Comme celle de la
« Sarabande » de Haendel qui rythme l’enterrement du fils de Barry
Lyndon. Ou plutôt de Redmond Barry. Oops … Spoiler ? Ouais, mais on s’en
fout. Quiconque n’a pas vu « Barry Lyndon » est juste bon pour l’intégrale
de Christian Clavier …
Parce que « Barry Lyndon »
est, du moins en France, un des Kubrick les plus populaires. Peut-être parce
que le Kubrick le plus facile. Facile d’accès, évidemment, parce que sur bien
des aspects, « Barry Lyndon » se situe à des hauteurs stratosphériques.
Kubrick met les figurants au pas ... |
Il n’y a pas dans « Barry
Lyndon » de parabole, de message caché, ou subliminal, ou hermétique. C’est
un film à prendre au premier degré. Un film d’époque en costumes, un peu d’aventure,
de l’amour, de la haine. La matrice de milliards de films. Sauf que pas
beaucoup arrivent à ce niveau.
Parce que Kubrick est un
maniaque. Qui commence à prendre son temps pour rendre sa copie. Quatre ans séparent
« Barry Lyndon » de « Orange mécanique » et il faudra en
attendre cinq pour voir sur les écrans son successeur, « Shining ».
Kubrick se fixe sinon des challenges, du moins des exigences sur ce qu’il
entend montrer au spectateur. Et pour « Barry Lyndon », les obstacles
n’ont pas manqué. Financiers, certes, même si c’est pas la préoccupation
principale. Parce que faire un film de trois heures (version « publique »,
je vous dis pas le nombre d’heures de rushes que ça a du générer) se passant au
XVIIIème siècle, en costumes d’époque (et pas des fripes vaguement vintage,
non, dix huit mois « d’atelier de couture » d’après les tableaux d’époque
minutieusement disséqués), et avec quelques scènes de bataille (avec des vrais
figurants, pas des silhouettes numériques rajoutées). L’exigence de Kubrick va
trouver un challenge à sa hauteur. Il n’entend pas filmer des scènes d’intérieur
(et il y en a un paquet) sous la lumière de projecteurs électriques. Non, les
gens au XVIIIème s’éclairaient à la bougie, c’est donc à la lumière exclusive
et unique des bougies et autres chandelles que Kubrick filmera. Or, il n’y a au
début des années 70 pas le matériel capable de filmer dans la pénombre. Kubrick
aura recours à des optiques conçues pour autre chose par la NASA, il devra les
modifier pour les intégrer à ses caméras, afin d’avoir toutes les scènes en
lumière naturelle ou réelle.
Un certain sens du cadrage ... |
Bon, tout ça (les costumes, le
matos) on peut le faire ou l’avoir (avec du pognon). C’est pas pour autant qu’on
va derrière sortir un grand film. Moi, je suis une tanche niveau technique
cinématographique, je me contente de ce qui passe sur l’écran sans souvent avoir
la moindre idée de comment ils se sont démerdés les types sur le plateau de
tournage pour arriver à ce que je vois. Dans « Barry Lyndon », il y a
au moins un truc technique qui saute aux yeux, c’est le cadrage. Putain il avait
des lasers dans les pupilles le Kubrick (ou le mec qui tenait la caméra) pour
arriver à ce résultat. Cherchez dans les putain de trois heures une seule scène
dans laquelle les personnages ne sont pas positionnés au millimètre au centre
du décor ou de l’environnement. Qu’il s’agisse de mecs filmés en gros plans, ou
d’une calèche pas plus grosse qu’une fourmi dans un extérieur grandiose. Et si
des fois c’est pas le cas, il faut quand même regarder plein milieu de l’écran,
c’est là qu’il y a ce qui est essentiel ou va le devenir dans la scène.
Parce que l’histoire de Barry
Redmond (si Kubrick avait été au courant de la chose rock, il aurait pu appeler
ça « The rise and fall of … »), elle est, sinon évidente, du moins prévisible.
Le film est divisé en deux parties (plus un épilogue sous forme d’intertitres) aux
intitulés suffisamment explicites pour qu’on devine à peu près vers quoi on s’avance.
Deux parties différentes. La première relativement picaresque (entre Don Quichotte
et Gil Blas de Santillane), où l’on voit un jeune hobereau irlandais chercher
la réussite sociale (dans l’amour, l’armée, la désertion, le jeu, …), en
flirtant évidemment avec toutes les limites et en les dépassant allègrement dès
que possible. Barry Redmond est un personnage attachant bien que peu
sympathique. Barry, c’est Ryan O’Neal (le beau gosse 60’s révélé dans le machin
fleur bleue « Love Story ») qui trouvera dans « Barry Lyndon »
son titre de gloire avant de retomber dans les nanars plus ou moins affligeants
(lui et Kubrick se détesteront évidemment de plus en plus à mesure que le
tournage avance). Même si sa performance d’acteur ici n’est pas de celle que l’histoire
du cinéma retiendra (surtout si on la compare à McDowell dans « Orange
mécanique »). Il y a par contre dans cette première partie toute une série
de personnages pittoresques qui apparaissent plus ou moins furtivement et
donnent le plus souvent des éclaircies comiques dans un film qui ne l’est pas
vraiment.
Un certain sens du cadrage (bis) ... |
Au milieu du film (quasiment à
la seconde près), apparaissent la comtesse de Lyndon (Marisa Berenson) et son
mari impotent et grabataire. Forcément, le vieux cocu une fois mort, Barry Redmond
va épouser la veuve pas très éplorée et devenir Barry Lyndon. Et alors que l’on
croit le personnage parvenu (dans tous les sens du terme), c’est justement sa
déchéance qui va nous être montrée dans la seconde partie du film. Malheureux en
amour, en affaires, détesté par la noblesse anglaise qui n’est pas dupe de son
arrivisme, il finira amputé (après un duel avec son beau fils qui le hait
cordialement) et exilé, loin de sa femme et de ses fastes et frasques passés. Sans
que pour autant il puisse y avoir une sorte de morale ou qu’on ait envie de s’apitoyer
sur son sort. Aucun des personnages mis en scène par Kubrick n’inspire la
sympathie, et surtout pas le couple Lyndon. Rien cependant qui tienne de la révélation,
quand on sait le peu d’estime que porte Kubrick à la « vieille Angleterre »
et à tous ceux qui la représentent, la noblesse séculaire en particulier.
Et aussi de l'éclairage ... |
Deux scènes mémorables. Les deux
duels de Barry. Le premier avec un officier anglais, hyper hautain et hyper sûr
de lui, qui se délite complètement au moment fatidique. Le dernier avec son avorton
de beau fils, grand épisode tragi-comique du film.
Deux observations pour finir.
La mort du fils (par ailleurs belle tête à claques) de Barry intervient dans
exactement les mêmes circonstances (chute de cheval) que la mort de la fille de
Rhett et Scarlett dans « Autant en emporte le vent ». Certainement
pas un hasard. Et la seconde partie du film a quasiment été plagiée (dans la
forme et l’esprit) par le pénible et expérimental Peter Greenaway dans son « Meurtre
dans un jardin anglais ».
Conclusion perso : « Barry
Lyndon » est à Kubrick ce que « Le temps de l’innocence » est à
Scorsese. Une parenthèse apaisée et merveilleuse dans une œuvre globale ne
manquant pas de tempérament…
Du même sur ce blog :