Il y a quelque temps que le nom de Kevin Morby
circulait de façon plus ou moins underground. Avec force renfort de
superlatifs. Sauf qu’on me la fait pas. Des soi-disant surdoués auteurs de
disques extraordinaires et qui finissent six mois après à moins d’un euro sur
Priceminister, j’ai cotisé. Et avec l’âge, je suis devenu un vieux con méfiant.
Alors la presse elle peut raconter ce qu’elle veut. Je les crois plus sur
parole. Faut que j’écoute le bestiau avant de donner un avis ferme, définitif
et incontestable.
Et donc, incontestablement, ce « City
Music » est un grand disque. Très grand disque. Et il m’étonnerait que des
trucs aussi bons, il en sorte plus d’une poignée cette année. Parce que là on
en tient un. Un quoi ? Un grand songwriter. C’est à-dire un type capable
d’écrire de grandes chansons qui s’incrustent dans le cerveau, un type capable
de les enregistrer intelligemment, et de les chanter correctement. Ce qui par
les temps qui courent, est une denrée plutôt rare.
Le Morby, il vient du Midwest et est allé humer
l’air du circuit folk new-yorkais. Ça vous rappelle pas quelqu’un ? Soyons
clair, Morby n’est pas le nouveau Bob Dylan. Pas con, les dizaines qui se
voyaient piquer la place au Zim, sont disparus corps et biens, laissant au
passage quelques machins ridicules, pompeux, prétentieux mais finalement bien
vains et oubliables. De toute façon, Morby (qui cite Dylan comme référence et
influence) n’a pas encore de choses du calibre de … ben des classiques de
Dylan. Morby cite aussi Lou Reed. Là, il aurait pas besoin, tellement ça
s’entend. Ecoutez « Tin Can », tout, mélodie, arrangements, jusqu’à
la voix traînante, fait surgir le mot magique de « Transformer ».
Carrément.
Morby, c’est pas un perdreau de l’année. Il approche
la trentaine, et a largement payé de sa personne dans les groupes à l’audience
famélique (Babies, Woods). Les galères en tout genre habituelles, quoi … Et
puis il a décidé de partir en solo. Et à Los Angeles. Même si tout dans ce
disque est totalement new-yorkais, comme un être aimé qui vous manque et dont
on ne peut se défaire de l’image. « City Music » est une déclaration
d’amour (il pouvait pas l’appeler « New York », Lou Reed l’avait déjà
fait). Et même quand Morby rend hommage aux Germs (de Los Angeles), la
relecture qu’il fait d’un de leurs titres (« Caught in my eyes »)
transpose le groupe punk extrémiste de l’autre côté du pays. Et tant qu’on est
à causer punk ou assimilés Morby se fend d’un hommage aux Ramones totalement dans
l’esprit des faux frangins. Le titre s’appelle « 1234 » (que ceux qui
n’ont pas compris lèvent le doigt, il y a mes ricanements à gagner), ressemble
à leurs titres par la durée (1’45), et la simplicité des paroles et se conclut
par un triste et lapidaire « they were all my friends, and they
died » …
Lou Reed , les Ramones, c’est évident.
Television aussi, le temps du morceau-titre qui s’étire sur plus de six
minutes, avec ses parties de guitare qui rappellent furieusement celles de
Lloyd et Verlaine. Le reste, c’est plus subliminal, on peut devenir que le type
connaît ses classiques (Leonard Cohen, Neil Young, Jonathan Richman, Joni
Mitchell, …). Et dès lors il se pose en concurrent direct du Wilco de Jeff
Tweedy. Parce que Morby n’a pas enregistré avec de vieux briscards requins de studio
maîtres es-country-rock depuis des décennies. Tout est fait par son backing
band scénique, avec mention particulière à son alter ego de l’ombre, Richard Swift,
multi-instrumentiste et coproducteur de ce « City Music ».
Qui impressionne de la première plage, la lente ballade
mélancolique sur fond de nappes synthétiques jamais envahissantes, qui mettent en
valeur sa belle voix grave (« Come to me now »), jusqu’à la somptueuse
doublette finale (« Pearly gates » avec son riff démarqué de celui de
« Sweet Jane » et la ballade apaisée « Downtown’s lights »).
Aux dires des connaisseurs, ses trois précédents disques solo sont aussi bons que
ce « City Music ». Dès lors, on peut s’interroger sur l’avenir de Morby.
Il peut devenir « quelqu’un », par les références aux antiques Commandeurs,
la connexion subliminale avec Cobain (la reprise des Germs, dont le guitariste était
Pat Smear, qui fut celui des dernières tournées de Nirvana). A son débit, on peut
pas dire que Morby soit très charismatique, avec son non look dépenaillé. Pas sûr
non plus que le minuscule label indé qui l’a signé (Dead Oceans) ait les épaules
suffisamment solides pour le mener vers la gloire. Au pire, il finira avec la réputation
d’artiste culte confidentiel, dans la même étagère que d’autres surdoués méconnus,
comme Stephen Malkmus ou l’Anglais Richard Hawley…
On vous aura prévenus …