Le mag Rolling Stone, dans un de ses hors-série,
classe ce disque de Devo comme un des meilleurs disques punk de tous les temps.
Non, pas d’accord … J’en veux pas à Rolling Stone, d’ailleurs tous les
journaleux « rock » disent que Devo c’est du punk. Objection,
messires …
Faut pas déconner. Autant on peut trouver des
similitudes certaines entre Pistols, Clash, Dead Kennedys, à la limite les
Ramones vers 76-78, autant avec Devo, on trouve des similitudes avec … rien.
Enfin le Devo de ce « Q : … » parce que je ne connais personne
de censé dans cette galaxie qui ait écouté d’autres disques de Devo. Même si le
groupe (ou ce qu’il en reste) tourne encore aujourd’hui … Les punks venaient
par ordre d’apparition de New York, Londres, Los Angeles. Devo étaient de
Akron, Ohio, dernier pôle industriel avant le Midwest. Ville connue pour ses
usines de pneus (et pour avoir vu naître Chrissie Hynde, inconnue en 1978 … et
aussi un rappeur ou un big seller r’n’b, j’sais plus lequel et je m’en tape).
Autrement dit, pas l’endroit musicalement tendance, où l’on s’emmerde ferme en
attendant le prochain concert de nullards comme Journey, Nazareth, Kansas, …
qui jouissent d’un succès sans commune mesure avec leur talent (ou plutôt leur
absence de talent) dans les USA des mid 70’s.
Des employés du gaz ? Non, Devo 1978 |
Devo est constitué de deux « couples » de
frères, les Mothersbaugh et les Casale, plus un batteur, Alan Myers (s’il est
encore de ce monde, il peut me faire un virement Paypal, c’est pas tous les
jours qu’on cite son nom …). Logiquement, le jeune qui fait de la musique, il
essaye d’écrire des morceaux, de les jouer, de les enregistrer. Devo rajoutent
une étape, ils créent un concept autour de leur musique. Oh, partez pas, on
n’est pas chez ELP ou Genesis …
Le concept de Devo, piqué apparemment à des
scientifiques sérieux ( ??? ), c’est le concept de la de-evolution,
autrement dit une évolution à rebours, une régression planifiée ou un truc du
genre (puisque le progrès nous amène des machins de plus en plus mauvais, faut
revenir en arrière, vous voyez le truc ? non, ben tant pis …). C’est là,
quand se pointe un truc loufoque, que les grands esprits citent le nom de Zappa
et évoquent la filiation. Tout faux… Zappa, dont la musique est quand même
chiante au possible, a un discours sérieux qu’il expose de manière loufoque. Il
n’y a absolument rien de sérieux chez Devo. Parmi les cinq, y’en a un qui joue
du synthé et ils sont allés enregistrer ce premier disque en Allemagne. Les
mêmes gros malins vous citeront comme une évidence l’influence de Kraftwerk. Je
les mets au défi de me trouver la moindre similitude ente les teutons
électroniques et Devo.
Plus prosaïquement, à mon sens, Devo s’inscrit dans
une démarche libérée des carcans et des stéréotypes qui commençaient à
encombrer tous les dinosaures du rock ou qui allaient le devenir. Le rock des
mid 70’s était devenu sérieux, appliqué, triste, joué par des types qui
l’étaient tout autant. A l’opposé quelques trucs discordants et le plus souvent
dissonants apparaissaient, joués par des types capables de sourire sur une
photo : les Modern Lovers, Père Ubu, les Feelies, les Sparks, bientôt les
B 52’s … auxquels je rajoute donc Devo. Parce que, je vais vous dire, les
guignols qui comparent Devo à Kraftwerk, sont-ils seulement arrivés à la plage
10, « Come back Jonee » ? Ils devraient, ils y entendraient un
riff très Chuck Berry (d’ailleurs dans les paroles, ils citent « Johnny B
Good », et aussi « Johnny too bad », le reggae des Slickers).
