THE RAKES - CAPTURE / RELEASE (2005)


Franz Ferdinand II

Bon, pour une fois je vais faire court (« Ouf ! C’était pas trop tôt ! » entends-je).
Parce que hein, y’a pas grand-chose à dire sur ces gars. The Rakes, groupe anglais, seconde moitié des années 2000, vomi du néant dans lequel il est retourné après trois disques dont ce « Capture / Release », son premier, considéré par les fans ( ? ) comme son meilleur, c’est dire le niveau supposé des deux autres.
Les Rakes, c’est quasiment du copier-coller de Franz Ferdinand, mêmes influences post-punk revendiquées (Magazine, Gang of Four, Buzzcocks, plus ici Talking Heads pour le côté rigide et martial ), mêmes chansons hymnes dansantes, la qualité, l’évidence et les arrangements en moins.
Poussant le vice du décalque jusqu’à partager l’affiche avec leurs modèles, ce qui s’est évidemment retourné contre eux, ils sont juste passés pour des suiveurs sans originalité, ce qui n’est pas faux. Autant Franz Ferdinand sont à peu près supportables sur un album (leur premier au hasard), autant les Rakes deviennent pénibles au bout de deux titres.
Bon, j’exagère … il y a au moins deux différences avec Franz Ferdinand, le chanteur des Rakes n’est pas beau gosse, il a un peu la même gestuelle désossée que Ian Curtis de Joy Division, et ils ont glissé dans la demi-heure que dure ce disque un morceau de ska (même pas mauvais, d’ailleurs).
Ah, et puis, ils sont bien anglais, les paroles de « Strasbourg », leur « hit », me laissent supposer qu’ils croient que l’Alsace est en Allemagne …

MEL BROOKS - LES PRODUCTEURS (1968)


La première folie de Mel Brooks

Et aussi la meilleure. Un gag ininterrompu de presque une heure et demie. D’un mauvais goût, d’une outrance et d’une méchanceté jubilatoires, confinant au génie.
Zero Mostel & Gene Wilder
Le scénario d’abord. Max Bialystock est un producteur minable de Broadway, finançant ses pièces minables en faisant le gigolo pour de (très) vieilles femmes fortunées. Il s’associe avec Leo Bloom, un comptable dépressif, coincé et hystérique (oui, tout ça en même temps) pour une escroquerie : lever massivement des fonds pour produire un spectacle musical tellement mauvais que son échec immédiat laissera les caisses des producteurs pleines. Il faut donc aux deux compères trouver l’auteur d’une pièce très mauvaise, la confier au pire metteur en scène, et embaucher les acteurs les plus mauvais de la place. Dès le départ, les ficelles sont énormes. Mais ça prend une tournure encore plus surréaliste quand il se trouve que la pièce retenue a été écrite par un ancien soldat nazi, est bien évidemment à la gloire de son dictateur moustachu (« Springtime for Hitler »), et que contre toute attente, malgré tous les ringards et les bras cassés qui la jouent, elle va faire un triomphe entraînant une situation imprévue pour les deux escrocs à la petite semaine …
Les acteurs ensuite. Pareil scénario rocambolesque ne peut fonctionner que s’il y a des « gueules ». Et là, Mel Brooks a fait fort, faisant défiler à l’écran une galerie de portraits hilarants, des petites mémés nymphomanes, à la secrétaire suédoise (nymphomane également, mais autrement plus sexy), en passant par une galerie de seconds rôles ou de figurants marquants (le metteur en scène et son secrétaire en caricature d’homosexuels arty, les prétendants au rôle d’Hitler, …). Mention particulière à Zero Mostel (un revenant, blacklisté pendant le maccarthysme) qui joue Bialystock, personnage rabelaisien, passant de la mimique désopilante au cabotinage le plus outrancier ; au quasi débutant Gene Wylder, tout juste aperçu l’année d’avant dans « Bonnie & Clyde » qui campe le petit comptable Bloom ; à Kenneth Mars, nazi nostalgique et colombophile, qui par son jeu semble échappé du casting de « La grande vadrouille » ; à Dick Shawn, qui est l’acteur-chanteur Lorenzo St DuBois (LSD – évidemment – pour les intimes) à qui on donne le rôle d’Hitler.
LSD dans "Springtime for Hitler"
Au comique de situation de tous les instants, s’ajoutent quelques effets visuels mémorables. Les deux meilleurs étant pour moi le détournement des fameux plans en plongée de Busby Berkeley filmant les figures géométriques réalisées par des armadas de danseurs ou de nageurs ; ici, des femmes soldats nazies et sexy forment … une croix gammée. Autre moment d’anthologie quand LSD lors de son audition se lance dans une chanson (« Love Power ») très psyché-hippy tout en imitant Jim Morrison, superstar du rock de l’époque …
A noter que Mel Brooks, qui écrit et réalise ce film, a composé quelques chansons pour la bande-son, dont ce « Love power » et « Prisoner of love » utilisé lors du final. Un curieux parallèle existe d’ailleurs entre ce punk avant l’heure de la caméra et Dee Dee Ramone, de la tribu des faux frangins punk Ramones. Ils finiront tous les deux, avec l’aide de quelques substances chimiques prises en quantités déraisonnables par enregistrer au début des années 80 un disque de … rap (non, quand même pas ensemble …).
Vu le thème majeur du film (la mise en scène d’une pièce glorifiant le nazisme et Hitler), il faut quand même préciser que Mel Brooks, mais aussi une bonne partie des gens ayant participé à ce film sont juifs, ce qui ne peut que désamorcer certains froncements intempestifs de sourcils … Cette histoire tellement délirante menée à un rythme infernal à d’ailleurs valu à Mel Brooks un Oscar pour le scénario. Et bien qu’il ait continué dans la même veine en revisitant d’une façon assez trash et destroy quelques genres incontournables, dont un pastiche des films d'horreur de la Hammer (« Frankenstein Jr ), et un autre de western (« Le shériff est en prison ») assez réussis, il ne retrouvera plus jamais la truculence débridée et iconoclaste des « Producteurs » …
Un remake est sorti en 2005, qui évidemment, n’arrive pas à la cheville de la farce déjantée originale …


Du même sur ce blog :

TAME IMPALA - LONERISM (2012)

Solitude standing ...

