TAKASHI MIIKE - AUDITION (1999)

 

Télénovela et scie à fil …

Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.

Takashi Miike

Miike sera au sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000. Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition » deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords, micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini » que Ed Wood par exemple …

« Audition » dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales. Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante. « Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».

Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …

Un casting ...

D’autant plus qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring », filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable … Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la bar a mauvaise réputation …

Là, commence à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette, mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille, doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …

Pour un truc tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …

... qui va mal finir

Dès lors c’est parti pour une dernière demi-heure où faut quand même s’accrocher. On a droit à tous les clichés et fantasmes de BDSM, la robe d’infirmière blanche avec tablier de boucher en cuir par-dessus, gants et bottes en latex, les petits cris de jouissance suraigus, et tout l’attirail pour jouer au Dr Mengele (les seringues, les longues aiguilles d’acupuncture, les ustensiles de bricolage divers, et scie à fil pour couper les quartiers de viande). Heureusement que c’est fauché, que les effets spéciaux ont vingt ans de retard, qu’on voit bien les trucages et le latex … mais enfin, lors de la première, étaient fourni aux spectateurs des sacs à vomi floqués avec l’affiche du film, et paraît-il que de nombreux ont été les sacs qui ne sont pas sortis vides de la salle de projection.

Y’a quand même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve l’affaire …

« Audition », c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans, et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible » (Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …


SUPERTRAMP - BREAKFAST IN AMERICA (1979)

 

Petit-déjeuner chez les pompiers …

Je vous donnerai mon avis ferme, définitif, etc., sur cette rondelle, promis …

Mais avant qu’Alzheimer ou une quelconque autre saloperie dégénérative m’ait bouffé la mémoire, deux machins perso sur ce disque … ben oui, je suis vieux, j’ai vécu en direct live sa sortie et tout le bazar qui s’en est suivi …

Supertramp

Flashback Number One ... Vers la fin 1980. Devait y avoir que trois chaînes à la télé … et va savoir pourquoi, je me retrouve un dimanche soir à mater d’un œil morne Stade 2. La grande émission sportive du service public. Présentée par Robert Chapatte, dont on comprenait pas un traître mot, tellement il carburait au Ricard, qui comme chacun sait, à tendance à alourdir la langue … Donc le Bob Chapatte file la parole à un des larbins assis autour de la table, et le gars (Lionel Chamoulaud ?) présente le reportage qui va suivre. Un reportage immersif dans la vie de Thierry Tulasne. Chapatte, Chamoulaud, Tulasne, putain de qui tu causes, qui sont ces gens-là et le rapport avec Superclochard ? J’y viens, patience … Le Tulasne, post-ado boutonneux, était le meilleur junior mondial de tennis et entrait sur le circuit des grands. Modèle : Guillermo Vilas, Argentin au look Ted Nugent, bourrin terminal, joueur de fond de court et de terre battue. Arme suprême : le grand coup droit lifté. Mortellement chiant à regarder, le Vilas se faisait dégommer à chaque fois qu’il jouait contre Borg, et ridiculiser sur surface rapide par McEnroe. Donc Tulasne était un clone de Vilas qui n’obtiendra aucun résultat significatif chez les pros. Mais là, fin 80, c’était le grand espoir bleu-blanc-rouge. Et le reportage de Stade 2 nous le montrait à l’entraînement, en compétition, à l’hôtel, et dans ses centres d’intérêt. Le jeunot nous apprenait ainsi qu’il était fan de rock et la caméra le suivait dans un magasin de disques. Il fouinait dans les bacs pour nous exhiber « ce qu’il se fait de mieux maintenant », à savoir « Beakfast in America » et le « Live in Paris » de Supertramp. Vraiment pas un choix avant-gardiste : il s’en vendait des camions de ces rondelles. Conclusion : le Tulasne était aussi triste dans ses choix musicaux qu’à voir sur un court de tennis …

Rick Davies

Flashback Number Two ... 4 ou 5 ans plus tard. J’étais à donf dans ma période éthylique, liqueurs fortes au litre dans les boîtes de nuit le week-end. Je sortais avec une fille qui connaissait pas grand-chose, voire moins au rock, et qui forcément m’accompagnait (de loin, voire de très loin) à mon abreuvoir habituel. Bizarrerie sonore : alors qu’elle détestait religions et religieux autant que moi, elle avait des dizaines de K7 pirates de Mahalia Jackson, dont je connaissais tout juste le nom et qu’elle se hasardait jamais à enfourner dans l’autoradio, parce que le gospel et les chants religieux, désolé chérie, mais je supporte pas (réciproquement, j’avais bien du mal à la convaincre que Beatles, Rolling Stones, Clash et AC/DC c’était vachement bien) … Et en boîte, sur les coups de quatre-cinq heures du matin, quand le personnel et le patron nous faisaient comprendre que bon, c’était une belle soirée, mais qu’il allait falloir songer à quitter les lieux, elle allait toper le DJ et lui demandait de mettre « Child of vision » de Supertramp. Pourquoi ce putain de titre de sept ou huit minutes, j’y ai jamais demandé ou compris ses explications, ce qui revient au même … Le DJ, comme c’était la copine d’un bon client et que de toutes façons la piste de danse était vide, que les employés commençaient à faire le ménage, envoyait dans la sono le foutu morceau de Supertramp. Et donc pas mal de mes départs titubants (parce que l’inconvénient des tabourets de bar, quand tu y as passé plusieurs heures, c’est d’en descendre) de boîte de nuit se sont faits au son de Supertramp, ce qui il faut bien en convenir, ne présente aucun caractère glorieux … au bout de quelques mois, avec cette fille, on a fini par se quitter, et même pas à cause de Supertramp …

Tout ça pour dire que Supertramp, y’a eu une période, charnière entre seventies et eighties, où putain qu’est-ce qu’on en a bouffé. Honte à moi, je l’avais même acheté ce « Breakfast … ». Et pourtant à cette époque, y’avait pas le streaming et le peer to peer, je m’appelais pas Tulasne ou Rothschild, je les soupesais et les ruminais longtemps mes achats de disque. Comme plein d’autres, je m’étais fait couillonner, intoxiqué par « Logical song » et les autres singles, qu’on entendait tellement souvent matraqués à la radio, qu’on avait fini par croire que c’était bien …

