ANTHONY MANN - L'HOMME DE LA PLAINE (1955)

 

Morne plaine ?

« L’homme de la plaine » (« The man from Laramie » en V.O.), c’est le cinquième et dernier film de la collaboration Anthony Mann / James Stewart. Qui ensemble ou séparément, n’ont plus rien à prouver. Et qui « pèsent » suffisamment pour ne pas avoir à faire la moindre compromission. C’est peut-être le cœur du problème. Mann et Stewart sont devenus de vrais potes, une amitié que leurs succès communs semblaient avoir cimentée.

Stewart & Mann

Mais pour ce film, leurs « visions » vont sinon s’affronter, du moins être parfois contradictoires. Mann veut en foutre plein les mirettes du spectateur. La Columbia lui assure Technicolor et Cinémascope. Visuellement, parce que Mann sait tenir une caméra, le résultat sera grandiose. Une bonne moitié du film est tournée en extérieurs, et les paysages du Nouveau Mexique offriront un décor magnifique. Mann, comme tous les « amuseurs » du cinéma, a envie de « sérieux ». L’intrigue fournie par le scénariste Philip Yordan (est-elle de lui, rien n’est moins sûr, on est en plein Maccarthysme et Yordan a la réputation de faire siens des scénarios écrits par des blacklistés, un genre de gagnant-gagnant - surtout pour lui) fait entrevoir à Mann qu’on peut en faire une version western du « Roi Lear », classique du drame shakespearien. Cette vision shakespearienne est basée sur les dissensions qui vont aller crescendo dans la famille Waggoman sur fond de succession du patriarche, famille qui fait la pluie et le beau temps dans une petite bourgade (Coronado, imaginaire, alors que Laramie, existe bel et bien, au Sud du Wyoming) paumée aux limites du territoire apache.

Les chariots de feu ?

Face à Mann et ses envies de « grande » tragédie en Scope, Stewart. Qui examine méticuleusement tout ce qui le concerne dans le film. Il ne veut pas faire et dire n’importe quoi. Il affirme de plus en plus ses penchants républicains, et ne veut pas que les valeurs des personnages qu’il interprète soient contraires aux siennes. Et ce d’autant plus que dans le film, son personnage, Will Lockhart, est un capitaine de l’armée (on ne le saura qu’à la fin, et de manière fugace, au hasard d’une réplique plutôt anodine). Or Stewart a servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ses valeurs morales d’ancien militaire et de Républicain entraîneront des ratiocinations interminables avec Mann pendant le tournage et ils finiront sinon par se brouiller, du moins par distendre les liens d’amitié qui les unissaient.

« L’homme de la plaine » est un western, considéré comme majeur, de cette période (le milieu des années 50), où ce genre typiquement américain est à son apogée (les studios en sortent une dizaine par an, la moitié des films qui paraissent sont des westerns. « L’homme de la plaine » est aussi un polar. Lockhart s’est « défroqué », se faisant passer pour un patron convoyeur, afin de trouver et les causes et les responsables du massacre aux environs de Coronado d’une patrouille de soldats, dont on apprendra au cours du film que son jeune frère faisait partie.

Baston en vue ...

Un western, un polar, une revisitation du Roi Lear, quelques caprices de diva de sa star, un gros budget permettant au casting quelques personnages secondaires auxquels on ne comprend rien (voir plus bas), c’était peut-être un chantier trop compliqué à gérer et à mener à terme en à peine plus d’une heure et demie.

L’aspect visuel irréprochable du film n’arrive pas à cacher les lacunes et carences d’un scénario mal foutu. Incohérences et points d’interrogation se multiplient. Qui est le vieux compagnon de Lockhart, qui reste dans le coin quand ça commence à mal tourner, qui réapparaît quasi miraculeusement porteur de précieuses infos, et disparaît totalement dans la seconde partie du film ? Quel est l’intérêt dans l’histoire de l’épicière nièce du patriarche Waggoman, de cette romance qui semble s’installer entre elle et Lockhart, flirt qui s’estompe pour disparaitre sans qu’on sache pourquoi ? A quoi sert le commis indien de l’épicerie, ses regards suspicieux sur Lockhart, sa présence lors de la tentative d’assassinat, et que devient-il ? Idem pour le poivrot qui croise souvent la route de Lockhart avant d’essayer de le tuer, et d’être retrouvé mort, sans qu’on sache vraiment qui avait commandité l’assassinat (le fils, le régisseur ?) et qui l’a dessoudé …

L’histoire est labyrinthique. On sait, je dirais presque par définition, que le gentil c’est Lockhart. Même si ses motivations restent floues. Veut-il juste savoir pourquoi son jeune frère est mort et à cause de qui ou de quoi, ou vient-il pour se venger ? On pourrait pencher pour la seconde version, sauf que « L’homme de la plaine » est le seul film avec Mann où Stewart ne tue personne. Des gentils, on en trouve une paire d’autres. La nièce épicière Waggoman, même si son personnage apporte très peu au scénario. Et la vieille rivale et ex-fiancée du patriarche dont la contribution sera de soigner les éclopés du scénario.

