Le rêve américain ...
Langley Park est un petit bled à côté de Durham, pas
très loin de Newcastle, Nord de l’Angleterre. C’est dire si c’est pas vraiment
un coin sexy. Les frangins McAloon y sont nés, et c’est là qu’ils y ont fondé
un des groupes au nom le plus problématique qui soit, Prefab Sprout (Le
Bourgeon Préfabriqué), un patronyme lui aussi pas glamour pour deux sous…
Prefab Sprout, ça fait partie des noms que se refilent en douce quelques conspirateurs, maniaques de chansons pop bien torchées. Ici, dans la riante Gaule, un seul de leurs titres a dû être diffusé trois fois à la radio. Il s’agit de « When loves break down », issu de leur précédente rondelle « Steve McQueen ». Et dans leur pays natal, on peut pas vraiment dire que ce soit des stars. Pour ne rien arranger à leur cas, ce « Steve McQueen » a dû changer de nom pour paraître aux USA, les héritiers de Josh Randall étaient prêts à dégainer les avocats, d’autant plus qu’on y voyait sur la pochette le groupe poser sur une Triumph, la même que dans « La Grande Evasion ». La Steve McQueen Family n’a pas été sympa sur le coup, parce que le disque était une déclaration d’amour à une certaine forme de way of life et de culture américaine. Démarche étonnante de la part de sujets de Sa Gracieuse (?) Majesté, généralement peu enclins à apprécier quoi que soit qui ne vienne pas de chez eux …
Paddy McAloon, Neil Conti, Wendy Smith, Martin McAloon |
Pour bien se faire comprendre, les Prefab Sprout
allaient remettre le couvert avec les mêmes intentions, envisageant par le
disque de se transporter à Memphis, Tennessee. Pourquoi Memphis, patrie de la
country et de la soul, alors que tout dans cette rondelle renvoie à la Côte Est
(Brooklyn, New-York, le New Jersey) ? Seul Paddy McAloon doit connaître la
réponse.
Parce que Prefab Sprout, c’est quasi une affaire
familiale autour de lui (on y trouve sa fiancée, la douce et diaphane Wendy
Smith à la basse, et son frangin Martin à l’autre guitare). Seul
« étranger » au clan McAloon, mais là depuis les débuts, le batteur
Neil Conti (qui finira une fois le groupe en stand-by très demandé, on le
retrouvera à cogner derrière Mick Jagger, David Bowie, Steve Winwood, Robert
Palmer, et une multitude d’autres à peine un peu moins célèbres …). Et puis, et
c’est là où le bât me blesse, il y a le cinquième Prefab Sprout, leur
producteur Thomas Dolby. Un sorcier des synthés et des studios, qui passe son
temps à utiliser les possibilités des consoles high-tech multipistes en ce
début des années 80, et est responsable sous son nom de quelques disques dont
je ne dirai rien, par pure humanité …
« From Langley … » se situe
chronologiquement entre « Steve McQueen » et « Jordan : The
comeback » (il y en a un autre avant « Jordan … », qu’il vaut
mieux passer sous silence), les deux chefs-d’œuvre du groupe. Il est aussi à
mi-chemin des deux sommets au niveau sonore, entre le classicisme pop de « Steve
… » et la folie baroque de « Jordan … ».
Tous les centristes de la chanson pop ouvragée vous diront donc que « From Langley … » est le meilleur des trois. Ben non … Entendons-nous bien, ce disque est excellent, mais n’atteint pas la pureté de « Steve … », ni le suicide exubérant qu’est « Jordan … ». La faute au Dolby déjà cité, responsable et coupable d’un indigeste enrobage sonore, très « moderne » peut-être en 88 (et encore …), mais irrémédiablement daté aujourd’hui avec cette énorme batterie trop en avant, ce foisonnement d’arrangements et d’effets sonores en tous genres (les horribles faux cuivres, les gargouillis de synthés, …).