Roger Hodgson

Ben non, on s’était fait rouler. « Breakfast … » c’est pas bien, et Supertramp c’est pas bien et ça ne l’a jamais été … Supertramp, c’est les finauds à donf dans le prog (anglais donc), mais barrés question notoriété mondiale par les funestes Yes et Genesis. Qui fin seventies, grâce à leurs daubes précédentes à coups de doubles voire de triples vinyles, remplissaient les grandes salles. Supertramp, c’était la Pro D2. Et là, alors que la concurrence se vautrait dans les titres (inter)minables, ils allaient donner dans le format « chanson » et surtout radiophonique. Un positionnement stratégique comme on dit. Eux (ou leur management) vont se tourner vers la cash machine, le marché américain. Et pas de façon subliminale. « Breakfast in America » (rien que le titre) et sa pochette (plutôt réussie, cette serveuse de dinner reconvertie en Statue de la Liberté devant un Manhattan stylisé avec des couverts) montrent clairement le cœur de cible. De ce côté-là, mission accomplie, Supertramp deviendra la grosse machine musicale de ce tournant de décennie. Remarque amusante, les « concurrents » Genesis (avec « Abacab ») et Yes (« 90125 ») se réorienteront eux aussi vers la chansonnette (comme quoi tous ces types-là ne sont pas là pour faire de la musique, juste du fric, mais c’est un autre débat).

Supertramp, c’est un groupe composé d’un duo (Rick Davies et Roger Hodgson) et de comparses. Un duo inégal. Même si tous les deux composent, sont multi-instrumentistes et chantent, celui qui prendra la lumière, c’est Hodgson. Grâce, non à cause, de son insupportable voix dans les aigus. C’est lui qu’on entend le plus dans le hit intergalactique que fut « The logical song ». Qui a mal vieilli (ce son, cet insupportable solo de sax …) même si assez bizarrement, la voix de Hodgson convient pour une fois bien au rythme et à la mélodie. Et tant qu’à parler de mélodies, il faut reconnaître que certaines sont assez imparables. Davies et Hodgson sont fans des Beatles, et ça s’entend à plusieurs reprises. Notamment sur « Goodbye stranger », autre rengaine à succès dont le final me semble découler de celui de « A day in the life » (alors que « Oh darling » un peu plus loin dans le disque n’a rien à voir avec Lennon et le Plastic Ono Band).


Quatre singles seront extraits du disque, chronologiquement « The logical song », « Breakfast in America », « Goodbye stranger » et « Take the long way home ». Le plus successful sera « Logical song », le plus supportable est pour moi « Breakfast … » (assez bonne pop tendance lyrique, et surtout le plus court …). Par contre, dans la petite boutique des horreurs, y’a du lourd … de façon endémique (le chevrotement aigu de Hogdson et les interventions du sax), mais aussi ponctuelle, l’introductif « Gone Hollywood » résumant à lui seul tout ce qui est mauvais dans le groupe et le disque (la voix, le sax, les gros riffs putassiers, le côté pompier).

On peut jeter une oreille distraite sur « Take the long way home », prog en cinémascope avec son harmonica western, ricaner devant « Just another nervous wreck », le titre (de faux) rock de la galette, zapper « Child of vision » (prog en forme de pièce montée où on aurait remplacé la chantilly par de la mayonnaise) … Y’a un titre que je sauve, « Casual conversation », avec son ambiance jazzy pour cocktail cosy, très différent de la tonalité d’ensemble du reste, même si bon, je mettrais pas ça sur la platine tous les jours, ni même tous les ans …

Le genre de disques qu’il faut écouter, pour se convaincre, que non, c’était pas toujours mieux avant …



Des mêmes sur ce blog : 


SHAWN MULLINS - LIVE AT THE VARIETY PLAYHOUSE (2008)

 

Soutenir l'artisanat local ...

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shawn Mullins ne fait pas partie des people du rock. A peu près inconnu en France et en Europe, et un petit statut de gloire locale chez lui, en Géorgie. Statut qui a mis longtemps à se dessiner… Mullins a commencé dans la vie active par une pige dans l’US Army, ce qui n’est pas forcément le métier le plus rock’n’roll qui soit. Ensuite il a entamé une carrière folk à la Woody Guthrie (lui, sa guitare acoustique, et la route, dans le meilleur des cas au volant d’un van pourri). Il vire ensuite folk-rock avec une bande de potes qui l’accompagne, et se fait remarquer par Sony. Le sweet smell of success lui parvient aux narines, mais ça se concrétise pas, Sony laisse tomber ce péquenot dont le grand public ne veut pas, et Mullins échoue chez Vanguard, le mythique label de jazz, puis de folk, mais là, au début du XXIème siècle, un peu beaucoup à la ramasse commercialement et artistiquement.

Shawn Mullins

Entre-temps, le groupe de potes s’est étoffé, a enregistré une paire de disques, obtenu un petit hit local (« Lullaby ») et tourné (oh pas des stades, juste des petites salles qui veulent bien d’eux). Voulant profiter de sa petite gloire locale, Mullins et son band passent à l’exercice live. Quand on est d’Atlanta comme lui, y’a un nom qui fait rêver, le Variety Playhouse. Une « petite » salle de 1000 places à l’acoustique fabuleuse, l’endroit idéal pour enregistrer un disque live … Certes à Atlanta, il y a des salles plus célèbres comme le Fox Theatre où a été capté le « One more from the road » de Lynyrd Skynyrd, des habitants plus célèbres (ils n’y sont pas nés mais y ont formé le groupe) comme les Black Crowes, Atlanta est actuellement la capitale du rap US, et James Brown y a enregistré le mythique faux live « Sex Machine ». Et la Géorgie est le dernier Etat à traverser avant d’arriver en Floride, un des Etats grand pourvoyeur du rock sudiste (Lynyrd, Blackfoot, 38 Special, Molly Hatchet, …) sans oublier Tom Petty … Tout ça pour situer le contexte, qui prend toute son importance avec Shawn Mullins.

