L'apogée d'un genre ?
C’est quoi un bon
western ?
Il doit être des années
50 ? Il est signé John Ford ? John Wayne a le rôle principal ? Il y a
des bons et des méchants ? Des Indiens ? Des fusillades ? De
grandes cavalcades ? Des paysages grandioses ? Des grands sentiments
éternels ? Quelques touches d’humour ?
Changez rien, vous êtes sur la
bonne page, j’ai ce qu’il vous faut. « La prisonnière du désert » ça
s’appelle. Traduction française idiote, comme parfois. Le titre original, c’est
« The searchers », et c’est beaucoup plus parlant. Ça va même plus
loin que de la recherche, il s’agit d’une quête à tout prix.
John Wayne & John Ford |
Au départ pour retrouver une
fillette, Debbie, la nièce d’Ethan Edwards (John Wayne), enlevée de la ferme
familiale lors d’un raid de Comanches, qui ont massacré l’essentiel de la
famille. Cette traque va durer des années et ses objectifs vont changer. Plus
que de retrouver celle qui est devenue adolescente, Edwards entend se venger de
son ravisseur.
Le personnage d’Ethan Edwards
est un des plus ambigus joués par Wayne. C’est ce rôle qui est toujours cité
par ceux qui veulent démontrer qu’il était un grand acteur. Fini le héros au
cœur pur, bien droit sur ses éperons, redresseur de torts, défenseur de la
veuve, de l’orphelin, du faible et de l’opprimé … Fini aussi le massacreur
d’Indiens « pour la bonne cause », qui lui donnera pour l’éternité
une image de héros un tantinet réac (descendant le plus évident,
malheureusement davantage premier degré : Clint Eastwood). Dans « La
prisonnière … », Wayne est un égoïste, en proie à une idée fixe, sans
aucune humanité : il tire dans le dos des gens qui s’enfuient (des
pillards, des Comanches), révolvérise des Comanches morts (une balle dans
chaque oeil, pour que selon leurs croyances, ils ne puissent pas trouver le
chemin de leur Paradis), massacre des
bisons (« au moins ceux-là les Comanches ne les mangeront pas »),
scalpe des Indiens, traite le demi-frère adoptif de Debbie (Martin, joué par
Jeffrey Hunter) qui l’accompagne tout au long de sa recherche comme un larbin
(parce qu’il a un huitième de sang indien) et les années passant, veut
retrouver sa nièce, non plus pour la libérer mais pour la tuer, car elle est
pour lui devenue une Comanche …
Jeffrey Hunter & John Wayne |
Tout l’art du scénario
consistant à ne pas expliquer le pourquoi de ce comportement, mais à donner des
pistes. L’action débute au Texas en 1868, trois ans après la fin de la Guerre
de Sécession, lorsque Ethan revient à la ferme de son beau-frère. Ethan, pas le
genre de type auquel on pose des questions. On devine en observant et écoutant
bien qu’il était un petit gradé, a été décoré, ne s’est pas rendu à la fin de
la guerre, a un petit capital en or acquis certainement peu légalement, a
peut-être eu une relation avec sa belle-sœur (une idée défendue par John Milius
dans les bonus du BluRay), a fréquenté les Comanches (et peut-être même leur
chef ravisseur) dont il parle la langue, … C’est cet aspect tout en non-dits
qui rend fascinant le personnage, certainement le plus complexe, le plus « noir »
joué par Wayne.
Et pourtant ce n’est pas Ethan
Edwards qui écrase le film. C’est l’environnement. Certainement parmi les plus
beaux extérieurs jamais mis en scène, les décors grandioses et lunaires de
Monument Valley, dans l’Utah. « La prisonnière … » est un projet
pharaonique, inconcevable de nos jours. John Ford, qui a quand même ce qu’il
est convenu d’appeler une solide réputation et les moyens qui vont avec, a
transporté un studio hollywoodien au cœur de Monument Valley. Des bulldozers
ont tracé des routes, creusé des retenues d’eau, des lignes électriques ont été
tirées, un campement-baraquement construit pour toute l’équipe du film (plus de
trois cent personnes). Bonjour le bilan carbone et la préservation du
patrimoine naturel… Le résultat coupe le souffle, les plan très larges de Ford
sont un ravissement pour l’œil. Même si à ce stade il convient de parler
technique. « La prisonnière … » est sorti à l’origine en Technicolor,
et VistaVision (le plus beau format cinématographique, dixit Scorsese - qui
doit s’y connaître un peu - dans les bonus). Un format qui a disparu des salles
de cinéma, et à plus forte raison des écrans de télévision. Il faut quand même
saluer la qualité visuelle remarquable de la version BluRay (image remastérisée
au format 16/9, d’une précision diabolique, on voit bien que les intérieurs
sont des décors, mais dès que les protagonistes enfourchent leurs chevaux et
qu’on a droit aux grands espaces, c’est un régal), mais dire aussi que la
partie son est ignoble (mono, souffles, sifflements et craquements divers, une
honte ... ). « La prisonnière … » est aussi une ode à la beauté de
l’Amérique au sens large (des scènes ont été tournées au Mexique, et d’autres
dans les neiges du Canada, notamment une superbe traversée de rivière glacée
par un détachement de soldats à cheval …).