L'autre pochette du disque (très moche) |
Remarquez, je peux comprendre, il fallait chercher
des comparaisons « intelligentes », puisque Devo était censé être un
groupe intello. Et d’autant plus que sur la pochette du disque, y’a un nom qui
clignote et pas qu’on peu : produced by Brian Eno. Alors forcément, s’il y
a Brian Eno, c’est que prise de casque il doit y avoir … Apparemment Eno a été
aiguillé sur Devo par Bowie alors que l’ex Roxy et l’ex Ziggy enregistraient
des machins de la trilogie berlinoise. Et Bowie on ne sait trop comment, aurait
écouté les premiers 45T et maxis confidentiels de Devo. A ce sujet, ceux qui
ont payé (cher, c’est collector) pour se procurer ces premiers enregistrements
autoproduits affirment que les versions qui y figurent sont meilleures que
celles produites par le dégarni anglais. Soit … D’un autre côté, en allant
chercher Eno, faut s’attendre à ce que ça sonne comme du Eno (on triture les
rythmes et les sons, avec effort tout particulier sur ceux des guitares et des
synthés).
En tout cas, avec « Q : … », on est
fixé dès le premier titre « Uncontrollable urge » : un rythme
épileptique, avec des riffs de guitare vifs et tranchants (ce son de guitare
sera plagié sur les premiers B 52’s), et une voix très aigüe qui cherche
toujours à aller encore plus haut. En ces temps reculés, de l’inédit sonore
total. A peine digérée cette entrée en matière, on arrive sur
« Satisfaction ». Ca vous dit quelque chose, pareil titre ? Ben
oui, c’est une reprise des Stones, enfin le morceau est signé Jagger-Richards.
Parce que la version des Devo, ma bonne dame, elle réduit l’emblématique titre
à sa version la plus congrue. Exit les couplets, et place au seul refrain avec
des arrangements qui le malmènent pas mal. Il n’empêche que cette reprise pour
le moins « décalée » ne dénature pas le titre, c’est bien plus
intéressant qu’un copier-coller mal foutu.
Un certain sens de l'accoutrement ... |
« Praying hands » qui suit avec ses
arrangements opératiques évoque l’axe Queen-Sparks, « Space junk »
accélère jusqu’à la surchauffe des grilles d’accords qu’affectionnent
d’habitude les progueux. Même si rétrospectivement et aussi malins qu’ils
soient ces deux titres ne sont qu’un intermède avant les deux pièces de choix
de la rondelle. « Mongoloid » a beaucoup fait jaser, on a accusé les
Devo de se foutre de la gueule des trisomiques, alors qu’en fait ils racontent
le monde vu par un mongolien. Le fan de rock, surtout en ces temps-là, n’était
guère habitué au second degré … « Jocko Homo » qui clôturait la
première face du vinyle, c’était aussi le premier single des Devo, qui
contenait leur fameux mantra épileptique répété ad lib qui donne son titre au
skeud : « Are we not men ? We
are Devo ». L’intro
de « Jocko Homo » faisant fortement penser à la bande son de
« Rencontres du 3ème type » quand les savants essayent de
communiquer en musique avec les Aliens.
On pourrait penser que la seconde face souffre de la
comparaison. Même pas. Les Devo sont suffisamment en état de grâce pour, tout
en continuant avec leur son global frénétique immédiatement reconnaissable,
varier les mélodies et les arrangements, éviter la redite et capter
l’attention. Les sons de guitare (merci Eno ?) de « Too much
paranoia » préfigurent ceux du King Crimson reformé des 80’s, « Gut
feeling » commence par tromper son monde avec ses arpèges de six-cordes,
fait ensuite penser à de la surf music sous LSD, avant que le tempo s’accélère
façon crise de tachycardie sur le final. « Come back Jonee » fait
subir au rock’n’roll à la Chuck Berry la même punition qu’à
« Satisfaction », on démonte violemment pour voir ce qu’il y à
l’intérieur. « Sloppy » fait alterner rythmes de dragster et décélérations
brutales, tout en montagnes russes mélodiques, avant la conclusion
« Shrivel up », sorte de disco passé à la mauvaise vitesse.
Les Devo étaient partis de rien pour créer un
univers sonore original, dérangé et dérangeant.
Un coup d’éclat, aux dires des courageux qui ont
écouté l’interminable suite de leur discographie, resté sans équivalent …