Le contexte, y’a aussi la photo de pochette qui peut donner des indices parfois utiles. Et qu’y voit-on sur celle de ce « Live … » ? Le Shawn Mullins occupé à besogner une gratte acoustique. Il ne s’en déparera pas tout du long du concert. On le voit aussi en chemise à carreaux de bûcheron. Un look breveté par quatre porteurs iconiques. Kurt Cobain (rien à voir avec Mullins), John Fogerty (pas grand-chose, Mullins donne dans le rock, mais pas n’roll), mais par contre, pour ce qui concerne Springsteen et Neil Young, là on y est en plein dedans… Du Loner, Mullins reprend l’agencement du concert, où alternent titres acoustiques et électriques, et du New Jersey man, Mullins a le goût des histoires de l’Amérique d’en-bas …


Et celle rondelle, ducon, elle donne quoi ? Ben c’est pas mal, voire mieux. D’abord parce que c’est pas une bouillasse sonore. L’acoustique du lieu est réputée, ça sonne quasi comme en studio. Et je pense pas que ça ait été beaucoup retraficoté ensuite. Parce que Mullins, c’est un petit vendeur et donc pas un type pour lequel une maison de disques dépense sans compter en overdubs. Si l’on en croit la setlist manuscrite du concert dans le livret, tout a été gardé, soit une prestation d’un peu plus d’une heure.

Trois parties dans ce concert. Au début électrique, du rock, du folk-rock. Un cœur de concert en solo acoustique, et un final plus bruyant. C’est au milieu qu’on finit par trouver le temps long. Mullins n’est ni Dylan, ni Neil Young, ni Bruce Springsteen. Il s’en inspire, mais n’est pas à leur niveau. Pas de compos renversantes, pas de grands textes, et une voix plutôt limitée. Et là, quand t’es tout seul avec ta Gibson acoustique, pas moyen de tricher. Soit t’es dans la cour des grands, soit tu n’y es pas … C’est pas insupportable, mais bon, manquent et la flamme et l’étincelle …

Il n’en demeure pas moins que ce « Live … » s’il ne rentrera pas dans les livres d’Histoire est un disque agréable. Mullins et ses potes sont six sur scène, et comme certains sont multi-instrumentistes, on peut avoir deux guitares électriques, batterie et percussions, piano, Wurlitzer et Hammond, ou entendre quelques notes de mandoline. Pas de virtuoses là-dedans (inutile d’attendre le solo hendrixien, de batterie, ou des numéros à la Jimmy Smith au Hammond), une bande de potes qui assure plutôt bien et se contente de l’essentiel, dans le genre less is more, ce qui n’est pas forcément une tare …

Quelques titres surnagent. Les deux premiers lancent idéalement le concert, le petit rock nerveux à la Tom Petty & the Heartbreakers (influence qu’on retrouvera souvent) « Beautiful wreck », et le classic rock mid tempo avec des couplets qui se peuvent se fredonner comme dans un bon Dylan (« All in my head »). Mullins, c’est de l’americana, du classic rock, de l’AOR, appelez-ça comme vous voulez, mais y’a pas tromperie sur la marchandise, pas de disgression saugrenue, tout ça est cohérent de la première à la dernière note. On trouve aussi un morceau à la Dire Straits, « The ballad of Kathryn Johnston » qui fait penser au « Down to the waterline » de Knopfler et sa clique, et un sympathique « Santa Fe ».

Dans la partie acoustique, « Home » me paraît au-dessus du lot, et « Lonesome, I know you too well » est peut-être le titre de trop …

Mullins & Band at the Variety Playhouse

Acoustique et électrique se mélangent sur « Twin Rock, Oregon » et assurent la transition vers le final plus bruyant, mais sans excès (fans de Metallica, y’a rien pour vous dans cette galette). On retrouve la patte Petty (« Shimmer »), l’axe Springsteen et plus encore Mellencamp sur « Cabbagetown » (la nostalgie du petit bled du grand-père), l’assez curieux « Cold black heart » (du hillbilly joué à la mandoline, qui donne un côté gaélique tendance Chieftains au titre, seule petite originalité sonore de l’ensemble). Le concert s’achève sur le seul (petit) hit de Mullins, le « Lullaby » déjà évoqué quelque part plus haut (phrasé à la Lou Reed sur les couplets, refrain très FM, pour moi loin d’être le sommet du disque, mais si ça a fait gagner une poignée de dollars à Mullins, tant mieux pour lui …). Le rappel est la seule reprise du concert. Pas n’importe quel titre. « The house of the rising sun ». Classique de chez classique, traditionnel titre folk (Guthrie, Seeger, Van Ronk, Odetta, Dylan, …), parfois en version blues (Nina Simone parmi beaucoup d’autres). Les Animals en ont donné une version définitive et de loin la meilleure, elle aussi maintes fois déclinée (ah que Johnny …), avec son inoubliable ligne d’orgue Vox. C’est la version des Animals qui est ici reprise. Qu’il me soit permis d’émettre deux réserves : remplacer le Vox par le Wurlitzer est très « voyant » et gratte aux oreilles et surtout, Mullins n’a pas le gosier d’airain de Burdon …

« Live at the Variety Playhouse » ne figurera jamais dans la liste des live mythiques. Il n’en reste pas moins que si on veut écouter en public du classic rock américain, il fera amplement l’affaire …

Quand les types de l’ombre font sinon mieux du moins aussi bien que les stars …


MICHAEL CURTIZ - LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS (1938)

 

Les aventures d'un type en legging vert ...

Robin des Bois, un type qui apparemment n’a jamais existé a été moultes fois adapté au cinéma. Passons sur les cartoons Walt Disney, les films russes et de Bollywood, reste un gros paquet de versions anglo-saxonnes du personnage. Avec pour interpréter celui qui vole aux riches pour donner aux pauvres, quelques grosses stars, Douglas Fairbanks, Russell Crowe, Kevin Costner, Sean Connery entre autres. L’interprète le plus emblématique restera sans doute Errol Flynn. Pour deux bonnes raisons : parce que sa vie est encore plus rocambolesque que celle de son personnage, et parce que « Les aventures de Robin des Bois » laisse assez (ou très) loin derrière toutes les autres versions du noble malandrin de la forêt de Sherwood.

Olivia de Havilland & Errol Flynn

« Les aventures de Robin des Bois » est pensé pour être un gros succès. Et une prise de risque pour la Warner, société de production d’une quinzaine d’années et qui jusque-là s’était cantonnée (avec bonheur) à des comédies musicales (Prologues », « 42nd Street ») ou des films de gangsters (« L’ennemi public », « Le petit César »), et qui avait sa star, James Cagney. C’est Cagney qui est au centre de tous les projets de « diversification » de la Warner. Mais voilà, des histoires contractuelles à base de paquets de billets verts entraînent une tension entre l’acteur et les gros cigares, et il refuse systématiquement tout ce qu’on lui propose. Sauf que la Warner trouve facilement un remplaçant pour son adaptation de Robin Hood. C’est un gars qui vient de se faire remarquer dans un de ses films d’aventures, ayant dépassé populairement les attentes du studio. Le film, c’est « Capitaine Blood » et l’acteur c’est Errol Flynn.

Il y a quand même un os. Errol Flynn n’est pas le genre de gars à se mettre béatement au garde-à-vous devant ses patrons. Il est plutôt du genre ingérable, bourré en permanence à la vodka, et toujours prêt à baiser tout ce qui lui passe à portée (hommes, femmes, peu importe …). D’un autre côté, il a l’avantage d’être un charmeur né, beau gosse baraqué et sportif. A une paire de prises près, il fera les cascades du film. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (et qui rapporte), le premier rôle féminin de « Robin des Bois » sera confié à sa partenaire dans « Capitaine Blood », la jeunette (22 ans) Olivia de Havilland. Parenthèse. Olivia de Havilland décèdera à 104 ans, sera nominée cinq fois aux Oscars de meilleure actrice, en remportera finalement deux, et entretiendra une relation compliquée, parfois haineuse avec sa sœur Joan Fontaine. Olivia de Havilland sera une actrice d’une précision de jeu diabolique, toujours d’une justesse remarquable, évitant d’en faire trop. Contrairement à Errol Flynn, qui a toujours tendance à en rajouter devant la caméra …

Cooper, Rathbone & Rains : les méchants

Les scénaristes de la Warner se mettent au boulot, piochant personnages et situations dans les versions précédentes, et en créant de nouveaux (personnages et situations). L’objectif est clairement défini : faire du film un divertissement à grand spectacle, basé sur la traditionnelle opposition entre les bons et les méchants. Et en utilisant toutes les techniques de pointe de l’époque. « Les aventures de Robin des Bois » est souvent présenté comme la première référence majeure en terme de Technicolor (format 1,37 :1) et couleurs criantes pour ne pas dire criardes. Les collants vert moule-burnes de Flynn deviendront aussi célèbres que lui, quasiment toutes les scènes en extérieur sont vraiment en extérieurs (dans un parc naturel californien).

Au centre, Curtiz & Rains
Pour l’histoire il faut faire dans le basique. Les gentils sont très gentils et un peu cons, les méchants sont très méchants et très cons. Le trio de méchants est constitué de deux grandes figures de méchants de l’époque, Claude Rains et Basil Rathbone, auquel se rajoute le méchant comique, Melville Cooper. Un peu comme dans les cartoons, le but du jeu est de capturer Robin des Bois, en utilisant des pièges invraisemblables, dans lesquels Robin se jette à pieds joints, et s’en échappe d’une façon encore plus invraisemblable (genre dans une baston à un contre cent, et pas une égratignure). Il y a dans le film tout ce qu’il faut pour faire du populaire, au sens noble du terme : de l’action, de l’amour, des trahisons, des rebondissements, pour un résultat couru d’avance … Et tant pis si rien n’est vraisemblable. Voire pire, tant pis s’il faut réécrire l’Histoire. L’action est censée se passer alors que Richard Cœur de Lion est prisonnier à son retour de croisade, et que son frère Jean Sans Terre tente de se faire proclamer roi d’Angleterre, sur fond de frictions entre Anglais (descendants des envahisseurs Normands) et Saxons (les populations originelles de l’île). Dans le film, le retour de Richard précipite le dénouement. Dans les faits, il est tué en France (siège de Châlus) et Jean sans Terre règnera une quinzaine d’années… Passons aussi sur les scènes de bataille à l’épée, celles d’époques étaient le double, et dans le film les acteurs ne frappent pas d’estoc et de taille, ils font de l’escrime …

Par contre, sur d’autres points, le réalisme est poussé à l’extrême. Robin de Bois est censé être un archer d’exception et Flynn est doublé au tir à l’arc par Howard Hill, plus grand archer de son temps (c’est lui que l’on voit opposé à Robin dans le concours de tir à l’arc). Plus fort, c’est Hill qui tire sur les figurants (une plaque en fer surmontée de balsa dans lequel de vraies flèches se plantent est sous leurs vêtements) … Sacrés risques, ils devaient serrer les fesses, les figurants …

Grands décors (en carton) et costumes

Il n’y a pas que des scènes de baston qui en foutent plein les yeux. La scène du sacre de Jean (beaucoup de figurants en costume d’apparat) est grandiose et réglée au millimètre. Le prestige du film rejaillira sur son réalisateur. Sauf que si Michael Curtiz voit son nom écrit en gros, c’est un peu comme pour « Autant en emporte le vent » l’année suivante, un film auquel plusieurs réalisateurs ont mis la main à la pâte. Un habitué de la Warner, William Keighley commence le tournage, prend son temps, lambine, et finit par se faire éjecter au profit de Curtiz. Qui n’avance pas assez vite, et une partie des scènes d’action sera tournée par un troisième réalisateur qui n’a pas vu son nom passer à la postérité (un petit contractuel de la Warner ?). En fait, « Les aventures de Robin des Bois », beaucoup plus qu’un projet de scénariste et de réalisateur, c’est un projet de studio avec cahier des charges très écrit préalable…

Résultat au-delà des espérances (gros succès populaire planétaire à la clé), et film d’un charme et d’une qualité kitsch remarquables. Sans parler de ses remakes et déclinaisons, un modèle et une référence pour des décennies de films d’action et d’aventure …


ALICE COOPER - FROM THE INSIDE (1978)


 Shock Corridor ?

Résumé des épisodes précédents : Alice Cooper était un groupe censé représenter le double maléfique de son chanteur Vincent Furnier. Après quelques années de disques plutôt bons, voire plus pour certains (« Killer », « School’s out, « Million dollar babies », liste non exhaustive), de grosses ventes, des concerts très courus et de plus en plus spectaculaires, exit le Alice Cooper Group, et place à Vincent Furnier solo sous le nom d’Alice Cooper. Qu’est-ce que ça change, me direz-vous ? Sur le papier pas grand-chose, même si la perte du bassiste Dennis Dunaway, architecte sonore des débuts, va se traduire par un changement de tonalité musicale. Le premier disque solo, « Welcome to my nightmare » est le plus gros succès de « groupe ». Faut dire que Furnier a conservé son atout maître : le producteur canadien Bob Ezrin. Qui va le suivre pour encore deux albums, puis jeter l’éponge. En cause, le comportement totalement erratique de Furnier. Qui a fini par réellement devenir schizophrène, totalement alcoolo (il avouera quelques années plus tard consommer par jour une centaine de bières et deux litres de bourbon, euh … vraiment, t’exagérais pas un peu quand même quand tu prétendais ça, Vincent ?). Résultat des courses : un internement plus ou moins volontaire fin 77 en hôpital psychiatrique pour une « remise à niveau ».

Vincent Furnier 1978

Et musicalement, au niveau de son entourage, nouveau départ. Aux paroles, Bernie Taupin, certainement rencontré sûrement au comptoir d’un bar, quand on connaît le goût pour la picole du partner in crime d’Elton John. A la direction de l’orchestre, Dick Wagner (du duo siamois Hunter-Wagner, remember le « Rock’n’roll animal » de Lou Reed) compagnon de route du Coop depuis plusieurs années. Est rassemblé un équipage pléthorique, au sein duquel on trouve des requins de studio très cotés (Jim Keltner aux fûts), et d’autres en devenir (Rick Nielsen, futur Cheap Trick, Lukather et Kimball, futurs Toto), et une armada de choristes. A la production, un autre Canadien, David Foster, aux déjà nombreux (mé)faits d’armes …

« From the inside » est en quelque sorte un concept-album autobiographique, inspiré par l’internement du Vincent. Vraiment vécu ou résultat d’un brainstorming avec Taupin ? J’en sais rien et je m’en cogne un peu beaucoup si vous voulez savoir. Parce que de toute façon et de n’importe côté qu’on l’envisage, « From the inside » ne fait pas partie de ce que l’homme au boa a fait de mieux. Même si attention, vu le casting et le pognon de dingue comme dirait l’autre guignol, il y a de quoi dans cette rondelle pour attirer le chaland, et le banquier d’Alice a été bien content … Pour situer, « From the inside » pour Alice Cooper, c’est un peu comme « Dynasty » pour Kiss. Le disque carrément à l’assaut des passages radio. Sauf qu’ici pas de tube inoxydable et putassier à la « I was made for lovin’ you ». Même si avec « How you gonna see me now », le Coop s’est essayé au hit consensuel, qui ne sonne finalement que comme un fond de tiroir de l’Elton John de l’époque, et qui n’a vraiment été qu’un succès … en Belgique.

Alice Cooper 1978

J’ai cité Elton John. Et j’assume. Je sais pas si c’est la présence de Taupin ou le fait que beaucoup de titres reposent sur le piano, ou les deux, mais il me semble qu’il y a beaucoup du collectionneur de lunettes dans « From the inside ». « Wish I were born in Beverly Hills » aurait pu avoir sa place sur « Goodbye Yellow brick road », de même que le « How you gonna see me now » déjà cité.  Sinon, ça lorgne parfois vers le baroque, plus ou moins pompier. « Nurse Rozetta » (bonjour le cliché du fantasme sur l’infirmière), fait furieusement penser à la musique du « Rocky Horror Picture Show », et l’ultime, long et tarabiscoté titre final (« Inmates … »), on retrouvera tout ça en bien mieux sur « The Wall » de Waters – Pink Floyd, un disque produit par … Bob Ezrin. Comme quoi tout est dans tout et inversement …

Moi, ce qui me plaît chez le Coop, ce sont ses bons gros riffs méchants. Portion congrue ici, il faut se contenter de l’assez quelconque « Serious » pour avoir quelque chose qui ressemble à du (vrai) rock. Au débit également, la voix malsaine et vicieuse ne drive plus les morceaux, elle fait juste de la figuration sur quelques bribes de titres.


Y’a même un duo assez consternant (avec Marcy Levy ou Marcella Detroit, en fait c’est la même, une ancienne choriste à Clapton), ça s’appelle « Millie and Billie », roucoulade entre deux internés toxicomanes … on est assez loin de « Vol au-dessus d’un nid de coucou », dont « From the inside » s’était de façon assez évidente inspiré …

Allez, une paire de trucs à sauver, « From the inside » le morceau, rock middle of the road sympathique et « The quiet room », entame de ballade mièvre et vaporeuse avant une accélération et un final où l’Alice retrouve sa voix « historique » …

Ce disque très centriste et plutôt mollasson sera une bonne vente, ça permettra au Coop de rajouter quelques numéros tordus et d’autres effets spéciaux gore dans ses concerts, qui seront de plus en plus courus, et la cash machine de l’Alice Cooper Inc. pourra tourner à plein régime …

Il n’empêche, c’est avec ce genre de disques assez inconsistants que le futur partenaire de golf de Donald Trump (‘tain, sans déc’, mon petit Vincent, comment t’as fait pour tomber aussi bas ?) entamera une carrière grand public … Sans moi (ouais, je sais il a pas fait que des daubes depuis plus de quarante ans, y’a quelques trucs passables de temps en temps) …


Du même sur ce blog :




AGNES VARDA - LES GLANEURS ET LA GLANEUSE (2000)

 

Poubelles, la vie ...

Agnès Varda fait partie des grandes (ouais, pas par la taille, elle doit culminer à un mètre cinquante) du cinéma made in France. Quand elle a commencé à tourner (en 1955, « La Pointe Courte »), ses prédécesseuses dans le métier étaient vite comptées : l’oubliée Germaine Dulac et l’encore plus oubliée Alice Guy (toutes les deux à l’époque du muet), plus peut-être quelques autres encore plus obscures …

Bon, Agnès Varda, c’est pas une forcenée des plateaux de tournage. Peu de films à son actif, et à la louche un peu plus de documentaires, genre qu’elle semble préférer. Une grande dame quand même. Niveau films, une des merveilles absolues de la Nouvelle Vague, « Cléo de 5 à 7 », et le meilleur film de Ken Loach qu’il n’a pas tourné (« Sans toit ni loi »).

Agnès Varda, la glaneuse

Sans être une stakhanoviste de la caméra, Varda est un nom qui compte. Et pas seulement parce qu’elle est l’épouse de Jacques Demy. Mais aussi parce que c’est à peu près la seule de la Nouvelle Vague à avoir évolué dans la vraie vie et à être vraiment partie prenante de la culture et de la contre-culture de l’époque. Elle a presque quarante ans quand elle va vivre avec les hippies de San Francisco, filme les Black Panthers (de manière moins fantasmée que le Godard de « One + One »), et de retour à Paris voit son nom lié au Rock’N’Roll Circus, la boîte où Jim Morrison avait ses habitudes (et où il serait mort, Agnès Varda ayant participé à « l’expédition » qui a ramené le corps chez lui dans sa baignoire selon la version « alternative » de la mort du King Lizard).

Agnès Varda est une engagée, une militante au sens noble de ces deux termes, et un modèle, avoué ou pas, pour nombre de réalisatrices françaises.

Un glaneur

« Les glaneurs et la glaneuse » est son film documentaire le plus connu (et le plus reconnu, un grand nombre de récompenses dans des festivals all around the world). Un petit truc approximatif et sans prétention … Approximatif parce que l’on s’éloigne bien souvent du thème du film (le glanage) et sans prétention, parce que filmé avec un caméscope numérique au poignet, avec juste un assistant pour conduire la bagnole un peu partout en France et accrocher le micro aux gens « interviewés » (ou du moins qui s’expriment face à l’objectif, c’est pas du question-réponse journalistique).

Le point de départ, c’est une quête des glaneurs d’aujourd’hui, et une mise en parallèle avec le célèbre tableau de Millet. Le glanage, c’est en gros l’autorisation accordée aux indigents et nécessiteux de récolter une parcelle après la récolte par son propriétaire. Pratique ancestrale qui trouve ses origines réglementées au Moyen-Âge. Depuis ses origines concernant exclusivement les productions agricoles, Varda étend considérablement sa définition, puisqu’en plus de glaneurs de patates, de pommes, de tomates, de raisins, elle nous montre des artistes récupérateurs de déchets, des gens qui se nourrissent en faisant les poubelles ou les invendus des marchés …

De l'art avec de la récup ...

Point commun de ces glaneurs, un maximum de gueules cassées, de sans-dents comme disait l’autre, de types en marge (volontairement ou pas) de la société de production et de consommation. Le glanage de la fin du XXème siècle n’a plus rien à voir avec le glanage du Moyen-Âge. La récolte agricole est énormément mécanisée et seuls les rebuts des tables de tri sont ramenés aux champs. Particulièrement flagrant pour les patates (la calibration, la normalisation obligatoires pour que le produit soit « vendable »), où des gars suivent les tracteurs et leurs remorques qui déversent dans les champs toutes les patates récoltées rejetées par les calibreuses. Des patates trop petites, trop grosses, déformées. C’est là que Varda repère des patates en forme de cœur qu’elle ramène chez elle et expose comme une œuvre d’art jusqu’à leur décomposition (revers de la médaille, comme le docu a eu du succès, plein de gens lui ont envoyé des patates en forme de cœur). Varda s’intéresse à un glaneur en particulier (il vit dans une caravane à côté d’un robinet d’eau potable à cause d’un parcours « classique », divorce, perte du boulot, noyade dans les canettes de bière, …).

Le glanage stricto sensu n’est cependant qu’un prétexte. Varda nous montre une société de consommation (sa fascination pour les files de poids lourds sur les autoroutes) et ses rebuts (les gars qui récupèrent des télés jetées sur le trottoir pour les retaper ou au pire les désosser pour en extraire les composants et le cuivre). Une société qui ne vaut que pour ceux qui consomment « réglementairement » la séquence avec les jeunes marginaux perpignanais condamnés au tribunal pour avoir escaladé (sans casse ni effraction) les grillages d’un supermarché pour faire ses poubelles. Explication gênée de la juge, un peu moins du gérant qui dit tout fier que maintenant il est obligatoire de javelliser ce qui est jeté dans les poubelles pour que ce soit impropre à la consommation …

Deux des types rencontrés par Varda ressortent du lot.

Un spécialiste des poubelles à Aix-en-Provence qui y trouve absolument toute sa nourriture et a construit toute une théorie politico-sociale sur sa ville dont il se considère comme le seigneur, toujours affublé de ses bottes en plastoc. Et comme « Les glaneurs et la glaneuse » a eu une suite « Deux ans après », dans laquelle Varda part retrouver ceux qu’elle avait filmés (et qui sont encore en vie, un petit vieux pittoresque qui squattait une cabane de jardin est mort), et assez logiquement c’est en hôpital psychiatrique qu’elle retrouve le « seigneur d’Aix-en-Provence », plutôt simplet et sympa que dangereux …

Bac+4 en biologie ...

L’autre figure marquante est un type Bac+4 en biologie qui a choisi pleinement sa marginalisation. Végétarien crudivore, il se nourrit en faisant les rebuts des étals de marché et crèche dans un foyer Sonacotra où tous les soirs il donne bénévolement des cours d’alphabétisation aux immigrés du foyer. Une leçon de désintéressement et d’efficacité, il semblerait que nos ministres de l’Education et de l’Intégration pourraient s’inspirer de cet exemple. Deux ans après, le gars vit toujours de la même façon et participe au marathon de Paris dans ses baskets de récup …

Et puis Varda se met en scène (ceux qui n’ont rien compris le lui ont reproché). Elle se filme avec des gros plans sur ses racines de cheveux blanches qui deviennent rares, ses rides, ses mains flétries et piquées de taches. Parce que pendant une bonne partie du film, elle nous montre le destin de tous ces objets qui ont vieilli et qu’on met au rebut. On était en 2000 encore loin des révélations sur le fonctionnement des EHPAD, mais là elle nous interroge sur « l’utilité » de ce qui vieillit en se mettant en abîme …Tout ce qui en quelque sorte n’est plus consommable …

En fait sous ses allures de reportage France 3 Régions, « Les glaneurs et la glaneuse » nous interroge sur l’évolution de notre société, et est éminemment politique. Depuis les modes de production et de consommation jusqu’à la mise à l’écart de tout (produits, objets, humains, …) ce qui ne passe pas dans la calibreuse …


DAVID BOWIE - THE RISE AND FALL OF ZIGGY STARDUST AND THE SPIDERS FROM MARS (1972)

 

Passer au niveau supérieur ...

