CHILDISH GAMBINO - AWAKEN, MY LOVE (2016)

Payer les dettes ?
Il paraît que Donald Glover (qui est Childish Gambino à lui à peu près seul, enfin pas tout à fait, voir plus bas) est un touche-à-tout (de génie, disent ses deux fans et demi en France). Là-bas, au pays de l’autre Donald, il fait des films, l’acteur, de la musique, du rap, … Une sorte de Will Smith underground. Ce qui n’est pas vraiment un compliment, mais bon, … Quoique, la black music US est tellement au fond du trou (quand on voit leurs « stars », les Kanye West, Jay-Z, Rihanna, Beyoncé, ça fout quand même un peu les jetons) depuis des lustres, que réussir à faire parler de soi en dehors de frasques people est un bon point.
Donc le Childish – Glover donnait jusque-là dans le rap. Et là, il nous sort un disque de musique noire 70’s, clamant haut et fort son admiration pour Clinton. Non, pas Hillary ou Bill, mais George, le gourou-leader de Parliament et Funkadelic, un des types les plus innovants et samplés de la Terre depuis presque quarante ans, le master es P-Funk himself.
Ecce Homo ...
Et bizarrement, ce « Awaken, my love ! » me fait beaucoup plus penser à Prince (enfin, celui-là aussi devait beaucoup à Clinton), et plus précisément (tant le nabot est parti dans tous les sens), au Prince de la fin des années 80 – début des années 90. La voix (souvent forcée, on dirait bien) de fausset de Glover étant le marqueur de similitude sonore le plus flagrant.
Arrivé à ce stade-là, on pourrait mettre un point final et tourner la page, genre « ouais, encore un zozo sans imagination, qui ne fait qu’imiter ce que d’autres ont fait mieux que lui, avant, etc … ». Sauf que la musique dans le collimateur de Childish Gambino est un peu plus élaborée que du punk ou du rock garage. Et qu’on cause là de soul, funk, p-funk, … des seventies, c’est-à-dire d’une époque et de genres musicaux qui ont atteint une créativité, une complexité et une sophistication inégalés depuis. En gros, si t’es pas bon et que tu touches à ça, tu te vautres lamentablement. Et il faut reconnaître que Childish - Glover s’en tire pas trop mal.
D’abord parce qu’il peut s’appuyer sur un alter ego de l’ombre, le dénommé Ludwig Goransson, qui co-écrit, co-produit, joue d’une multitude d’instruments, et plutôt bien de la guitare. Ah, parce que je vous ai pas dit, y’a pas un orchestre d’ordinateurs derrière tout ça, mais des types qui jouent sur des instruments, y compris sur des synthés ou des claviers vintage, ou en tout cas qui sonnent vintage.
Il y a dans ce « Awaken … » une bonne petite moitié des titres qui sont bien, voire plus. Le premier titre (« Me & your Mama »), où on change de ton et de son toutes les deux minutes (intro cristalline, chœurs gospel, funk lourd, accalmie jazzy) donne envie d’écouter la suite. Même s’il ne trouvera son équivalent que sur le dernier titre (« Stand tall »), lui aussi morceau à tiroirs, et pour sa part très fortement réminiscent du Wonder de l’extraordinaire « Songs in the key of life ».
Entre ces deux sommets, à boire (un peu de soupe) et à manger (du consistant). Principal reproche, noyer sous les arrangements (parfois judicieux, c’est pas le propos) ce qui a fait l’essence du p-funk, hérité d’ailleurs de James Brown, le groove hypnotique. Tu chopes une assise rythmique en béton, répétée ad lib, et tu fais tricoter les autres instruments par-dessus. Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, la preuve ici, où des titres comme « Boogieman » et « Zombies » (avec ses étonnantes parties de guitares que ne renierait pas un Robert Fripp) sont les seuls qui répondent à ces règles-là.
Childish Gambino live : Iggy Pop syndrome ?
Parce qu’ailleurs, même si on reste bien dans la black music des 70’s, ce sont plutôt d’autres noms qui viennent à l’esprit (plus par la suggestion que par la copie conforme, faut être honnête). « Redbone » avec sa voix passée au vocoder fait penser à du Al Green en accéléré sous hélium, et ça me laisse tout de même perplexe, la ballade soul-funk « Baby boy », on dirait du Marvin Gaye de la fin des seventies, la géniale osmose voix-musique en moins. Et on trouve à mon sens résumé sur ce titre tout le problème du disque, c’est de l’hommage bien fait, mais ça n’arrive pas au niveau du talent, voire du génie de Clinton, Gaye, Green, Wonder, ou de leur cousin commun, le perturbé Sly Stone.
Il n’y a vraiment qu’un titre à part, l’incongru dans le contexte « California », dancehall tendance raggamuffin, un genre que l’on croyait porté disparu depuis qu’on est sans nouvelles depuis bien vingt cinq ans de Shabba Ranks, Buju Banton, et de tout ce qui vient de Jamaïque en général. C’est pas mal foutu, mais un sous-genre de reggae au milieu de ce disque, ça fait un peu ballot et hors sujet …

Conclusion : y’en a pas. Comme dans ce disque qui s’achève sans prévenir en plein milieu d’un morceau comme si on venait de te débrancher l’ampli.