Par contre, rien à dire au niveau des compositions,
qui atteignent des niveaux dont seul Costello période « Imperial
bedroom » et dans une moindre mesure les Pale Fountains de « Pacific
Street » et les High Llamas de « Gideon Gaye » ont su
s’approcher dans les 80’s. La plupart des mélodies sont écrites au piano ou au
synthé, d’où leur complexité, s’inspirent des grands ancêtres de la pop certes,
mais aussi du patrimoine classique européen, et évidemment vu le lièvre couru, des
Gershwin, Bernstein, et autres auteurs de Tin Pan Alley ou du Brill Building
(beaucoup de titres font penser à des thèmes des comédies musicales de
Broadway). L’utilisation des chœurs (le frangin et la copine du Paddy) est
aussi à contre-courant de ce qui s’est toujours pratiqué, ils sont ici
envisagés plutôt comme répondant à la voix principale (mais pas comme dans le
gospel), plutôt que venant en renfort à l’unisson sur les refrains, et sont
généralement sous-mixés, leur donnant un côté lointain, vaporeux et irréel.
Assez étrangement, alors que ce disque est l’antithèse de tout ce qui se vend à l’époque en Angleterre et plus encore aux States, ce sera la plus grosse vente de Prefab Sprout de l’autre côté de l’Atlantique (sans bien entendu que ça fasse de l’ombre à Michael Jackson). L’album sera porté par le (petit) succès du single « Cars & Girls », qui comme son titre l’indique et aussi surprenant que ça puisse paraître, est un hommage à Bruce Springsteen. Et pas un hommage ironique, une déclaration de fan sincère (certainement beaucoup plus tout de même aux sujets principaux d’inspiration de ses premières années, les filles et les bagnoles, qu’à leur accompagnement musical). Ce qui confirme l’étrangeté de Paddy McAloon, on ne peut plus Anglais par sa culture et ses compositions, et qui révère les sons et genres les plus typiquement américains (Faron Young, autrement dit le Dylan style sur « Steve … », le Boss ici) qui soient. On a même droit à un titre très rock, très différent de tout le reste, qui ne dépareillerait pas dans le répertoire de Tom Petty (« The golden calf »).
Mais le cœur de « From Langley … », ça
reste un hommage à la musique new-yorkaise d’avant le rock, encastrant dans les
structures pop les clins d’œil à toutes ces sons qui faisaient se déplacer les
foules pour voir des musicals sur Broadway, une certaine forme de divertissement
qui n’existait quasiment plus lorsque Paddy McAloon est né. Tous ces
« Nightingales » (avec en guest un solo d’harmonica de Stevie Wonder,
pas son meilleur cependant), « Enchanted » (où il est question des
Capulet et des Montaigu, revisités bien sûr façon « West Side
Story »), « I remember that » ou « Manhattan » (dans
laquelle est évoqué Sinatra et où il y a au fin fond du mix une partie de guitare
acoustique de … Pete Townshend), poursuivent la même idée reste.
Ceux qui ont lu jusque-là sont maintenant autorisés
à poser la bonne question : « et le reste de la musique américaine,
il en est question ? ». Pas du tout. Le titre « Knock on
wood » n’est qu’un leurre (rien à voir avec le titre homonyme de Wilson Pickett)
et pas le plus mémorable du disque tout comme la bluette romantique « Nancy
… », voire le dernier titre de dream pop (tant au niveau des paroles que
de la musique) « The Venus of the soup kitchen ». Et l’inaugural
« The king of rock’n’roll » n’est pas un hommage à Elvis, mais un
regard ironique sur tous ces types qui n’ont rien compris au truc et qui
s’imaginent les rois du rock’n’roll. En fait, un Paddy McAloon qui fantasme sur
les Etats-Unis, il n’envisage pas de faire de la Harley dans la Vallée de la
Mort, si vous voyez à qui je pense…
Paddy McAloon, il conçoit le rêve américain d’une
autre façon …
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