1972 … David Jones rebaptisé Bowie essaie depuis huit ans (« Liza Jane », 1964) de capter la lumière des projecteurs de la célébrité. Il s’est beaucoup dépensé, a suivi beaucoup de courants musicaux, seul ou avec des groupes. Il a même eu un hit, « Space Oddity », surfant sur la vague « 2001, Odyssée de l’Espace ». Il vient de signer un grand disque (« Hunky Dory ») accueilli favorablement par la critique, nettement moins par le public … La preuve, le titre imparable qu'il contenait (« Life on Mars ») a fait un bide en single (ce titre ressortira en 73 et il finira cette fois en haut des charts). Et pire pour l’amour-propre de Bowie, son pote Marc Bolan avec qui il rêvait de conquérir les charts, est devenu l’idole des jeunes anglais (et des très jeunes anglaises) avec ses chansons pour lesquelles on a créé le terme de glam-rock …

David Bowie début 1972

Rétrospectivement, on peut dire que Bowie va tenter un coup de poker fabuleux, de ceux qui peuvent à jamais te ridiculiser ou faire de toi une superstar. Parce que, réfléchissons cinq secondes, comment faire gober a priori un concept fumeux aussi con que celui de Ziggy Poussière d’Etoile et ses Araignées de Mars, à un public anglo-saxon qui a connu les Beatles et voit les Stones au sommet de leur art (pour ne citer que les deux grands groupes de la perfide Albion) ? Bonne question, camarade, j’ai bien peur qu’elle reste à jamais sans réponse … C’est peut-être à ce genre d’intuitions géniales qu’on reconnaît les meilleurs, les plus grands … renverser la table et repartir de zéro …

« Concept » et musique chemineront de pair. Ziggy Stardust est l’antithèse du Major Tom de « Space oddity ». Major Tom partait vers les étoiles dans sa fusée, Ziggy est un alien qui arrive sur Terre. Bon, je vous l’accorde, faut avoir cinq ans ou pris les bonnes drogues pour trouver le concept intelligent voire intéressant (et je vous fais cadeau des paroles des chansons (de l’alligator bisexuel de « Moonage daydream » au temps qui prend une cigarette dans « Rock’n’roll suicide », y’a de quoi se gratter l’occiput …). Le personnage de Ziggy Stardust est un mix improbable de Vince Taylor, (forcément) Iggy Pop, et de l’excentrique countryman Legendary Stardust Cowboy. Bowie se coupe les cheveux, les teint en jaune citron, commence à rechercher des tenues extravagantes en suivant de près les créateurs de mode japonais. C’est ce look qu’il arbore sur la pochette de « … Ziggy Stardust … » (si le pèlerinage londonien des pochettes de disques vous intéresse, après le passage clouté devant les studios au 3 d’Abbey Road, rendez-vous au 23 Heddon Street pour celle de « … Ziggy Stardust … »). Ne pas s’y tromper, le meilleur est quand même ce qu’il y a à l’intérieur de la pochette …

Le même, quelques mois plus tard

« … Ziggy Stardust … » a été enregistré dans la foulée de « Hunky Dory ». Six mois jour pour jour séparent les deux disques (Décembre 71 pour le premier et Juin 72 pour le second, ça on peut pas l’ignorer, tellement les célébrations du cinquantenaire de la parution ont été médiatisées). Et la tournée qui suit la parution de « Hunky Dory » qui débute en Février 72 sera basée sur les titres à paraître … Imagine-t’on de nos jours une quelconque « vedette » issue des télécrochets sortir un disque tous les six mois et tourner avec un tiers d’inédits au répertoire ? Répondez pas tous en même temps, mais quelque part on a les idoles qu’on mérite …

« … Ziggy Stardust … » a une place particulière dans la discographie de Bowie. Tout en haut … alors que la période Ziggy n’a duré que de Février 72 au 3 Juillet 73 (« mort » officielle de Ziggy Stardust lors du concert documenté par un live au Hammersmith Odeon). La raison est toute simple, ce disque est incontournable parce qu’il est excellent, un des marqueurs essentiels du rock seventies et du rock tout court.

Bolder, Woodmansey, Bowie & Ronson : Spiders from Mars

Des points faibles ? En cherchant bien, une paire. Le cœur du disque, « It ain’t easy » et « Lady Stardust » (sur le vinyle dernier titre première face et premier seconde face) est constitué par les deux morceaux qualitativement en retrait par rapport aux autres. Le premier, une reprise du peu connu Ron Davies (compositeur américain « tout-terrain » venu de la country) dénote avec la tonalité générale de l’album et la seconde, ballade bien dans le concept du disque, mais composition prévisible. Ces deux titres ne seront quasiment jamais joués sur scène tout du long de la carrière de Bowie. Autre point discutable, le choix délibéré de Bowie de chanter très haut dans les aigus, alors qu’il a une palette vocale beaucoup plus étendue … bon, fin de la rubrique « cherchons des poils sur les œufs » …

Alors, il y a les compositions dont un bon paquet font partie de ce que Bowie a fait de mieux. Une mise en place sonore qui est un modèle du genre. Captation d’un quatuor « basique » (basse-batterie-guitare-chant) sur lequel les ajouts (sax, piano, orchestre à cordes) semblent couler de source. Le tout en glorieuse stéréo seventies (des effets très clairs entre droite et gauche), une voix de Bowie souvent doublée sur les refrains, et des mises en avant de la guitare de Ronson quand celle-ci prend le jeu à son compte, qu’il s’agisse de riffs ou de solos. Aux manettes, Ken Scott, venu des studios Abbey Road qui a fait ses premières armes comme assistant de George Martin sur les disques des Beatles, ce qui donne quand même quelques idées sur la façon d’utiliser du matériel d’enregistrement. Et nul doute que si officiellement ce sont Bowie et Ronson qui sont crédités aux arrangements, Ken Scott y est aussi pour quelque chose. Quelques exemples, le fade-in de batterie sur l’intro de « Five years », les riffs colossaux de Ronson sur « Soul love », ceux de « Moonage daydream » qui shuntent le fading de « Soul love », le crescendo à apprendre dans les livres d’histoire de « Rock’n’roll suicide ».



Bowie & Ronson live at Santa Monica

« … Ziggy Stardust … » est le disque qui a fait de Mick Ronson un des guitaristes marquants des années 70. Capable de s’effacer, de se faire rythmique et discret, et puis d’exploser dans les tweeters pour des riffs d’anthologie (« Soul love », « Moonage daydream », « Star », « Suffragette City »), ou de solos marquants (le final de « Moonage daydream », celui de « Hang on to yourself »).