Celui-là, Kevin Parker, j’aimerais pas être à sa place … à peu près unanimement qualifié de génie uniquement sur la foi de ce disque (le précédent, « Innerspeaker », était passé à peu près inaperçu), par ceux qui sont payés pour donner leur avis sur des disques …  et qui doivent à chaque fois trouver des superlatifs dès que sort un disque, pour faire vendre du mag musical ou du Cd, alors que la plupart de ces soi-disant surdoués se délitent aussi sûrement à l’usage que du sucre en poudre dans du café bien chaud …
Kevin Parker est un Australien solitaire (d’où ce néologisme qui sert de titre à l’album), sorte d’autiste bohème (il habiterait maintenant à Paris pour des raisons sentimentales, voir la photo de pochette prise dans les jardins du Luxembourg), timide et complexé. Le genre de gars qui aime pas être mis en avant et qui se cache derrière un nom de groupe (Tame Impala, à la géométrie très variable) qui l’accompagne sur scène.
Kevin Parker
Un Kevin Parker qui a du talent, faudrait être sourd pour pas le reconnaître. Mais qui a aussi la chance d’avoir dans sa manche, ou plutôt en studio l’homme de la situation, le sieur Dave Fridmann. Un Fridmann qui a déjà poussé les boutons sur les consoles avec Flaming Lips, Mercury Rev, Weezer et MGMT, soit quatre bandes d’azimutés obnubilés par les chansons qui font « Shebam ! Pow ! Wop ! Wizzz » dans tous les sens. Fridmann, une sorte de gourou de la pop baroque et déjantée, est à mon sens indissociable de la qualité de ce « Lonerism ».
Car quelles que soient l’écriture et les idées de Parker – Tame Impala, toute cette luxuriance et ce foisonnement d’arrangements de Fridmann sont essentiels dans le rendu final. Parce que Parker avait placé la barre très haut. Reprendre les choses là où les cerveaux désintégrés par l’acide de gens comme Brian Wilson, Syd Barrettt, Arthur Lee les avaient laissé il y a quarante cinq ans est un pari osé. Faire du revival au son de tambourin près de  cet univers psychédélique explosé n’est déjà pas simple (les bacs à soldes sont pleins de Cds de gens qui s’y sont essayé, et il s’en lève tous les jours de nouveaux), mais réussir à en faire quelque chose qui ne soit pas daté et qui sonne actuel, contemporain, est encore plus compliqué. Le tout avec trois bouts de ficelle (la plupart des claviers et synthés utilisés datent du temps des dinosaures, certains étant même construits-bricolés par Parker lui-même), et en assurant la quasi-totalité des instruments.
Le résultat surprend, il flotte dans ce disque l’esprit du Floyd de Barrett, des Boys de Brian Wilson, du Love de Lee,  des Beatles de « Magical Mistery Tour », du Harrison mystique de « Here comes the Sun », assaisonné à la sauce Parker-Fridman. C’est bien simple, la dernière galette réussie dans ce genre, c’est pour moi « Around the world in a day ». C’était en 1985, ça ne nous rajeunit pas, et c’était signé Prince, on parle pas là du premier venu.
Tame Impala 2012
Ce disque est un tout, pas un assemblage de morceaux. Il y a une unité, une recherche esthétique et sonore, une sorte de progression comme dans les concept-albums ou les disques faits « sous substances ». « Lonerism » commence par un quasi instrumental en forme de comptine parasitée (« Be above it »), pour se terminer par un brouillage dissonant très krautrock d’un morceau commencé à la George Harrison (rien que le titre, « Sun’s coming up » fait très « Abbey Road »). Entre ces deux jalons, on revisite tous les plus grands, toutes les tendances du psychédélisme 60’s, jusque dans les tridents mythiques du heavy blues-rock (il y a du Cream ou de l’Experience sur « Mind Mieschief »). Très souvent, c’est bluffant, même si quelquefois l’aspect clochettes à tout-va et les traficotages en stéréo garanti imitation vintage peuvent finir par lasser. Il n’y a guère que le morceau choisi comme single (« Elephant »), sorte de boogie-glam à la « Can the can » de Suzi Quatro, qui dénote quelque peu dans ce pavé très psychédélique.
Maintenant, après cette indéniable réussite, Parker va se retrouver confronté à une attente conséquente (de la part du public, et plus difficile encore, de la part de la critique, prompte à brûler ce qu’elle vient d’encenser). Il lui faudra aussi passer par l’épreuve de la scène, avec la gageure de rendre intéressant, « rock », un disque dans lequel les synthés tiennent tout de même une place primordiale, et quand on sait que la vague electro des années 90 s’est dissoute dans son incapacité à assurer on stage quand quelques-uns de ses représentants s’y sont risqués, là aussi c’est pas gagné d’avance …
Et puis, et surtout, tant il apparaît évident que Fridmann joue un rôle essentiel dans ce disque, Tame Impala réussira t-il à renouveler la qualité de ce Cd sans son producteur, ou les deux vont-ils se lancer dans une association à la Marley-Perry, U2-Eno, Sinatra-Riddle, Cash-Rubin, …, pour poursuivre à ce niveau ? C’est tout le challenge proposé à Kevin Parker après ce très bon « Lonerism » …


Du même sur ce blog :

GOSSIP - MUSIC FOR MEN (2009)


Pour nous les hommes ?

Les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures, faudrait qu’ils arrêtent bientôt. Parce que là, hum, comment dire, c’est un peu … gros leur truc. Ou doit-on dire son truc, tant il n’y en a que pour la Beth Ditto dans cet ersatz de groupe de rock. Et la pauvre batteuse (très moche, il va de soi) en gros plan sur la pochette doit se demander ce qu’elle fout là, elle dont absolument tout le monde ignore le nom.
Ce « Music for men », c’est du vide bien orchestré. Très bien, même. Il y a un son d’enfer, des petits arrangements roboratifs de partout (peuvent dire merci à Rick Rubin, sans qui ce disque serait une horreur absolue) au service de ce qu’on appellera charitablement des morceaux misérables. Tous construits de la même façon. Couplets mid tempo, et gros riffs de guitare sur le refrain up tempo. Deux exceptions, le premier titre (« Dimestore diamond »), tout en tension larvée et qui laisse à tort augurer de bonnes choses qui n’arrivent pas, et le dernier (« The breakdown »), exécrable ballade gluante, bruit de bidet final de cette sanisette sonore.
Ce qui sauvait quelque peu le précédent (« Standing in the way … »), c’était la voix de Ditto, qui sans pouvoir être comparée aux grandes shouteuses (Joplin), ou aux grandes abîmées (Holyday), se baladait avec une facilité assez déconcertante et bluffante sur les morceaux. Là, quelqu’un dans sa maison de disques a dû lui dire qu’il fallait assurer, qu’elle avait en charge une petite entreprise qui tournait bien, ce genre de plan marketing rance visant le plus grand nombre … Finies les extravagances castafioresques, on pose bien comme il faut et bien gentiment sa voix, et on chante tous les titres de la même façon. Le résultat, on a l’impression d’entendre la fatale Pat Benatar d’il y a trente ans. La Ditto aligne ses petits rocks gentils-mous teintés de disco sans aucune once d’imagination vocale, sans aucune prise de risque. Du formatage pour le « grand public » dans tout ce qu’il a de tragique.
Alors ça fonctionne le temps d’une paire de titres qui ont fait des hits passables (« Heavy cross », « Love long distance »), et puis ça lasse, mais lasse … Et il y avait finalement quelque chose de pathétique à voir la Ditto venir faire dans les shows télé son numéro de diva transgressive (enfin, transgressive tu parles, tout est « on control », on est quand même loin de Divine, l’égérie de John Waters), maquillée comme un semi-remorque volé, pour être sûre qu’on la remarque bien … Cette fille a certainement du talent, elle le gâche pour son warholien quart d’heure de gloire. Il semble d’ailleurs que la supercherie a assez duré, le dernier pensum de la Gossip girl s’est fait descendre par à peu près tous les médias dits ou prétendus spécialisés …
Pour faire bonne mesure, comme d’hab, quelqu’un dans la maison de disques s’est cru malin en rajoutant à la fin du Cd trois remixes d’une insondable crétinerie …

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Standing In The Way Of Control 

JANE'S ADDICTION - NOTHING'S SHOCKING (1988)


Addictif

A sa sortie, ce disque est passé relativement inaperçu. Faut dire qu’il tombait assez mal. Dans le grand supermarché du rock, au rayon heavy, les Guns’n’Roses vendaient des disques par millions, écrasant toute velléité de concurrence. Même si Jane’s Addiction et les Gunners ne sont pas vraiment concurrents.
Certes ils viennent tous les deux de Los Angeles et du hard-rock des seventies, mais les similitudes s’arrêtent là. Ils deviendront même incompatibles parmi ceux qui les citent comme références. Autant les Guns ne sont finalement que le dernier stade de dégénérescence d’un show-biz à l’américaine ultra-prévisible, autant Jane’s Addiction va devenir, sans l’avoir vraiment cherché ou provoqué, le porte-drapeau de tous ceux qui veulent faire du rock fort en gueule, mais rejettent tout son côté strass et paillettes. Autant les premiers seront débinés par les tenants du tsunami grunge et du rock indie en général (qui ont oublié au passage que « Appetite for destruction » est un disque colossal), autant le groupe de Perry Farrell deviendra le symbole d’un rock dur intransigeant et intègre.
Un peu à leur corps défendant, ils n’avaient rien au départ de porte-drapeaux de quoi que ce soit. Il s’est toujours dégagé de ce groupe des vibrations malsaines, dérangeantes. Ils ont toujours fait se côtoyer des agressions frontales classiques, basiques, avec des titres plus sournois, plus retors, et ont toujours préféré le choc des mots et des photos au boucan des Marshall.
Jane’s Addiction, c’est pourtant nettement la famille hard. Mais la section rythmique s’éloigne souvent des sentiers battus et des chemins balisés du genre. Perry Farrell est un chanteur atypique, il n’a pas la voix des ténors chevelus qui ont fait la légende du rock lourd, et cultive un aspect physique androgyne loin des clichés machos de mise. Quant à Dave Navarro, c’est tout simplement le dernier guitar-hero, caractériel misanthrope et défoncé, débiné par beaucoup (et notamment les fans des souvent pénibles Red Hot Chili Peppers), mais qui laisse une trace définitive sur tous les titres … une sorte de Ritchie Blackmore version années 90 …
Tout ce côté atypique de Jane’s Addiction, on le découvre d’entrée. Alors que n’importe qui essaie avec le premier titre d’accrocher l’oreille de l’auditeur, on a ici un quasi instrumental tendu comme un string de bimbo, la voix de Farrell est filtrée, et Navarro se signale déjà à l’attention de ses contemporains par quelques descentes de manche tarabiscotées. Par la suite, ça s’arrange pour ceux qui aiment le boucan, « Ocean size » et « Had a Dad » (le premier zeppelinien en diable, le second heavy bien saignant), ont de quoi contenter le headbanger de base. Et de nouveau les Jane’s Addiction surprennent leur monde, embrayant sur le titre le plus long du disque, « Ted, just admit it … », sorte de planerie psyché et mystique, adressée à un serial-killer, avec un Farrell qui se pose en conscience des victimes. On est quand même assez loin des odes célébrant les gonzesses, les bagnoles et la picole de la plupart des concurrents.
Ce sont d’ailleurs ces digressions sonores, et ces écarts aux « fondamentaux » littéraires du hard qui font de Jane’s Addiction un groupe totalement à part dans son époque. Attention, ils ne font pas n’importe quoi pour autant (enfin, si, il y a un titre heureusement très court de swing jazz vers la fin), on sent bien qu’ils ont écouté et pas qu’une fois l’intégrale de Led Zeppelin, et à ce titre « Standing in the shower … » est le « Stairway du heaven » de ce disque, du moins par sa construction. Musicalement aussi, on s’éloigne des sentiers archi-battus du genre, un morceau comme « Janes says », tant par son titre que par son côté acoustique, faisant inévitablement penser au Velvet Underground. Une seule réserve, « Idiots rule », funk-rock (avec même des cuivres) à la Red Hot Chili Peppers n’est pas réellement convaincant.
Transgressif, Jane’s Addiction ne l’est pas seulement par son approche toute particulière du hard-rock, le groupe l’est aussi par des visuels glauques ou dérangeants, comme cette photo de pochette avec ses deux siamoises nues et en flammes, plus encore avec la peinture du suivant (Farrell en train de peloter deux femmes nues), le successful « Ritual de lo habitual ».
Le groupe sera somme toute éphémère, et aura une existence en pointillés avec épisodiquement des reformations (le dernière en date cette année ne semble pas faire l’unanimité). Il faut dire qu’entre-temps Farrell sera très occupé avec le festival indie, crossover et itinérant qu’il a monté (Lollapalooza), tandis que de son côté Navarro, entre disques solos inégaux et participations diverses (l’excellent « One hot minute », disque et tournée avec les RHCP, étant la plus connue et allez savoir pourquoi, également la plus controversée), fera beaucoup parler, pas toujours en bien …


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FATBOY SLIM - BETTER LIVING THROUGH CHEMISTRY (1996)


Joueur de disquettes ...

Et on pourra pas dire le contraire, y’en a une sur la pochette …
Bon sinon, lui c’est le Guetta des années nonante, à égalité avec Moby. Au moins en terme de popularité, le technoïde qui a vendu des millions de disques et drainé des milliers de personnes à ses … hum … concerts. La preuve que c’était un type qui comptait, c’est que Eminem (le grosse affaire du rap de l’époque, qui voyait en lui un rival commercial) en avait fait son ennemi et une de ses cibles privilégiées.
Pourtant il était plutôt cool, Grosgarçon Mince. Et c’était assez marrant de voir que la figure de proue de la musique des djeunes était un type à la trentaine bien sonnée, et qui venait de « chez l’ennemi ». Ce que n’ont pas manqué de lui reprocher les autres joueurs de disquettes, et aussi tous les pop-rockeux quand ils ont su que le Fatboy, dans une autre vie et sous un autre nom (Norman Cook) avait été le bassiste des Housemartins. Lesquels Housemartins (bon groupe au demeurant, leur « London 0 – Hull 4 », est un des bons disques ignorés des 80’s), depuis longtemps disparus, n’avaient jamais eu leur nom aussi souvent cité …
Fatboy Slim réinvente le mange-disques ...
« Better living … » est le premier disque de Fatboy Slim, qui grouillote dans le monde des machines depuis pas mal de temps, son plus haut fait d’armes étant jusque-là sa participation aux éphémères Beats International, une des météoriques figure de proue des années house …
Fatboy Slim a un gros avantage sur des condisciples techno, il vient du rock, en connaît parfaitement les rouages et grosses ficelles, et à l’heure où les joueurs de disquettes commencent à se tourner vers les rythmes binaires qui claquent (Prodigy, Chemical Brothers, …), qui d’autre que lui pouvait être mieux placé pour incarner la musique électronique recherchant la plue-value marchande en mettant dans sa poche le public « rock », et surtout son pognon …
Même si le premier single (« Everybody needs a 303 ») sorti de ce « Better living … » ressemble à une chanson ( ? ) d’amour ( ?? ) à un synthé (le Roland TB 303), ce qui fera la renommée et la fortune de Cook, c’est lorsque qu’il se tourne résolument et sans équivoque vers le « rock », ou du moins ses clichés … Comme sur « Going out of my head », basé sur un gros riff de guitare garage, voisin de celui de « Louie Louie » qu’il fait tourner en boucle. Et quand c’est pas des clins d’œil appuyés au rock, c’est à de vieilles choses de la même « famille », comme la country sur « The sound of Milwaukee », le hip-hop du début des 90’s (« Song for Lindy », agrémenté de piano house et d’une boucle de guitare filtrée), le groove psyché (« The weekend starts here » qui évoque les Beastie Boys guitare-basse-batterie-claviers de « Check your head »). On trouve aussi une sorte de jazz-funk électronique (« First down ») comme Herbie Hancock en faisait dans les 70’s, et quelque chose qui semble un hommage aux premiers disquette heroes du début des années 90 (Orbital, Shamen, …) « Give the po’ man a break ».
En fait, plus qu’un défricheur sonore, Fatboy Slim est plutôt un recycleur malin, piochant à droite à gauche des sons « nouveaux », des gimmicks « tendance », les assemblant dans un format radiophonique (pas de titres de vingt minutes). Même s’il se laisse aller à quelques facilités (le démonstratif « 10th & Crenshaw », aussi intéressant qu’un solo de guitare de Joe Bonamassa, le mal nommé « Punk to funk » sans rien de punky ou de funky), Fatboy Slim a réussi un disque bien foutu de techno centriste et commence à se positionner comme quelqu’un qui « compte » dans le milieu. Le jackpot viendra deux ans après « Better living … » avec un disque encore plus « facile » disent les puristes, en tout cas encore plus consensuel, « You’ve come a long way, Baby » …

THE ROLLING STONES - BETWEEN THE BUTTONS (1967)


Une verrue ?

En tout cas un des deux disques (avec son successeur « Satanic majesties … ») les plus controversés de la période « royale » des Stones (en gros les dix premières années).
Un « Between the buttons » à forcément replacer dans le contexte de la musique de l’époque et dans celui de la carrière des Stones. Un groupe qui fonctionne curieusement. Mick Jagger et Keith Richards en écrivent tous les titres, Brian Jones en est l’âme (et celui qui avec ses idées d’arrangements jusque là souvent géniaux transcende ces titres), et Andrew Loog Oldham leur manager chapeaute cette bande de chevelus et gère toute la partie business et communication de l’affaire.
Sauf que la belle mécanique qui réussi à imposer le groupe, culminant artistiquement avec le disque « de chansons » « Aftermath » commence à s’enrayer en cette année 67. Jagger et Richards voudraient être les leaders de fait, Brian Jones encaisse beaucoup moins bien que les autres toutes les drogues qui circulent dans le Swingin’ London depuis 1965, et Andrew Loog Oldham commence à montrer ses limites devant la gestion  de la popularité qui devient gigantesque et mondiale des Stones. Plus quelques histoires de fesse (la liaison jugée scandaleuse de Jagger et Faithfull, et Keith qui pique Anita Pallenberg à Brian). « Between the buttons » paraît en début d’année et tout çà est déjà en filigrane.
Les Stones ont tenu la dragée haute aux Beatles (« Aftermath » vaut bien « Revolver ») en allant sur leur terrain (la chanson pop). Oldham décide de poursuivre cette compétition loyale (la prétendue rivalité entre les deux groupes n’est qu’invention journalistique, Beatles et Stones s’apprécient, copinent facilement, et évitent de sortir leurs singles en même temps).
Sauf qu’avec « Between the buttons » les Stones vont coincer. Et encore faut-il savoir de quel « Between … » on parle. L’édition anglaise, qui ne contient pas « Let’s spend the  night together » et « Ruby Tuesday » est assez catastrophique, ces deux hits sauvant ce qui peut l’être sur l’édition américaine, qui est celle à privilégier. Ces deux titres se passent de commentaire, ce sont deux classiques absolus du groupe archi-célébrés, et ils figurent dans toutes les compilations décentes des Cailloux.
Parmi le répertoire commun aux deux éditions, il faut aussi mettre dans la besace de survie des choses comme « Miss Amanda Jones » (très influencé par Chuck Berry et dont le sujet serait une allusion-private joke sur Amanda Lear, un temps copine de Brian Jones), et la très pop « Yesterday’s paper » qui aurait eu sa place sur « Aftermath ». Le reste est infiniment plus problématique, on sent le groupe peu concerné. Mention particulière à « Cool, calm & collected », titre façon jazz New Orleans (?), avec arrangements semble t-il de sitar (??) et de kazoo (???), un Jagger totalement à côté de la plaque, pour un résultat qui doit être le pire morceau estampillé Stones des années 60. On sent les Stones perdus. Au moins « Satanic Majesties … », le suivant aura une « cohérence », embourbé tout du long dans son psychédélisme de pacotille. « Between the buttons » est perdu sur l’océan de sons nouveaux qui apparaissent dans le rock, pagayant un coup vers Dylan (« Who’s been sleepin’ here » avec harmo et guitare sèche), un autre vers la soul d’Otis Redding (« My obsession » gâché par une grossière fuzz hors-propos), se naufrageant sur le son girl group Motown – Spector (« Connection »). Et même quand les Stones font du Stones (leur inimitable fouillis rhythm’n’blues des premiers disques), c’est quelque peu en roue libre, sans grande conviction (« All sold out », « Complicated »).
Paru aux premiers jours de 1967, « Between … » inaugure pour les Stones une période de vaches plutôt maigres (artistiquement parlant, commercialement ça ira bien pour eux, merci …) jusqu’en mai 68 et la parution de « Jumpin’ Jack Flash ».

Des mêmes sur ce blog :

Aftermath 
Beggars Banquet

It's Only Rock'N'Roll 
Blue & Lonesome

JULOS BEAUCARNE - JULOS CHANTE POUR VOUS (1970)


Mignonne, allons voir si la rose ...

M’en souviens … c’était vers le milieu des seventies, on finissait quelques fois les soirées chez des babas cools, assis-écroulés par terre, plafond tapissé de fumées aromatiques, et vinyles qui tournaient sur des stéréo pourries … et avant les trucs qui déchiraient leur race (chez ces gens-là, c’était Gong ou Yes, ceci expliquant de vieilles haines tenaces pour ces guignols), on avait droit à tous ces fuckin’ poètes « engagés » sur la platine, les Ferré, Ferrat, Béranger et consorts … et dans le lot, ce zigoto au blaze improbable, Julos Beaucarne.
Un nom pareil, ça s’invente pas. Faut dire qu’il est Belge, ça n’explique pas tout, mais ça donne des circonstances atténuantes. Il paraît qu’au fil du temps, ce gonzo est devenu une institution dans son plat pays, une sorte de gourou écolo-rustique. Et même si nous on est putain de mal barrés, faut être sport et reconnaître que les Belges ont vraiment pas de chance avec leurs chanteurs …
Cet illuminé a enregistré une palanquée de disques, dont ce « Julos chante pour vous », très prisé chez les babs suscités. Même avec les précautions d’usage (gaffe aux incidents diplomatiques, y’a des Flamands et des Wallons qui me lisent parfois), il faut dire les choses, ce type est un ringard perpétuel total. Un gus obnubilé par les poètes de la Pléiade  (Ronsard, Du Balai, tous ces types morts y’a presque 500 ans), et la littérature courtoise (fin du paléolithique supérieur, XIIIème siècle).
C’est tellement cliché dans le genre guitare en bois et vocabulaire désuet que ça ferait passer ses semblables Guy Béart et Yves Duteil pour de dangereux punks. Il y a dans ces odes à sa douce mie (prononcez comme Julos « mi-euh », tous les « e » sont accentués chez les poètes ringardos) plein de mots que même le fan-club de Julien Lepers (ou de Sexxion d’Assaut) ne doit pas connaître.
D’ailleurs, à titre didactique, et pour épater ceux qui dans le temps sont allés voir sur le Larousse ce que signifiait « désinvolte » de Noir Désir ou « obsolète » de MC Solaar, voici, piochée dans la poésie rance de ce skeud, un florilège de mots à éviter sur vos prochains SMS : ingénu, déplaise, embruns, chanteur mécanique (pour juke-box !), cahote, gavotte, barde, troubadour, mandoline, écu, mijaurée, minauderie, ambroisie, enchanteresse, sollicitude, majordome, patriarcale, électrolyse, ostensoir, sire, tromblon, gélatineux, picote, frimas, zéphyr, mirer, … quant aux douces et tendres qu’il courtise, elles se prénomment Aldegonde, Rose, Gertrude, Elyse …
Logiquement, à côté de pareilles choses, le premier Le Forestier a fait figure de disque de folk révolutionnaire …

THE LAST SHADOW PUPPETS - THE AGE OF UNDERSTATEMENT (2008)


Puppets on the strings ...

Comme quoi, faut se lâcher des fois … ce disque bâclé en deux semaines va se révéler être un de ceux dont il était de bon ton de causer en l’an de grâce 2008. Deux copains se lancent dans une jam plus ou moins informelle, loin des calculs de rentabilité et des schémas du show-business musical, torchent un titre par jour en studio, gardent les douze meilleurs pour le Cd, les autres agrémentant les faces B de singles.
Faut pas rêver non plus, c’est pas exactement un scénario à la Disney. Ce disque n’a été possible que parce que l’un des deux lascars est hautement bankable, c’est Alex Turner, leader des Arctic Monkeys, big thing en terme de ventes dans l’Angleterre des années 2000. L’autre, c’est Miles Kane, leader des plus obscurs Rascals, dont il ne tardera pas d’ailleurs à s’émanciper.
Et là, comme des enfants gâtés enfermés dans le magasin de jouets, les deux potes se laissent aller à des exercices de haute voltige, récitant dans leurs chansons les gammes de quarante et quelques années de pop anglaise. Parce que plus anglais que l’ossature de ces chansons, y’a pas. Mais là où l’affaire prend une tournure curieuse, c’est lorsque les deux gaillards « embauchent » le très sérieux London Metroplitan Orchestra, et font arranger les empilages de cordes par un type (Owen Pallett) venu de la galaxie Arcade Fire. Du coup, rajoutées à une forme de maniérisme ampoulé très Scott Walker dans le chant, beaucoup de choses sonnent comme les productions sixties de Lee Hazlewood, songwriter américain certes, mais un des plus influencés par la musique (surtout classique) européenne.
La boucle est bouclée. Surtout que quand on parle de Scott Walker, son plus fidèle disciple David Bowie n’est pas loin. Un de ses vieux titres pré-Space Oddity (c’est dire si ça ne rajeunit personne, et surtout pas lui) « In the heat of the morning » sera enregistré par Turner et Kane mais ne sera pas retenu dans le tracklisting du Cd.
Bon, j’ai comme l’impression d’être un peu confus là … mais ce disque l’est aussi. Il part un peu dans tous les sens, multipliant clins d’œils et références, comme si Turner et Kane, libérés des contraintes de leurs groupes respectifs, étaient allés fureter vers des sentiers jusqu’alors interdits. « The age of understatement », le morceau, est une cavalcade contry-western, thème d’un film imaginaire. Niveau cinématographique, les génériques des James Bond sont en filigrane derrière « In my room ». « Standing next to me », c’est une plongée nostalgique dans les bluettes pop du Swingin’ London circa 66, « Separate » renvoie aux Smiths des débuts.
Tout n’est pas parfait, quelques titres font un peu « léger », « Only the truth », sorte de « Paint it black » cafardeux et dépouillé, « Meeting place », musique de plage caraïbe dans lequel les deux lads se la jouent un peu trop facilement Harry Belafonte, « Calm like you », exercice quelconque à la Scott Walker.
D’une façon globale, les morceaux avec les cordes sont très bons, en évitant le piège de la grandiloquence et du pompiérisme dans lequel tant de Moody Blues et Procol Harum se sont perdus. « The age of understatement » n’est pas un disque crucial, c’est juste un exercice de style brillant, la réunion dilettante de deux des auteurs anglais les plus intéressants de la dernière décennie…



ALAIN RESNAIS - HIROSHIMA MON AMOUR (1959)


Tu n'as rien vu à Hiroshima ...

« Hiroshima mon amour » est le premier film d’Alain Resnais, pas un inconnu derrière la caméra pour autant, réalisateur « engagé », dont un documentaire « Nuit et brouillard » sur les camps de concentration nazis a déjà marqué quelques esprits.
Cette guerre mondiale qu’il a vécue (Renais est né en 1922) est aussi au cœur de son premier long métrage. Au scénario, une jeune écrivain « Rive Gauche », qui rêve de faire bouger les lignes de la littérature bourgeoise, Marguerite Duras. Ça tombe bien, Resnais va faire évoluer le cinéma, et pas seulement français.
Les dix premières minutes de « Hiroshima … » sont un choc visuel et esthétique. Des visions d’un couple nu tout d’abord recouvert de cendres, entrecoupées d’images purement documentaires sur une Hiroshima dévastée par la bombe atomique, une musique lancinante et obsédante (signée Georges Delerue et Giovanni Fusco), et une phrase qui revient, hypnotique : « Tu n’as rien vu à Hiroshima ». Une ouverture qui laisse scotché, quelque peu béat devant cette forme d’hermétisme où se mêlent poésie des corps enlacés et visions crues des stigmates nucléaires sur la ville et ses habitants, morts ou rescapés …
Petit à petit, l’intrigue et les personnages se mettent en place. Elle (jamais de prénoms ou de noms ne sont cités) est française, actrice, et termine (c’est son dernier jour au Japon) un tournage à Hiroshima. Lui est japonais, architecte. Tous les deux sont mariés, ont certainement des enfants. La brève passion dévorante qui les unit touche à sa fin, ils vont devoir irrémédiablement se séparer. Cette dernière journée sera pour les deux l’occasion d’une mise à nu émotionnelle. Chacun a ses secrets, des brisures profondes issues de la guerre.
Lui a au fond de son cœur le traumatisme d’une population « atomisée » par l’ennemi militaire (« Hiroshima … » n’est jamais un film à charge contre les Américains qui ont bombardé, mais contre le bombardement lui-même et ses conséquences).
Elle, c’est le personnage « fort » du film (assez rare dans le cinéma de l’époque, trop souvent reflet d’une société patriarcale). Provinciale de Nevers, elle est tombée toute jeune amoureuse d’un soldat allemand des troupes d’occupation (Bernard Fresson dans un de ses premiers rôles). Là aussi, Resnais et Duras zappent volontairement le nazisme. « Hiroshima … » n’est pas un film à vocation idéologique, c’est un film sur une histoire d’amour impossible. Et Elle fera dans ces dernières heures passées avec Lui un transfert de son amour de jeunesse « immoral » (on sait comment ont fini en général ces amants « maudits » de l’Occupation, et Elle et le soldat allemand n’y ont pas échappé) avec son amour forcément sans suite inenvisageable avec Lui, allant jusqu’à fusionner ces deux hommes qui ont traversé sa vie à quinze ans d’intervalle.
C’est le récit de cette liaison à Nevers, alors qu’ils sont attablés dans un bar, qui est le cœur du film. Un récit que rien ne vient parasiter, pas de musique, aucun bruit d’ambiance, seul le dialogue des deux acteurs, et le parallèle et la confusion entre l’Allemand et le Japonais. Un récit conclu par une magistrale paire de claques qu’Il lui donne.
Elle, c’est Emmanuelle Riva, troublante (très) plus que belle. Lui, c’est un acteur japonais Eiji Okada. Il y a dans leurs échanges tout ce détachement, cette lenteur typiques des dialogues de ce qui deviendra la Nouvelle Vague et que ce film commence à codifier. Tous ces gros plans, ces regards fixes, comme éteints par le poids de leurs destins, alors que l’on sent à l’intérieur l’incendie qui les consume.
Resnais fait preuve sinon de virtuosité, du moins d’une maîtrise certaine, dans ces deux histoires d’amour qu’il mène en parallèle. Si la fin de la première est montrée, celle d’Hiroshima est laissée en suspens, même si rien ne laisse supposer une happy end. Resnais joue les contrastes entre une ville de la France victorieuse, mais terne et grise, et celle d’Hiroshima, rasée mais qui renaît dans la lumière et le mouvement.
« Hiroshima … » a été dès sa sortie perçu comme un chef-d’œuvre, un film sans équivalent, sans référence dans le passé du septième art. Bon, je vais pas jouer les malins, mais j’en ai vu une. L’hôtel dans lequel Elle est descendue et dont on voit l'enseigne dans la dernière bobine s’appelle le Casablanca Hotel … Euh, « Casablanca », ce serait-il pas un film avec Bogart et Bergman qui raconte leur impossible amour sur fond de guerre mondiale ? Et ça ne voudrait-il pas dire que les deux films ont le même épilogue, même si ici il n'est pas montré ?

JEAN-LUC GODARD - MASCULIN FEMININ (1967)


Les enfants de Marx et de Coca Cola

La décennie prodigieuse de Godard, c’est celle des années 60, avec sa triplette de chefs-d’œuvre (« A bout de souffle », « Le mépris », « Pierrot le Fou »). Et quelques autres, un peu moins célébrés, le plus souvent à juste titre, tant le prolifique réalisateur donnait parfois l’impression d’être en roue libre face à son scénario et derrière la caméra. Dont ce « Masculin Féminin » de 1967.
Le pitch est simple, pour ne pas dire simpliste. L’histoire raconte la relation entre deux jeunes, Julien (Jean-Pierre Léaud) et Madeleine (Chantal Goya), et à vrai dire, on a l’impression que Godard s’en cogne un peu de cette histoire, elle n’est qu’un prétexte à ses légendaires digressions, et on est même un peu surpris qu’il la conclue, et en plus d’une façon assez abrupte et inattendue …
Masculin Féminin - Jobert, Goya, Léaud au cinéma 
« Masculin Féminin » est un film typique de la Nouvelle Vague. Après l’exubérance colorée de « Pierrot le Fou », Godard revient à un strict noir et blanc en 1/33, filmant souvent ses acteurs en gros plans serrés, et surtout, voire exclusivement  le visage des filles lors des scènes de dialogue.  Le choix de Léaud pour le rôle principal n’est évidemment pas innocent, il y joue à quelque chose près « son » rôle d’Antoine Doinel, adulescent existentiel et désabusé (d’ailleurs Julien se fait passer pour le général Doinel lors d’une scène-gag vers la fin du film). Léaud – Julien vient de finir son service militaire, réalise occasionnellement des sondages pour l’IFOP, son meilleur copain est un syndicaliste CGT, et Julien tombe plus ou moins amoureux de Madeleine, employée dans un magazine pour ados et qui rêve de devenir chanteuse yé-yé à succès.
Le film se passe dans Paris, avec en toile de fond l’élection présidentielle de 1965. A travers cette trame, Godard se livre à une mise en abyme de ses préoccupations en matière sociétale. Ici la politique et le sexe sont au centre des discussions. Godard n’y allant pas avec le dos de la cuillère, les censeurs de l’époque ne trouvèrent rien de mieux à faire que d’interdire à sa sortie le film aux moins de dix-huit ans. Sous prétexte que l’on y parlait de moyens contraceptifs, d’amour tarifé, que l’on y voyait deux hommes s’embrasser dans les chiottes d’un cinéma, Julien et deux femmes (tous en pyjama) dans le même lit, et une étrange relation quasi sado-maso dans un film dans le film … Aujourd’hui, y’a vraiment pas de quoi intéresser le fan de base des productions Marc Dorcel, mais cela traduit bien le puritanisme exacerbé des années 60, et la farouche volonté transgressive de Godard.
Masculin Féminin - Symboles ou clichés ?
Qui évidemment ne se prive pas de livrer quelques sentences et aphorismes de son cru, souvent affichés plein écran (le film est divisé en 15 chapitres), la plus célèbre étant « Ce film aurait pu s’appeler : Les enfants de Marx et de Coca Cola ». Mais aussi quelques dialogues croustillants : « Y’a plus de papier dans les chiottes ? – Prenez le Figaro sur la commode ! » ... Godard se veut aiguillon d’une rébellion-révolte-révolution dont la jeunesse serait l’épicentre. Il s’en prend à l’impérialisme américain tant militaire (la guerre du Vietnam) que culturel. Dans ce domaine, une de ces cibles est  Bob Dylan, « accusé » de vendre 10 000 disques par jour. Et le nom de famille de Madeleine, qui préfigure la Bécassine que deviendra la vraie Chantal Goya, est Zimmer (comprenne qui pourra ou qui voudra). Godard n’hésite pas à faire se lancer ses personnages dans du name-dropping pour les ancrer dans la réalité (sont évoqués ou présents sur des affiches le Bus Palladium, Hallyday, Sylvie Vartan, Alain Barrière, Ronnie Bird, …). Mais Godard fustige la frivolité de la jeunesse, son insouciance face à ce que lui pense être les vrais sujets de préoccupation. A ce titre l’interview d’une Miss de magazine est un moment d’anthologie, et on vient à se demander si ces répliques surréalistement naïves sont écrites ou naturelles par la transparente nunuche …
Un film de Godard des années 60 ne serait pas « normal » s’il n’était pas traversé de quelques personnages lunaires qui apparaissent furtivement dans le champ pour quelques passages incongrus (le gars qui cherche le Palais des Sports, la femme qui flingue son mari à la sortie du bistrot, le jeune loubard qui se fait hara-kiri, l’opposant au Vietnam qui s’immole hors-champ). Même Brigitte Bardot y va de sa courte apparition (1’30) dans à peu-près son propre rôle d’actrice répétant une pièce de théâtre. Tiens, au rayon pin-ups de l’époque, on aperçoit quelques secondes Françoise Hardy sortant d’une limousine américaine que vont taguer Julien et son pote …
Masculin Feminin - Bardot, figurante de luxe
Godard est en colère contre cette jeunesse amorphe et lobotomisée, que l’activisme politique ne « sauve » même pas (voir la scène où Robert, le copain syndicaliste d’Antoine, tente maladroitement de séduire Catherine-Isabelle, l’amie de Madeleine). En fait Godard, malgré tous ses efforts ne comprend pas grand-chose à la jeunesse (une jeunesse qu’il voudrait révolutionnaire et qu’il montre sombrant dans les futilités yé-yés), ni à ses aspirations. Il y a un monde entre ce réalisateur de trente cinq ans et ceux qui ont quinze ans de moins que lui, et on sent que ça l’énerve. Et finalement, il finit par donner une image somme toute convenue, limite réactionnaire et mysogine d’une génération qu’au fond de lui il semble mépriser pour sa nonchalance. Godard se montre particulièrement dur avec ses personnages féminins, transparents et sans relief (l’indécision finale de Madeleine, le rôle peu valorisant confié à l’autre débutante Marlène Jobert, la séquence avec la fille dans le photomaton …)
« Masculin Féminin » plus qu’un film sur la jeunesse se révèle finalement plutôt un film à charge contre la jeunesse. Godard est trop dans son monde, trop dans sa tour d’ivoire, et commence à traduire son asociabilité de génial réalisateur qui deviendra finalement récurrente chez lui …

Du même sur ce blog :


WILLIE NELSON - SHOTGUN WILLIE (1973)


Rebel Rebel

Depuis des décennies, Willie Nelson est une institution au pays de Mitt Romney. Le genre de figure tutélaire incontournable qui surgit lorsque l’on parle musique populaire blanche, le voisin de palier d’Elvis ou de Springsteen. Et si pour ces deux-là les choses se sont emmanchées rapidement pour l’accès au mega stardom, Nelson fut pendant plus d'une décennie un de ces galériens plus ou moins obscurs du music business, ne devenant vraiment une star, avec la popularité qui va avec, qu’à la fin des 70’s avec le succès de son très mainstream « Stardust ».
Végétant chez l’antique label RCA, dans lequel il était en gros confiné au rôle du cow-boy chantant de service, Willie Nelson va effectuer un bond artistique prodigieux en signant chez Atlantic en 1973. Surtout parce que conjointement il devient la figure de proue du mouvement Outlaw, tous ces artistes country (lui, Tompall Glaser, Kristofferson, Jennings, …), ruant dans les brancards conventionnels qui sclérosaient le genre, le réduisant à une musique de ploucs faite par des ploucs pour des ploucs, et chapeauté par des requins nashvilliens verrouillant toute la partie économique de l’affaire …
Et d’entrée chez son nouveau label, Nelson va frapper fort avec ce « Shotgun Willie ». Atlantic lui donne les moyens, rien de moins que Jerry Wewler, Arif Mardin (les deux stars maison de la production), et David Briggs (l’indéfectible homme de studio de Neil Young) sont aux manettes, tout le gotha des musiciens de séance étiquetés country réquisitionnés, plus quelques apparitions de guests amis (Doug Sahm, Waylon Jennings). Le répertoire alterne compostions de Nelson, et reprises de son idole l’antique countryman Bob Wills, ou, plus surprenant, titres écrits par le hippy déjanté Leon Russell.
Le résultat, c’est le disque parfait pour chialer dans sa bière, rempli de country songs tristes et traînardes. Nelson ne renie pas son idiome originel, mais met de côté les pénibles yodels, et relègue au fond du mix violons aigus sautillants et pedal steel joviales. Le son est résolument celui d’un rock band, et on peut déceler un peu partout l’influence assimilée de gens comme Gram Parsons, John Fogerty, The Band. La country music sort de son ghetto doré et s’ouvre au monde. Tout ça servi par la voix de Willie Nelson, la plus belle a avoir œuvré dans ce registre.
Les ventes de ce « Shotgun Willie » seront conséquentes, les hits au rendez-vous (l’éponyme « Shotgun Willie » et ses cuivres rhythm’n’blues, « Stay all night », peut-être le morceau le moins risqué, le plus « classique » de l’album). Mais ce sont les ballades tout en nuances de gris qui marquent les esprits, de « Whiskey River » à la magnifiquement épurée (juste guitare sèche et voix) « A song for you », en passant par des perles comme « Sad songs & waltzes », « Bubbles in my bear », ou la très « Exile on Main St » « Devil in a sleepin’ bag ».
L’influence de ce disque sera considérable dans le développement d’une forme modernisée de country qui débordera dès lors très largement l’audience exclusive des péquenots blancs et réacs du Sud des Etats-Unis. Même les Sudistes graisseux de Point Blank plagieront quasiment la pochette de « Shotgun Willie » pour leur premier disque en 1976…

GEORGE ROY HILL - BUTCH CASSIDY AND THE SUNDANCE KID (1969)


Nouveau western ...

