Télénovela et scie à fil …
Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.
Takashi Miike |
Miike sera au
sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000.
Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition »
deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties
de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces
chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher
chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de
caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est
pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords,
micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini »
que Ed Wood par exemple …
« Audition »
dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales.
Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise
et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante.
« Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières
bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».
Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …
Un casting ... |
D’autant plus
qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring »,
filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée
au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model
chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable …
Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse
classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui
bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du
moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se
lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre
ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront
dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de
casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la
maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la
bar a mauvaise réputation …
Là, commence
à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette,
mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient
l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant
avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est
fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits
morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille,
doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du
téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac
à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …
Pour un truc
tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette
d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément
malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux
protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on
va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le
téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses
cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du
sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …
... qui va mal finir |
Y’a quand
même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables
s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et
fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si
l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons
de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve
l’affaire …
« Audition »,
c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans,
et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement
porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me
semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible »
(Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout
comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et
ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …