ALAIN BASHUNG - BLEU PETROLE (2008)

 

The Last Waltz ...

On le savait, il était cuit Bashung. Les poumons rongés par le crabe. Une fois ce « Bleu pétrole » paru, il a fait ce qu’il a pu pour assurer. Livide, un chapeau pour masquer les effets de la chimio, ayant du mal à se déplacer, annulant séances photo, promo, concerts, il était un sexagénaire débordé par la maladie. La « profession » (l’establishment comme diraient ceux qui se rassemblent pour être haineux) dans un grand élan d’œcuménisme quelque peu forcé, allait en faire le Victorieux de la Musique millésime 2009. Il était venu pour recevoir ses colifichets. Deux semaines plus tard, ceux qui l’avaient applaudi au Zénith y allaient à qui mieux-mieux de leur épitaphe pendant que les illustres macchabées du Père-Lachaise se serraient un peu pour lui faire une place …

De toutes façons, cette première décennie du nouveau siècle n’était pas la sienne. Il n’avait sorti qu’un seul disque sous son nom, « L’imprudence » (un machin noir et glauque devant lequel certains sourds s’étaient prosternés), une paire avec sa moitié Chloé Mons (silence gêné, personne les a écoutés), avant de mettre ce « Bleu pétrole » en chantier. Pour lequel Bashung fait avec les moyens du bord. Ses deux paroliers historiques, Bergman et Fauque ayant disparu de ses radars, c’est sur le nouveau partner in crime Gaétan Roussel que va reposer la confection du disque.


Le Roussel, je supporte pas sa voix, et son énorme succès avec Louis Attaque, ces boy-scouts des rengaines pour ados attardés, on peut pas dire que ça m’ait transporté. Sur « Bleu pétrole », thanks God, il chante pas le Roussel (mais la voix de Bashung, … bougez pas, on y reviendra), mais il signe une grosse moitié des paroles et des musiques, joue de plein d’instruments, et co-produit la rondelle. Bashung a pas mis tous ses œufs dans le même panier, il a aussi collaboré avec Manset. Monsieur Gérard Manset. Un type responsable pendant une vingtaine d’années (à partir de la fin des 60’s) d’une dizaine de disques sans rien à jeter. Un type qui ne se livre ni aux interviews, ni aux séances photo, refuse tout passage télé et n’a jamais donné le moindre concert. Et pourtant un type qui n’a rien d’un misanthrope asocial, il peut apporter son talent à d’autres qu’il choisit rigoureusement. Bashung innove donc, ne gardant que son guitariste américain « déconstructeur » Marc Ribot (longtemps complice de Tom Waits). Pour être exhaustif, quelques troisièmes couteaux (Joseph d’Anvers, Arman Meliès) co-signent une paire de titres.

Le son global du disque est assez sombre, ce qui est somme toute assez compréhensible. Des batteries mates, des mélodies linéaires, une ambiance poisseuse pour pas dire morbide, des cordes et beaucoup de machines qui moulinent des schémas rythmiques élaborés et des arrangements tarabiscotés. On sent le gros budget, sans que ça vire pour autant à la démonstration narcissique. Un son qui accompagne la noirceur devenue habituelle de Bashung, noirceur aggravée par un état de santé qui se dégrade. Il suffit d’écouter la voix (très très en avant) au fil des titres pour la voir devenir de moins en moins malléable avec un timbre de plus en plus grave. On pourrait retracer la chronologie des enregistrements rien qu’en analysant ces prises vocales.

Salut l'Artiste ...

« Bleu pétrole », ce doit être l’album le mieux vendu de Bashung. Les morts vendent bien, et c’est pas Barclay (label) et Universal (distribution) qui diront le contraire. Etonnant que cette rondelle bien sombre ait poussé autant de monde à l’achat, même si tout du long de sa carrière, Bashung n’a jamais rien eu de l’artiste festif. Pour moi, « Bleu pétrole » ne mérite pas le concert de louanges qu’il a recueillies. Trop de compositions monotones, ternes, tenant beaucoup plus de la mélopée que de la chanson (l’enchaînement « Tant de nuits » et « Hiver à Sousse », cumulent fond sonore invertébré et mélodies indigentes, je cherche encore où sont les mélodies, les couplets, les refrains, les ponts, en gros tout ce qui fait une chanson dans ces deux titres). Déception idoine pour deux titres auxquels a participé Manset, « Vénus » et « Je tuerai la pianiste ». Du Manset méconnaissable (c’est quoi ces thèmes et leurs textes, jamais rien entendu de ressemblant chez le Gégé, et il s’est pas foulé pour les grilles d’accords), le premier étant le pire (la voix agonisante de Bashung fait peine à entendre), le second étant porté par un gros riff de guitare (le seul du disque et donc fatalement plutôt incongru, que sont les rockabs rigolos du Bashung des 80’ devenus ?). Guère mieux avec « Le secret des banquises » (Bashung-Roussel) qui fait cependant l’effort de rechercher du rythme et de la mélodie.

Il y a deux reprises sur « Bleu pétrole ». Le « Suzanne » de Léonard Cohen (adapté en français par Graeme Allwright), dans une version musicalement squelettique (et pourtant la version de Cohen était loin d’être exubérante). Et puis ce que j’appellerai un outrage fait à « Il voyage en solitaire », chanson la plus connue de Manset, et pour moi un des chefs-d’œuvre ultimes de chanson française. La version originale cumulait thème triste (la solitude évidemment), mais voix chaude suivant une mélodie first class jouée par un piano légèrement désaccordé. Ne subsiste (hormis les paroles) rien de tout cela dans la version de Bashung, juste une ambiance mortifère dans un minimalisme sonore. Le plus étonnant est que Manset est ressorti de cette collaboration fasciné par Bashung, au point de lui consacrer un bouquin, essai assez court et comme toujours chez Manset parfois abscons, joliment intitulé « Visage d’un dieu Inca ». Petite remarque, Bashung avait fait par le passé de belles reprises (« Nights in white satin », « Les mots bleus »), cette fois-ci, il passe quelque peu à travers.


Cette collaboration Manset-Bashung a quand même accouché d’un bon titre, située au cœur du disque. Les plus de neuf minutes de ce « Comme un lego » sont du pur Manset (la mélodie, la poésie simple et émouvante). C’est aussi la meilleure prestation vocale de Bashung, qui retrouve même les intonations chaudes du Gérard. Rayon bonnes chansons, l’introductif « Je t’ai manqué » laissait pourtant bien augurer du reste, ambianche rêche electro acoustique, jolis arrangements de banjo signé Marc Ribot. Le hit « Résidents de la République » suivait, belle compo – une fois n’est pas coutume – de Roussel. Chanson qui a fait jaser pour son pain lexical (« je courirai », volontaire ou pas, le débat a fait rage), et ses paroles assez hermétiques. Deux versions circulent, la première arguant qu’il n’y a aucun sens particulier, la seconde y voyant une allusion aux piteux débuts (pléonasme) du mandat de Sarkozy. Qu’il me soit permis d’échafauder une autre vision, à savoir une chanson traitant de l’immigration (et pas selon les théories de Re-Taïaut-Taïaut …). Autre bon titre signé Roussel, l’agréable « Sur un trapèze », mélodie simple et efficace, et un Bashung exceptionnellement en bonne forme vocale. Autre titre sorti en single, sans atteindre la reconnaissance de « Résidents … ».

Vous avez compris, je suis pas vraiment en extase devant cette rondelle …