Crisp & Stewart

Côté méchants, on en a trois de principaux (faut zapper l’Indien et le poivrot qui veut poignarder Lockhart, dont les personnages sont deux points d’interrogation, voir plus haut). Le patriarche Alec Waggoman (belle prestation du vétéran Donald Crisp, des dizaines de seconds rôles à son actif), son fils, brutasse dégénérée au point qu’il laisse perplexe son paternel sur la façon d’organiser la succession, et le régisseur du domaine, qui voyant ce foutoir familial, espère tirer profit de la situation et les marrons du feu. Le seul intérêt de l’intrigue étant de révéler que le plus terrible des trois n’est pas celui que l’on croit au départ.

Et si Stewart ne tue finalement personne (« il n’est pas acteur des meurtres, il en est le catalyseur » dixit Bertrand Tavernier), « L’homme de la plaine » est le film le plus violent de sa collaboration avec Mann. Même si elle n’est pas toujours montrée plein cadre, la violence, à la limite du sadisme, est partout présente. La première rencontre entre Lockhart et le fils brutal Waggoman verra ce dernier foutre le feu aux chariots de Lockhart, le traîner attaché à un cheval, et dézinguer les mules du convoi … pas mal pour une première approche. Après une bagarre homérique et bestiale en ville (ça finit en corps en corps au milieu des chevaux), la troisième rencontre verra Lockhart maintenu par les hommes de Waggoman se faire tirer une balle dans la main à bout portant (hors champ, ce qui nécessite du jeu d’acteur, plutôt qu’un effet spécial sanguinolent, et comptez sur Stewart pour rendre à l’écran la douleur).

En résumé, l’immense James Stewart peut-il à lui seul sauver une histoire bancale ? Le Scope en technicolor de Mann peut-il faire oublier un scénario mal ficelé ? La réponse est oui dans les deux cas (« L’homme de la plaine » est considéré comme un grand classique de la grande époque du western).

Mais perso, je préfère nettement « Winchester 73 » et « L’appât » (je dirai rien sur « Les affameurs » que je crois bien ne jamais avoir vu, ni sur « Je suis un aventurier » pas vu non plus et qui n’a pas bonne presse), même si beaucoup auraient bouffé les varices de leur grand-mère pour être au casting d’un film de Mann avec Stewart …


Du même sur ce blog :

Winchester 73
L'Appât
L'Homme de l'Ouest




3 commentaires:

  1. Winchester, l'Appât, les Affameurs, sont pour moi les trois meilleurs, avec Je suis un aventurier... ah bah zut, ça fait quatre ! C'est vrai que celui-ci est parfois bancal, je dirai qu'il est moins passionnant, mais il y a évidemment de très grands moments, comme la première scène avec les mules et les charriots, et l'utilisation du Scope. Les premiers sont scénarisés par Borden Chase, et à les voir presque à la suite, on se rend vraiment compte de la méticulosité du gars pour construire une histoire, peindre des caractères, apporter du drame voire de la tragédie. Winchester et l'Appât sont des sommets d'écriture, pour l'Appât, il fallait oser tourner un film uniquement dans les montagnes avec seulement cinq acteurs, qui entrent dans l'histoire au fur et à mesure de l'intrigue, et puis comme il y a Robert Ryan, c'est forcément excellent. Il y aurait dû avoir un sixième film, le Survivant des monts lointains, écrit par Chase, dont on retrouve la patte, mais cette fois c'est Anthony Mann qui a jeté l'éponge (sans doute pour les raisons que tu cites, la semi brouille entre le réal et son acteur, il trouvait l'histoire moins puissante). Le film est bon, riche en rebondissements, mais l'absence de Mann à la caméra se fait sentir tout de même.

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    1. Dans les bonus, y'a une présentation du film de Tavernier (globalement plus enthousiaste que ce qu'on en pense tous les deux), mais avec en intro une affirmation qui m'a un peu surpris, pour lui les deux maîtres absolus du western sont Mann et Hawks, il ne cite pas John Ford. Etrange, isn't it ?

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    2. Alors que Hawks est plus éclectique, on ne l'associe pas directement au western. Oui, bizarre. J'ai fini il y a peu l'auto biographie de Tavernier "Mémoires interrompus" (qui s'arrête hélas à 'Un dimanche à la campagne' puisqu'il est mort en cours de rédaction) c'est absolument passionnant, le type a eu une vie de dingue, je rêverai de ne connaitre simplement 5% des gens qu'il a croisés !

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