dalaï-lama de l’Histoire) raconte la jeunesse de l’actuel dalaï-lama. Et comme
le type qui s’habille avec les chutes de tissu des tenues des employés de
l’Equipement est une de ces vaches sacrées de notre époque qu’il est interdit
de critiquer, ce mélange de biopic et de film historique est lisse comme une
peau de bébé, respectueux, limite obséquieux. Certes, s’il fallait absolument
choisir, mieux vaut une bande de zozos orange pacifistes, que les inventeurs de
l’Inquisition ou de la charia. Mais les bouddhistes, ça reste quand même juste
une fuckin’ secte (officielle), parole d’athée farouche et féroce dès qu’il
s’agit de religion…
« Kundun »
s’inscrit dans une mode, très prisée de la pseudo « intelligentsia »
du mitan des années 90 visant à une mobilisation favorable à la cause
tibétaine. Cause qui en vaut bien une autre, et le film arrive conjointement à
une série de concerts des gens de la chose « rock » donnés aux
Etats-Unis sous le slogan « Free Tibet » (de l’occupation chinoise),
avec en figure de proue le dalaï-lama. Et si l’idée du film remonte au tout
début des années 90, elle procède bien de la même démarche, et il n’est pas
surprenant que Scorsese, par ailleurs grand fan de rock devant l’éternel ait
apporté sa pierre à l’édifice. Ceci étant, on ne trouvera pas dans la BO de
« Kundun » trace du « Sympathy for the Devil » des Rolling
Stones, c’est un film « sérieux » qui ne mélange pas les genres.
« Kundun »
est une prouesse cinématographique, parce que Scorsese derrière une caméra,
c’est quand même pas rien. Le Tibet a été « reconstruit » aux studios
de Ouarzazate au Maroc grâce à des décors pharaoniques et à quelques retouches
numériques. Le casting est uniquement composé de comédiens non professionnels,
recrutés partout dans le monde et appartenant tous à la communauté tibétaine
exilée. Il était évidemment hors de question de tourner au Tibet, toujours sous
tutelle chinoise, et la mise en route du film a entraîné quelques tensions
diplomatiques entre la Chine et les USA, quelques mesures de rétorsion
économiques de la part de Pékin, une médiation de Kissinger, … la routine de
l’étrange ballet diplomatique quasi-permanent entre ces deux états
hégémoniques.
Visuellement,
« Kundun » est un superbe spectacle, avec des paysages qui n’ont rien
à envier à ceux des grands westerns, tout un tas de costumes étranges qui ne
surprendront pas les lecteurs de « Tintin au Tibet », et des
reconstitutions minutieuses des endroits, des cérémonies et des grands moments
qui ont marqué la jeunesse du dalaï-lama. L’histoire montrée commence en 1937
alors qu’il n’a que deux ans et se termine lors de la « fuite » en
Inde en 1959, après les premières années d’occupation chinoise et les exactions
de son armée … « Kundun » est un film partisan, une hagiographie,
limite un film publicitaire pour la « bonne cause ». On devine bien
que cette religion étrange, qui fait d’un homme vivant une divinité, une sorte
de monarque spirituel à qui tous les égards et toutes les soumissions sont dus
(il y a bien à ses côtés un aréopage de conseillers-précepteurs-ministres, mais
ils doivent s’effacer devant ses desiderata, les intrigues de ces
« courtisans » sont évoquées mais vite éludées). Il convient de préciser
que le dalaï-lama en personne a participé à plusieurs reprises au processus de
création du scénario, et que tout au long de la préparation et du tournage, sa
garde rapprochée de conseillers divers et variés suivait l’équipe du film.
On se
retrouve donc avec une sorte de conte de fées religieux, dans lequel les
« bons » sont très bons et les « méchants » très méchants.
Pas très nuancé, tout ceci. Etrangement, le personnage le plus marquant du film
est pour moi Mao, lors des quelques rencontres qu’il a eues avec le dalaï–lama,
présenté malgré la dureté des ses propos et de sa stratégie, comme un
personnage courtois, séducteur et charmeur … étrange que les consultants
bouddhistes n’aient pas cherché à « noircir » davantage le personnage
…
Il est clair
que c’est le talent de Scorsese qui sauve le film, tirant le maximum des
paysages sauvages, des palais tibétains et des costumes, jouant avec les angles
de prise de vue, promenant sa caméra au milieu des protagonistes, … S’il ne
peut pas glisser quelque vieux rock ou antique blues dans la B.O (confiée à
Philip Glass), Scorsese ne peut s’empêcher de glisser un hommage à Méliès
(prémonitoire de « Hugo Cabret » ?), à travers quelques films
d’époque que regarde un dalaï-lama adolescent. « Kundun » sans
quelqu’un du calibre de Scorsese, aurait ressemblé à un documentaire de Stéphane Bern sur une quelconque tête couronnée de la planète.
Reste que cet
iconoclaste, ce transgresseur de genre qui a commencé sa carrière comme
cameraman à Woodstock et traversé comme ses idoles les 70’s dans un grand nuage
de poudres blanches, a livré là une œuvre qu’on pourrait qualifier « de
commande », ripolinée et sans aspérités, à la gloire d’une personne dont
le but est quand même de retourner exercer sa monarchie théocratique dans son
pays … entre ça ou alors les Chinois, ils sont quand même putain de mal barrés,
les Tibétains …