L'Effet Papillon
Un soir que j’étais à me morfondre dans mon manoir
du Nord de Londres, il me prit tout à coup l’envie d’écouter
« Fragile » de Yes. Sans rien changer à mes habitudes musicales,
volume sonore motorheadien sur mon ampli 2X300 W, et aux premières notes, les
enceintes, pourtant copieusement lestées de plomb, qui commencent à exécuter la
danse de saint Guy …
Je me laissais distraire par l’observation de la
croupe rebondie de ma nouvelle camériste, en train de desservir la table basse
du salon, laissant vagabonder dans mon esprit de strausskhaniennes pulsions. Un
détail alentour attira mon attention. Pourquoi diable, dans mon aquarium de
5000 litres, tous mes onéreux poissons japonais, flottaient-ils en surface
ventre à l’air ? Noyade ? Suicide collectif ? Curieux …
Quelques minutes plus tard, un étrange cortège fit
irruption dans la pièce. A la queue leu leu, se succédaient l’ensemble de ma
valetaille (majordome, cuisiniers, jardiniers, femmes de chambre, valets de
pied, hallebardiers, …) précédant mon épouse et ma demi-douzaine d’enfants. Les
gueux avaient avec eux leur baluchon, les autres leurs valises Vuitton.
J’appuyais sur « Pause », et malgré mon agacement, consentis à
écouter les doléances de cet étrange cortège. Les premiers me dirent qu’ils
quittaient mon service et m’abandonnaient les gages dus, ma moitié que cette
fois c’en était trop et qu’elle demandait le divorce et retournait chez sa
duchesse de mère, et ma progéniture m’annonça qu’ils suivaient leur génitrice …
Ma foi, qu’à cela ne tienne, nul, hormis un bon conseiller financier, n’est
irremplaçable en ce bas monde. Je les congédiai tous sans autre forme de
procès, et repris l’écoute de mon disque de Yes …
Mais que diable se passait-il donc
aujourd’hui ? Par les grandes baies vitrées donnant sur mon parc de 300
hectares, je vis ma meute de dogues allemands, habituellement destinée à
dissuader les marauds de passage de venir fouler mes greens, en train de
dévorer tout vif un yearling pourtant promis par tous mes palefreniers et gens
d’écurie à de grands succès à Epsom ou Enghien … Or çà, c’en était trop et de
plus totalement incompréhensible. Quelle mouche les piquait à tous ?
Levant les yeux de ce spectacle désolant, j’aperçus
au-dessus des hautes frondaisons des chênes centenaires du parc, arriver une
escadrille d’hélicoptères en formation de combat. Lorsqu’ils furent à l’aplomb
de ma terrasse grande comme un terrain de polo (les gens de mon rang ne
s’intéressent pas au football), toute une nuée d’hommes des troupes d’élite de
notre Gracieuse Majesté, armés jusqu’aux dents se laissèrent glissèr le long de
filins. Qu’était-ce que tout ce déploiement de force ? Les Sarrazins
menaceraient-ils, que nos braves soldats viennent me protéger ? Ces hommes
se ruèrent à travers les fenêtres, leurs armes pointées sur moi, et celui qui
semblait être leur chef voulut se saisir de la télécommande de la chaîne hi-fi.
Je résistai vaillamment, et devant mon acharnement, ce soudard braqua une arme
de dimensions scharzeneggerienne vers l’ampli Harman Kardon à 3500 euros, et
fit feu, désintégrant l’appareil …
Avant même que j’ai pu formuler une demande
d’explications à cet enragé et ses sbires, ils avaient déjà tourné les talons
et étaient remontés dans leurs appareils …
Bien qu’ayant du mal à distinguer le lien de cause à
effet, je me promis de ne plus jamais écouter de disque de Yes …
Même de nos jours, Yes peut compter sur des fans fidèles et attentifs ... |