John Wayner, dernière scène du film |
Ford se sublime, se dépasse sur
ce film. Lui qui se contentait le plus souvent de laisser l’action traverser le
champ d’une caméra fixe joue superbement des contrastes (le premier plan,
caméra à l’intérieur de la ferme, porte
qui s’ouvre, silhouette de la femme qui se découpe sur la lumière aveuglante du
désert, et son pendant symétrique sur la dernière scène, où là, c’est John
Wayne qui est devant l’encadrement, fait demi-tour, et s’en retourne vers le désert, mais aussi à deux reprises
l’action filmée depuis l’intérieur d’une grotte vers l’extérieur). Et puis,
surtout, et c’est la clé du film, le plan qui permet de saisir le personnage
d’Ethan Edwards, ce travelling avant (Ford est très économe de ce genre de
mouvements de caméra) sur son visage et son regard, alors qu’il vient de voir
dans le camp militaire si sa nièce ne se trouve pas parmi des prisonnières
blanches longtemps captives des Comanches et libérées par la troupe. Il y a
dans ce plan et ce regard tout le mépris et le racisme d’Edwards envers ces
femmes qui ont fini par perdre leurs racines « américaines » et ont
été « gangrenées » par la culture Comanche (à comparer avec les
pitoyables grimaces d’Eastwood dans le faussement humaniste mais très con « Gran
Torino »).
Natalie Wood |
Dans « La prisonnière
… », Ford et Wayne (copains comme cochons, c’est leur treizième film
commun, on les voit toujours ensemble en train de descendre des bières entre
les scènes et pendant les jours off,) dépassent pour le personnage central
d’Ethan Edwards leurs stéréotypes habituels. Que l’on ne me dise pas que cette
haine raciale du personnage principal n’a rien à voir avec le maccarthysme et
ses corollaires réactionnaires qui viennent tout juste de s’achever dans
l’Amérique des années 50, y compris dans leurs épilogues respectifs. Le final
du film, assez imprévisible et inattendu, ce brusque retour à l’humanité, est
le pendant de la déchéance finalement rapide de McCarthy et du revirement aussi
rapide de la société américaine dans la seconde moitié des 50’s.
Les personnages secondaires
peuvent aussi être perçus comme des visions allégoriques d’une tradition
typiquement américaine. Le personnage joué par War Bond, curé et militaire à la
fois, tenant à la main soit la Bible soit un Colt pour tirer dans le tas des
cavaliers Comanches, traduit bien tous les paradoxes de la mythique conquête du
Far West. Il y a aussi les héros de l’absurde (le fiancé de Lucy la sœur de
Debbie, également enlevée) qui se lance dans une attaque suicide du camp Comanche
après la découverte du cadavre de sa promise. « La prisonnière … »
est un film comme l’époque qu’il décrit, très violent. Alors qu’un Peckinpah
traduira une décennie plus tard cette violence par des gunfights interminables
dans des geysers de sang, Ford ne la montre jamais. Tout se passe hors champ,
est évoqué (la découverte par Edwards du cadavre de Lucy, violée puis abattue
par les Comanches).
« La prisonnière … »
n’est pas pour autant un film oppressant. Ford aère cette chasse à l’homme très
noire par des scènes beaucoup plus légères (un War Bond aux apparitions
toujours truculentes, le « mariage » de Martin avec une Comanche qu'il a achetée, le propre fils de Wayne dans un petit rôle de jeune
soldat « bizuté » par son père et War Bond qui improvisent la plupart
de leurs répliques et le forcent à suivre, …). De même le personnage de Moïse,
simplet lunaire, accompagnateur occasionnel de Martin et Ethan, et qui
finalement sera celui qui découvrira le camp Comanche.
Vera Miles |
Un mot sur les femmes. Un peu
des faire-valoir dans les westerns, et celui-ci n’échappe pas à la règle. Le
rôle féminin principal (Laurie, la fiancée de Martin) est tenue sobrement par
Vera Miles. Celui de la prisonnière Debbie est joué par les deux sœurs Wood
(Lana lorsque c’est une fillette, ensuite par Natalie). Même si elle figure en
bonne place sur l’affiche du film, Natalie Wood n’apparaît que quelques
minutes dans le dernier quart d’heure, et la célébrité toute personnelle
qu’elle obtiendra à cette époque-là vient de son interprétation un peu plus
consistante dans « Rebel without a cause » aux côtés de James Dean.
« La
prisonnière … » est par beaucoup considéré comme le sommet du western
« classique », avant que ce genre disparaisse quasiment pendant une
décennie des salles de projection et ne renaisse vers la fin des sixties avec
des noms nouveaux et un traitement totalement différent (Peckinpah, Penn, Leone,…).
« La prisonnière … » est aussi un peu le chant du cygne de John Ford
(« L’homme qui tua Liberty Valance » avec … John Wayne sera quatre
ans plus tard son dernier classique, son testament pourrait-on dire). John
Wayne s’en sortira un peu mieux (« Rio Bravo », western à huis-clos,
un peu l’antithèse de « La prisonnière … », « Le jour le plus
long »), mais pour ces deux monstres sacrés les années 60 allaient s’avérer
n’être pas faites pour eux …
Ah bon sang quel beau film !!! Oui, le sommet du western "classique" avec quelques autres tout de même, comme "Rio Bravo", sans doute encore plus académique.
RépondreSupprimerConcernant ta remarque sur les personnages féminins de western... Vrai chez Ford, mais pas chez Hawks, qui au contraire les traite d'égal à égal, en fait le moteur du film (La captive aux yeux clairs, Rio Bravo...).
Au rayon technique, comme tu dis, le format VistaVision prend les proportions du 1:85, donc très proches du 1:77 plus connu sous la norme de 16/9 pour les écrans télé. Le drame, c'est qu'en Europe, les caches de projection en salle n'avaient pas la même taille, mais 1:66. C'est pourquoi on connait en France tous ces films en format "carré", y compris en salle, alors qu'ils étaient tournés en format large pour les USA, et recadrés en carré pour l'exportation...
PS : un souci technique m'a empêché de lire tes allusions à Gran Torino, dommage, je ne peux donc réagir à tes propos...
Ah, la technique et ses soucis ... on peut pas être d'accord sur tout ...
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