Avec ce disque, Bowie règle définitivement son compte à Bolan. Certes, T. Rex sera en Angleterre et en Europe un plus gros vendeur. Mais Bolan se verra dépassé sur son aile gauche. A grands coups de déclarations tapageuses so shocking pour la société de l’époque (« je suis bisexuel »), de maquillages peu discrets, et d’excentricités capillaires et vestimentaires en tout genre, Bowie va pousser le bouchon beaucoup plus loin que son ami-rival. Mais là où Bowie fera la différence, c’est qu’il va aller (alors que commercialement il n’y est rien) « démarcher » le public américain, multipliant les tournées Outre-Atlantique. En une paire d’années, il y deviendra, sinon une superstar (trop clivant, imaginez l’effet du look Ziggy – Diamond Dogs dans le Midwest et le Sud profond), en tout cas quelqu’un de connu …

Comme c’est écrit au verso de la pochette, « to be played at maximum volume » … et le plus souvent possible …


Du même sur ce blog :

PRODIGY - THE FAT OF THE LAND (1997)

 

Fury Road ?

« The fat of the land », c’est un cas d’école. Celui d’une surenchère appliquée à un genre musical. Aujourd’hui, les genres musicaux sont marioupolisés. Détruits jusqu’au trognon par la dématérialisation (le peer to peer), et pire encore par le streaming musical (les ignobles Deezer, Spotify et leur semblables), les tarifs exorbitants de la musique live d’après Covid, et j’en passe …

Au premier plan, Howlett, Flint & Maxim

Dans les années 90, c’était très différent. L’offre était pléthorique, les genres, sous-genres et chapelles diverses se multipliaient, chacun voulant sa part du (gros) gâteau. Et contre toute attente, au sortir d’années 80 dominées par les synthés (techno-pop puis electro pour schématiser), les années nonante voyaient le retour de ces machins en bois avec six cordes, comment on appelait ça, déjà … ça me revient, … les guitares. Les groupes à guitare cartonnaient (ventes de disques à a tonne, têtes d’affiche et cachets qui vont avec dans les festivals) dans le sillage de Nirvana d’abord (le grunge) et au mitan de la décennie dans celui d’Oasis (la britpop). Les joueurs de disquette en avaient pris un gros coup derrière le casque. Mais ils lâchaient pas l’affaire pour autant (les labels pullulaient, les raves étaient la version péquenot-punk à chiens des gros festivals bourgeois) … Mais les free parties, comme leur nom l’indique, ça rapporte à quelque dealer chelou, mais pas à ceux qui font de la musique … et les ventes de disques, chez ces gens-là, c’était misère … Même si quelques-uns venus de la mouvance electro, avaient su « commercialiser » leur truc (Massive Attack, Portishead, …). Dès lors, la porte de sortie de la précarité underground était grande ouverte : la musique électronique s’approprierait les codes du rock pour être « visible » … et tant qu’à faire, aller voir du côté du rock à guitares qui avait le vent en poupe. Et tant pis s’il n’y avait pas de guitares ou de batterie, on récupérerait les codes, on ferait de gros riffs avec des synthés et des breaks de batterie avec des boîtes à rythmes … Au grand dam des autoproclamés puristes de la chose electro, des gens comme Fatboy Slim, Chemical Brothers ou Prodigy allaient se ruer dans la brèche, et écouler du Cd par millions.

Prodigy donc. Qui présentait jusque-là parfois une version electro « musclée » (le très hendrixien « Voodoo people » sur « Music for the jilted generation »), commençait à vendre du disque, était invité dans les festivals « rock ». Le trio de base Liam Howlett (cerveau, synthés et compos), Keith Flint (chant, arpenteur de scène), Maxim (bouche-trou) s’adjoint un guitariste (siège éjectable, plusieurs seront utilisés), et veut mettre en avant ses influences punk, indus, hard, … en gros toute la partie « violente » du rock. Et pour se faire une nouvelle place au soleil, durcit outrageusement son propos. Tous les potards sur onze, des tenues très Mad Max – Fury Road, et la recherche du buzz, sinon de la polémique (Victor) …


A cet égard, le titre inaugural de cette période sorti en single éclaireur sera « Smack my bitch up » (tabasse ta salope de meuf en gros), accompagné d’un clip Rated R comme disent les anglo-saxons. Scandales, mini bataille d’Hernani, le tour est joué, Prodigy devient incontournable. Bizarrement, ce titre controversé qui ouvre « The fat of the land » est contrebalancé par le dernier du disque, une reprise avec synthés à la place des guitares du « Fuel my fire » des L7. En gros le manifeste beauf cogneur opposé au groupe féministe leader du mouvement « riot grrl ». La boucle est bouclée, tout le monde (?) est content (?). La provo de mauvais goût ne s’arrête pas à « Smack … ». Eparpillée tout au long du livret, on trouve une citation (non créditée) de Hermann Goering (cette fascination glauque de quelques musiciens Anglais pour la symbolique nazie, de Sid Vicious à Lemmy, en passant par Siouxsie et Bowie, beaucoup plus coupables de mauvais goût provocateur que d’approbation idéologique).

« The fat … » enverra deux autres singles en haut des charts. « Breathe », rythmique très rock, cousin du metal rap de Rage Against The Machine, avec break central anxiogène, ouais bof ... ; et l’excellent « Firestarter », le plus « classique » du lot et accessoirement meilleur titre de la rondelle … Et le reste ? Ben, du bruit et de la fureur sur disque. Et de la surenchère sonore, sur des choses qui rappellent furieusement … les riffs du « Andy » de Rita Mitsouko sur « Diesel power », la rythmique du « The Rover » de Led Zep sur « Serial thrilla », la folie fusionnelle de Magma sur « Narayan » (près de dix minutes, pas toujours passionnantes), Massive Attack sur l’intro de « Climbatize » (instrumental plutôt intéressant, contrairement à « Funky shit » au titre trop long, bon, ça c’est fait …). Sans compter tous le samples recensés dans le livret …


Sur scène aussi, les Prodigy envoyaient (déraisonnablement ?) le bois, les types partaient de temps en temps se foutre un masque à oxygène sur le museau pour éviter la syncope … comme à peu près au même moment les Leatherface de carnaval de Slipknot …

« The fat of the land » est tellement too much que ça n’a finalement pas tant vieilli que ce que l’on pourrait croire, et ça tient par exemple plus la route que le troisième Oasis (« Be here now ») paru simultanément et lui aussi porté sur la démesure à tous les étages …

« The fat of the land » sera en tout cas l’apogée commerciale de Prodigy. Depuis, le groupe a essayé un temps de faire aussi bien (ou aussi fort) sans vraiment y parvenir, avant de disparaître peu à peu des radars, et la mort il y a quelques années de Keith Flint devrait mettre un point final à leur carrière …