C’est un peu comme cela que le film avait été présenté, comme si un western ne pouvait être qu’un film de John Ford avec John Wayne … sauf que Sergio Leone avait déjà bouleversé pas mal de codes avec « Le bon, la brute et le truand » notamment, et que Peckinpah, alors que le tournage de « Butch Casssidy … » n’était pas terminé, traumatisait les spectateurs avec les gunfights et les jets d’hémoglobine au ralenti de « La Horde sauvage » …
« La Horde sauvage » (the wild bunch dans la langue de Lady Gaga), hasard ou pas, étant justement le nom de la bande qui accompagnait le légendaire braqueur Butch Cassidy au tournant du siècle dans le Sud américain. Le scénariste William Goldman dut trouver un autre nom pour les complices de Cassidy (ce sera la bande du Hole in the Wall). Lequel Goldman avait déjà eu pas mal de soucis avec son scénario, un des plus chers payés par un studio.
Le film doit être construit autour d’un Paul Newman en pleine gloire (« Luke Cool Hand »), et réalisé par un pote à lui, George Roy Hill. Pour partager l’affiche avec Newman, la production est prête à mettre le paquet, les noms de Brando, Jack Lemmon, Warren Beatty et surtout celui de Steve McQueen, l’autre star masculine de l’époque circulent. Finalement, Hill et Newman réussiront à imposer un quasi-inconnu, Robert Redford, venu du théâtre comique new-yorkais, et qui sera le Sundance Kid.
Le scénario repose sur l’histoire plus ou moins authentique de Cassidy et du Kid, largement réaménagée. Cassidy et le Kid n’étaient en fait pas des Robin des Bois américains (juste des truands n’hésitant pas à dégainer les premiers), n’étaient pas copains comme cochons (le Kid venait de rejoindre la bande, c’est un peu par hasard que les deux hommes et la maîtresse du Kid ont fui ensemble), la Bolivie n’a été que la fin supposée de leur périple sud-américain, … D’un autre côté, « Butch Cassidy … » n’a jamais prétendu vouloir être un film historique.
Il reprend (avec un budget conséquent) la trame du western classique, les hors-la-loi sympathiques, les grandes poursuites, les grands espaces sauvages, … Mais c’est avant tout une comédie, et d’ailleurs Newman dont ce n’était pas la spécialité, avait des doutes sur le résultat final, trouvant souvent que c’était too much de ce côté-là … Mais là où le film peut être perçu comme vraiment original, c’est surtout au niveau du découpage et du montage. Le générique du début façon film muet (clin d’œil au « Great train robbery », court-métrage de 1903 considéré comme le premier western ?), la longue  poursuite (une demi-heure), la fuite de Cassidy et du Kid vers l’Amérique du Sud résumée par une succession de photos sépia, le final sur une image arrêtée… A noter aussi deux scènes peu utiles dans le déroulement du film, mais qui ont alimenté des discussions sans fin entre les « spécialistes », la plus controversée étant celle de la reddition à un shérif au milieu de la poursuite (non-sens, casse la tension, etc, … tels ont été les reproches). Mais surtout la scène dite de la « bicyclette », qui laisse planer un doute sur la relation ambiguë entre Cassidy et Etta Place (la maîtresse du Kid jouée par Katharine Ross), avec en fond sonore le fameux morceau de Burt Bacharah et Hal David chanté par B.J. Wilson (« Teardrops keeps falling in my head »), que Hill a maintenu contre vents et marées, et surtout la bronca des producteurs qui voulaient le remplacer par un machin country ou hillbilly traditionnel …
A sa sortie, le film a été éreinté par la critique (c’est pas vraiment un western, c’est pas vraiment une comédie, c’est qui ce Robert Redford, ce genre …). L’accueil du public a été lui enthousiaste, et logiquement, l’industrie du cinéma prête à tous les revirements pourvu que ça remplisse les caisses, a multi-nominé et multi-récompensé « Butch Cassidy … » aux Oscars …
« Butch Cassidy and the Sundance Kid » est une merveille de film sympa, avec pour cadre des paysages parmi les plus somptueux jamais mis en images (tournage dans une multitude de parcs nationaux américains, mais aussi au Mexique), des scènes devenues mythiques, comme la partie de poker du Kid au début, celle du strip-tease de Katharine Ross, celle de la bicyclette, celle de la poursuite avec son questionnement obsessionnel (« Who are those guys ? »), un trio d’acteurs majeurs Newman – Redford – Ross (même si cette dernière est moins présente à l’écran que les deux hommes).
Et surtout, des gens qui se sont bien amusé sur le tournage, et une complicité qui se voit entre Newman, Redford, et George Roy Hill. Et ce n’est certainement pas un hasard si les trois hommes se retrouveront au générique quelques années plus tard d’un film au succès encore plus colossal, « L’arnaque » …

PS. Assez bizarrement, il me semble que le film « passe » mieux en version DVD qu’en version Blu-Ray dans lequel une image trop flashy et brillante dessert notamment les scènes filmées en nuit américaine, une version Blu-Ray dotée en bonus d’un commentaire du film d’un ennui total … Par chance, sur de nombreux packages Blu-Ray, le DVD figure aussi dans le boîtier …

DEATH - FATE / THE BEST OF DEATH (1992)


Killed by Death

Aujourd’hui, jour des Morts, plutôt que le sempiternel vase de chrysanthèmes sur la tombe des aïeux, déposez sur le marbre cette compile de Death, c’est de circonstance … sait-on jamais, ça pourra peut-être les réveiller (les morts).
Amateurs d’ambient en général et de Brian Eno en particulier, passez votre chemin, cette rondelle n’est pas faite pour vos oreilles habituées à la musique d’aéroports. Ou alors la musique d’aéroports au décollage d’une escadrille d’Airbus. Parce que Death, comment dire … c’est bête comme chou (plus con que ce genre de musique, malgré les efforts louables de quelques-uns, y’a pas), mais ça déménage.
Les gentils à l’air tout méchant qui écoutent ce genre de choses avancent même que cette bande de chevelus floridiens seraient les pionniers du death metal (vu leur blaze, ça semble logique) et du grindcore (ah bon, moi à l’école on m’avait dit que le grindcore c’était Napalm Death). Foin de ces considérations paléontologiques …
L’âme (morte ? comme dirait Gogol, non pas celui de La Horde, le Russe, l’écrivain) du band, c’est un certain Chuck Schuldiner, guitariste, chanteur, auteur ou co-auteur de tous les titres, et même responsable (c’est le mot) du logo du groupe. Le genre de gars qui a du écouter les 33T de Black Sabbath en 78T et qui a essayé de faire pareil. Ça joue vite, très vite (trop vite, d’ailleurs, ils sont obligés de faire des breaks, pour que le batteur ait le temps de se reposer les avant-bras), ça chante ( ? ) avec la voix d’un type en train de se faire étrangler, et les textes sanguinolents sont pas inspirés par la Comtesse de Ségur (« Zombie ritual », « Suicide machine », « Baptized in blood », « Left to die »).
Bizarrement, on trouve plein de guitares surf au milieu du baston sonique, et puis, horreur malheur, quand ils ont commencé à devenir « techniques », des ponts venus en droite ligne des funestes Yes (flagrant sur « Suicide machine »), ou des repiquages de riffs de hard FM (celui de « Eye of the tyger » à la fin de « Baptized in blood »).
Apparus sur la mauvaise côte américaine (ce sont les trashers de la Bay Area californienne qui allaient toucher le jackpot), la notoriété toute relative de Death a eu du mal à s’exporter, le groupe s’engluant dans des changements incessants de personnel, et la mort de Schuldiner il y a une dizaine d’années mettant un terme à l’aventure.