SPIKE JONZE - DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH (1999)

 

Au-delà du délire ...

« Being John Malkovich » en V.O. est un film extraordinaire dans tous les sens du terme … pendant plus d’une heure. La dernière demi-heure, par contre, vient un peu tout flinguer …

Spike Jonze & John Malkovich

Alors commençons par le début. A l’origine du film, deux hommes, Spike Jonze et Charlie Kaufman. Le premier est un golden boy du spot télé et du vidéo-clip (pour ceux qui sont en haut de l’affiche à la fin des 90’s, genre Björk, Fatboy Slim, les Chemical Brothers, …). Le second est scénariste pour des séries télé. « Dans la peau … » sera leur coup d’essai dans le cinéma pour les deux, première réalisation pour Jonze, première écriture de scénario pour Kaufman … Je sais pas à quoi ils carburaient (enfin, on peut supposer qu’ils suçaient pas que des glaçons, du moins Jonze, que l’on voit descendre de sa voiture et vomir dans la rue, lors d’une courte – forcément courte – interview dans les bonus du Dvd), mais ils ont fait très fort sur ce coup …

Craig Schwartz (John Cusack) est un marionnettiste qui se trouve génial, mais ne vit que des piécettes qu’il récolte en se produisant dans les rues, quand il ne prend pas des torgnoles par les parents lorsqu’il met en scène dans son spectacle l’histoire d’Héloïse et d’Abélard (ben ouais, fallait écouter en cours de français au lycée, sinon allez sur Wikimachin, vous comprendrez que c’est pas vraiment une histoire d’amour tout public …). Craig est marié à Lotte (Cameron Diaz, loin des rôles de bimbo qui l’ont rendue célèbre), qui travaille dans une animalerie et ramène du boulot à la maison, forcément transformée en zoo, et qui s’intéresse plus à ses bestioles qu’à son mari, auquel elle suggère tout de même que les marionnettes, c’est bien joli, mais qu’il faudrait trouver un vrai job …

L'étage 7 et demi

Ça tombe bien Craig dégotte une annonce où une boîte recherche un type agile de ses doigts pour du classement et de l’archivage. Cette boîte se trouve dans un immeuble, au septième étage et demi … c’est-à-dire que tout le monde marche courbé dans des couloirs et des bureaux où le plafond est à un mètre cinquante du sol. Le personnel et le directeur sont aussi étranges que les lieux qu’ils occupent, de la secrétaire dyslexique et allumeuse (Mary Kay Place), au patron (Orson Bean, un vétéran des seconds rôles), un prétendu docteur de cent cinq ans, bien conservé grâce à une consommation effrénée de jus de carotte, et prêt à baiser tout ce qui passe à portée …

Craig utilise donc sa dextérité pour classer fiches et dossiers, tout en tombant amoureux fou d’une grande brune qui n’a pas froid aux yeux (excellente Catherine Keener). Un jour, pour récupérer un dossier qui a glissé derrière un meuble, il découvre une petite porte donnant sur une galerie souterraine. Dans laquelle il s’empresse de ramper pour se retrouver … dans la peau de John Malkovich, en tant qu’ « invité » (il est quelque part dans son cerveau, et voit à travers ses yeux). Et au bout d’un quart d’heure, l’expérience prend fin, et Craig est éjecté, tombant dans le remblai d’une rocade …

Cusack, Keener & Diaz

L’expérience pouvant se répéter à l’infini, Craig et Maxine (la grande brune qui bosse avec lui) commencent donc une lucrative vente de billets (paiement en espèces, of course) pour passer un quart d’heure dans la peau de John Malkovich. Sauf qu’avec un peu d’entrainement, on peut passer plus de temps et « diriger » Malkovich. Si l’on rajoute des tentatives de liaison amoureuse qui compliquent tout (Craig tombe amoureux de Maxine, Maxine de Lotte, le toubib de Lotte, et Malkovich de Maxine). Parce que le John, sentant qu’il se passe des trucs bizarres dans sa tête, finit par mener son enquête et découvre les étrangetés qui se trament dans le septième étage et demi, allant même jusqu’à emprunter le couloir lui-même …

C’est avec cette scène extraordinaire (John Malkovich dans un restaurant où tout le monde est John Malkovich) que prend fin la partie la plus intéressante du film. Le reste, qui consiste à trouver une fin « crédible » ou « rationnelle » à toutes ces aberrations mises en images, fait tourner les personnages et les mini-intrigues qui les lient en rond. Cette dernière partie repose beaucoup sur John Malkovich, qui trouve là les scènes de loin les plus délirantes de sa carrière, mais cabotine un max, pion central d’un jeu dont Kaufman et Jonze ont à peu près perdu toutes les règles …

Reste quand même les deux premiers tiers du film où quasiment rien n’est à jeter, trouvailles scénaristiques géniales, comique surréaliste à tous les …étages … avec mention particulière au couple Cusack – Diaz (lui, lunaire à la perfection, elle s’en allant de plus en plus dans l’irrationnel total). La scène où ils sautent tous les deux en même temps sur Maxine qu’ils ont invité à dîner et à fumer des joints mérite sa place dans une anthologie du comique de situation …

Un monde plein de Malkovich ...

Evidemment, Jonze (trente ans) a pu compter sur ses états de service dans d’autres domaines pour réunir tout ce beau monde (et si l’on compte ceux qui n’ont qu’une courte scène, ou font juste un caméo, il faut rajouter au casting des Dustin Hoffmann, Martin Sheen, Sean Penn, Michelle Pfeiffer, Brad Pitt, et quelques-un(e)s que j’ai dû louper parce que aucun ne figure au générique). Le fait qu’à cette époque il fréquente assidûment la famille Coppola, notamment la Sofia du même nom, a aussi dû aider à faire s’ouvrir quelques portes et sortir quelques carnets de chèques …

« Dans la peau de John Malkovich » est à la base une comédie totalement délirante. Dommage que viennent dans les dernières bobines se greffer « explications » métaphysico-médicales, sorte de secte recherchant la jeunesse éternelle (le polar horrifique « Get out » se serait-il inspiré de cette partie du scénario ?), qui finissent par parasiter les géniales idées originelles et une prestation épileptique d’un Malkovich en roue libre …

« Dans la peau de John Malkovich » est un peu le pendant cinématographique d’un rock indé bobo qui faisait les milliardaires musicaux de la décennie. Le film est co-produit par Michael Stipe de R.E.M., et après une partie musicale essentiellement à base de classique, c’est la très in Björk qui assure le générique avec l’aquatique, forcément aquatique « Amphibian ».