Lo-Fi ...
Pavement est censé avoir inventé ce qu’on appelle « lo-fi » (low fidelity par opposition à high fidelity, entendre par là qu’on cherche pas la perfection à quelque niveau que ce soit, on enregistre comme ça vient, voire on fait en sorte que ça sonne tout pourri). Bon évidemment, comme tout le monde, ils ont rien inventé, ils ont juste mixé et codifié des choses qui existaient déjà. Depuis le rock garage des 60’s, en passant par le Velvet, Patti Smith, Television, les punks, le Neil Young saturé, Sonic Youth, … En rajoutant l’évidence mélodique de REM et des Pixies … et en se faisant bien sûr publier par des labels le plus indépendants possible …
Pavement 1994 |
Les Pavement ont fait de l’approximation un art. Et
c’est pas facile d’être systématiquement approximatif. Parce que figurez-vous,
je les soupçonne (enfin, Stephen Malkmus surtout, guitariste, chanteur et
compositeur quasi exclusif du groupe) de faire semblant. Prenez un truc composé
avec les pieds un lendemain de cuite, enregistrez-le dans un état comateux ou
avoisinant, vous obtiendrez au mieux une bouillasse infame et bruyante. Chez Pavement,
au contraire, tout repose sur des chansons tout ce qu’il y a de bien écrites,
que l’on s’efforce de démantibuler, de désosser, pour que ça ait l’air tout
foireux. A preuve le sieur Malkmus (en solo, avec les Jicks, avec Pavement
reformé, ou au sein de multiples collaborations) a montré depuis des décennies
que c’est un super songwriter et un grand mélodiste, un des plus doués de ce
que l’on appelle désormais du classic rock …
Pavement est au départ un vrai groupe de potes, même si une fois les premiers enregistrements parus, les frictions entre membres apparaîtront vite. Leur point de départ, « Slanted & enchanted » (lui-même précédé de quelques singles et Ep’s) sera parfait. Ses deux successeurs (chronologiquement ce « Crooked … » et « Wowee Zowee ») seront un cran en dessous, sans que l’on puisse parler de déclin.
Stephen Malkmus |
« Crooked rain, crooked rain » paraît presque
deux après « Slanted … ». Le temps pour le groupe de mettre sur la
touche leur pote batteur, rendu ingérable avec ses problèmes d’alcoolisme démesuré.
Avec « Crooked … », on reste en terrain connu. A peine si
globalement, c’est un peu moins bordélique que le coup précédent. Le premier
titre (« Silence kid », écrit avec un lettrage genre gosse de six ans
sur le verso de la pochette « Silence kit », rien que ce détail je
suppose que c’est fait exprès, genre « regardez comme on s’en branle,
comme on s’en fout de ce qu’on fait ») est un peu le stéréotype du
Pavement sound. Une espèce d’intro toute foireuse, comme si les types avaient
tout juste fini de s’accorder approximativement et commençaient à jammer sur un
rock mid tempo. Puis la voix de Malkmus arrive, on dirait que le bonhomme sort
du lit avec une gueule de bois en chêne massif, il expédie une paire de
couplets et de refrains, avant un final de titre tout hésitant. Conclusion
surtout pas définitive, les types savent pas commencer et achever un morceau,
et ça chante plutôt faux … sauf que si on dissèque un peu le titre, on
s’aperçoit qu’il y a une jolie mélodie et un refrain qui peut se siffloter.
C’est à peu près toujours comme ça sur la durée du disque. Enfin, une fois sur deux, parce que dans une espèce de rigueur mathématique saugrenue, après un rock feignasse mid tempo, on a droit à une ballade déglinguée. Constante, la qualité d’écriture, l’ensemble dénote quand même un sens de la composition plutôt hors du commun, assez loin de l’image de slackers que les Pavement veulent de donner … de faux dilettantes, même si instrumentalement on a l’impression que chacun joue son truc sans s’occuper de ce que jouent les autres …
Pavement a quand même réussi à proposer trois
singles issus de ce « Crooked … ». Aucun n’a marché, remarquez ça les
aurait certainement bien emmerdés si « Cut your hair » (hommage à
David Crosby ? hum, je crois pas …), « Gold soundz » ou
« Range life » avaient fini en haut des charts, ils étaient pas prêts
à gérer du succès, et là on peut supposer que c’était pas bluff … D’autant que
ces trois titres sont parmi les plus bancals de la rondelle, le plus
« accessible » de ce tiercé dissonant était le rock pépère de
« Range life » où les gars ont rajouté leurs discussions sur la fin,
comme si ça avait été enregistré live en studio, ce qui ne doit bien sûr pas
être le cas …
Quand on n’a pas peur du ridicule on n’a peur de
rien et les Pavement font une sorte de jazz psychédélique ( ? ) incongru
sur l’instrumental « 5-4 = Unity », et concluent sur un titre à
tiroirs (« Fillmore jive », encore un titre qui ne veut rien dire, et
n’est en aucune façon une allusion au club de Bill Graham dans le Frisco
psychédélique) où sont convoqués le Velvet des deux premiers disques sur
l’intro, puis un rock lent et lourd avant de finir sur une sorte de rave up
toute en brisure de rythmes …
Ne pas croire que les Pavement sont hors du temps et
à côté de leurs pompes. Ils sont bien ancrés dans le début des années 90, ils
reprennent du R.E.M. (« Camera ») en face B du single « Cut your
hair » et étrangement, malgré leur amateurisme qu’ils prétendent forcené,
réussissent à faire sonner un titre (« Unfair ») comme le Nirvana de
« In Utero ».
Pavement des bricolos approximatifs ? Non,
juste des imposteurs qui voudraient faire croire qu’ils savent pas composer,
jouer ou chanter …
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